Tunisie : haro sur l’Occident

Tunisie : haro sur l’Occident
LETTRE DU MAGHREB. Tunis, berceau du Printemps arabe, se voit désormais comme le berceau des opprimés des Occidentaux.

Par Benoît Delmas

Il y eut l’Ukraine, le 24 février 2022. L’entrée des chars russes en terres ukrainiennes engendra inflation, pénurie de blé et remise en cause de l’ordre international. Au Maghreb comme ailleurs, la conséquence première fut plus de dix pour cent de hausses des prix. Une partie importante de la population jugea que cette guerre était celle des Européens, « pas la nôtre ». Un truc entre « Blancs ». Dans les ambassades, notamment dans les délégations de l’UE, on fit pression pour que les capitales votent à l’ONU les résolutions condamnant la Russie. L’insistance de ce bras de fer diplomatique, voulu au sommet de la pyramide bruxelloise, provoqua des rancœurs inutiles chez les pays d’Afrique du Nord. Alger n’étant pas dépendante du FMI ou de tout autre créditeur, elle pouvait contempler les chaos naissant avec superbe, imperméable à toute sollicitation européenne.

Arrive le 7 octobre, le Hamas qui massacre plus de mille quatre cents civils sur le sol israélien, prend des otages, attend la fureur de Tsahal pour faire fructifier les dividendes de la colère. De Rabat à Tripoli, on manifeste pour la Palestine, contre Israël et on entend des propos de plus en plus précis visant les Européens et leur satané « double standard ». L’expression courre les opinions, les médias et les palais. Double standard ? Une vie israélienne n’équivaudrait pas à une vie palestinienne. La preuve ? Lorsqu’il y a des échanges d’otages, un Israélien est libéré contre plusieurs centaines de Palestiniens. Pour faire simple : une vie arabe vaut moins qu’une vie occidentale. C’est ce que tonne le président Saïed depuis le palais de Carthage.

La Tunisie, laboratoire anti-occidental

Stupéfaction à l’ONU, vendredi. La Tunisie s’est abstenue lors du vote d’une résolution demandant « la protection des civils et le respect des règles juridiques et internationales ». Tous les pays arabes – hormis l’Irak – avaient voté en faveur de cette trêve. Que l’un des porte-étendards les plus virulents de la cause palestinienne pratique la politique des bras croisés, voilà qui ne colle pas avec le narratif à l’œuvre depuis trois semaines. L’explication est plus sioux. Le choix de l’abstention est dû à la « résolution qui ne condamne pas clairement et de manière décisive le génocide commis par la puissance occupante, Israël ; elle met la victime et le meurtrier sur un pied d’égalité », a expliqué le représentant de la Tunisie auprès de l’ONU. Le président tunisien, de son côté, martelait que « le droit des Palestiniens n’est pas à vendre aux enchères ». Depuis le 7 octobre, Carthage multiplie les déclarations et les gestes en faveur des Palestiniens et contre « l’ennemi sioniste ». La véhémence des propos officiels n’a pas d’équivalent au Maghreb, mis à part en Libye, ni dans le monde arabe, excepté en Irak. À la radio, si vous dites Israël, on vous reprend, il faut dire « entité sioniste ». La Haica (la Haute autorité de contrôle de l’audiovisuel) a condamné vendredi « les médias européens », jugeant que « la couverture médiatique depuis octobre de l’agression sioniste contre les Palestiniens est de la propagande qui incite à la haine et fait l’apologie des forces de l’occupation ».

Si l’utilisation de la souffrance palestinienne par les dictatures arabes est un sujet que la bibliothèque d’Alexandrie ne suffirait à abriter, elle permettait de canaliser les frustrations locales vers une cause internationale, de détourner la dèche, l’inflation, le chômage, la corruption vers une colère tout-terrain : la Palestine (ce qui sous-entend Israël). Cette fois-ci, c’est différent. On assiste crescendo à un refus plus global des standards européens.

Après le Sahel, le Maghreb

Au Sahel, la France a été sommée de déguerpir. Ses alliés européens ont regardé ailleurs pendant qu’on manifestait contre Paris tout en brandissant des drapeaux russes (très faciles à confectionner, ce sont les mêmes couleurs que celles de la France). Ce qui monte au Maghreb, politiquement et socialement, n’est pas de même intensité mais les Européens devraient être plus solidaires sous peine de très sévères désillusions. Tunis, qui fut le berceau du Printemps arabe, se voit comme le berceau d’un nouvel ordre au service des opprimés, loin de l’arrogance des Européens, se détournant des institutions financières, FMI & Co. On entend la même ritournelle qu’au Niger ou au Burkina Faso : la France volerait les matières premières (à part le phosphate, contrôlé par l’État, la Tunisie n’en dispose pas d’autres). En 2011, les Tunisiens fichaient à la porte leur dictateur en poste depuis vingt-trois ans, déclenchant une épidémie démocratique en Libye, en Égypte… Les Occidentaux accompagnèrent avec effusion les nouveaux entrants. Douze ans après, les ruines du Printemps arabe sont dans un sarcophage. Et l’Occident, l’Europe considérés comme responsables des guerres, des économies en morceaux, voire du racisme.

Source: Point.fr

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