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Mauritanie : La fracture nationale.

Mauritanie : La fracture nationale. Ely Ould Sneiba
La Mauritanie est malheureusement de constitution fragile, cette fragilité est, semble-t-il, congénitale : elle est constituée d’Arabes et d’Africains, une catastrophe, selon les nationalistes noirs.
L’ethnicisme poulo-toucouleur :
Le phénomène ethniciste poulo-toucouleur n’est pas spécifique à la Mauritanie même s’il y est des plus tenaces. D’autres pays de la sous-région ouest-africaine en ont souffert aussi, sauf que dans leurs cas le conflit opposait des ethnies noires entre elles, alors qu’en Mauritanie, il s’agit de deux races dans une situation d’antagonisme congénital rajoutant l’évocation du racisme à la question.
En Guinée, en juillet 1976, Diallo Telli, ancien ministre de la justice de Sékou Touré et ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine est arrêté et avec lui cinq autres personnes, tous accusés d’avoir planifié l’assassinat du président Ahmed Sékou Touré. Conspiration réelle ou simple complot imaginaire, celui des Peuls en vue d’arracher le pouvoir des mains d’un Malinké ? Dans tous les cas, une terrible violence liée à l’ethnicisation de la vie politique guinéenne allait s’abattre sur les Peuls engendrant un « passif humanitaire » des plus lourds des années de règne de Sékou Touré.
Il va de soi que le maître de Conakry n’était pas l’enfant chéri de la France, celle-ci lui en voulait à mort pour son « non » historique à la Communauté française en Afrique noire . En représailles, De Gaulle, selon Foccart, avait donné l’ordre de tout mettre en œuvre pour éliminer le rebelle révolutionnaire.
Le complot français contre Sékou Touré aura pour nom « opération persil » : « une opération visant à provoquer un coup d’État à Conakry, et éventuellement la liquidation physique du président guinéen, est étudiée début 1959 ; elle devrait utiliser, à partir de Dakar, des opposants guinéens en exil, entraînés par des officiers et sous-officiers parachutistes détachés de la fameuse 11e demi-brigade de choc »
Les opposants guinéens impliqués dans le complot étaient dirigés par un Peul du nom de Souleymane Baldé. Après son arrestation par la police sénégalaise avant l’exécution du coup, il avoue et donne des informations sur l’implication des services secrets français.
Interrogé, après sa retraite, sur la conjuration, Jacques Foccart, « le Monsieur Afrique » de l’Elysée, dit « avoir joué un rôle dans la mise en place de cette opération » .
Bien sûr, la France avait un compte à régler avec un Sékou Touré, le « mouton noir ».
Les Peuls aussi avaient un motif de se battre contre lui, car ils estimaient, à tort ou à raison, qu’il avait marginalisé et défavorisé leur communauté ethnique. « C’est de cette frustration… qu’est née l’idée de conduire une action armée », soutenait Souleymane Baldé.
Sans chercher à innocenter Sékou Touré ou condamner Diallo Telli, en Guinée comme partout en Afrique, la colonisation française avait pour habitude d’exacerber les antagonismes ethniques pour mieux dominer. En Algérie, par exemple, elle avait créé « la crise kabyle » ; au Rwanda, elle avait dressé les Hutus contre les Tutsis ; en Mauritanie, sa main invisible agite la question linguistique, cet interminable conflit opposant Noirs francophones et Maures arabophones, etc.
La Guinée, elle, était divisée en quatre régions ethniques en perpétuelle rivalité où tous les arguments sont bons pour avoir l’avantage. L’autochtonie et la taille de la population sont les principales armes de la confrontation : « certains intellectuels radicaux joue avec l’idée d’une allochtonie des Peuls, qui n’auraient qu’à « retourner » en Somalie ou au Macina, région du Mali d’où les fondateurs de la théocratie peule du Fouta Djallon seraient originaires » ; et en réplique, d’autres Peuls, non moins fanatisés, « imaginent la Guinée, pays de la plus forte présence peule dans la sous-région, comme un bastion, un Israël des Peuls ouest-africains menacés ».
Encore, une autre crise aux relents ethniques était survenue au Sénégal entre Léopold Sédar Senghor, un Sérère, et Mamadou Dia, un Poulo-toucouleur. Cependant, contrairement à la Guinée, la France tenait beaucoup à la stabilité du Sénégal et y avait étouffé toute velléité ethniciste.
Ce conflit avait opposé en 1962 deux hommes d’État également brillants, l’un était président de la République et l’autre président du Conseil. Au-delà de la lutte pour le pouvoir et des divergences politiques, les deux rivaux n’étaient pas en phase sur une question essentielle : l’ancrage culturel du Sénégal. Mamadou Dia était un fervent musulman et un pro-arabe convaincu, et l’affermissement des relations culturelles du Sénégal avec le monde arabe était un des axes majeurs de sa politique éducative et culturelle. Son gouvernement avait envoyé plusieurs étudiants apprendre l’arabe dans les universités arabes et dans le même temps il avait renforcé l’enseignement de cette langue dans le système éducatif national .
Cette orientation arabophone ainsi que l’attachement de Dia à son identité culturelle propre étaient « perçues comme anti-françaises » , voire dangereuse pour la France et pour le futur chantre de la francophonie qu’est Senghor. Ce dernier, en ce qui le concerne, était catholique et foncièrement pro-français. « Sa position dans le débat sur les langues était tout tranchée, il était intimement convaincu que la langue française était la seule à même » d’assurer l’unité « des Sénégalais pour la simple raison qu’elle n’est pas susceptible de favoriser une ethnie par rapport à une autre.
Tout compte fait, c’est le poids de la France qui avait permis de contenir la crise et d’éviter que les ethnies ne s’en mêlent. Finalement, Senghor a triomphé, les intérêts stratégiques de la France et la francophonie avec.
Les heurts interraciaux de 1966 :
Dans l’esprit du président Moktar la question de rendre l’enseignement de l’arabe obligatoire n’était que différée, d’autant plus que plusieurs forces patriotiques, notamment nationalistes arabes lui mettaient la pression pour prendre la décision qu’il avait repoussée à plus tard à cause de la fâcherie des cadres du Sud lors de « la Conférence de la table ronde » de mai 1961.
Le 12 janvier 1965, le gouvernement décrète une nouvelle loi qui stipule en son article 10 que : « dans les établissements d’enseignement secondaire, il est donné un enseignement en français et un enseignement en arabe. Ces deux enseignements sont obligatoires ». Ce ne fut point une surprise et la vive réaction des cadres du Sud, elle aussi, était attendue sans grande surprise. De sources concordantes, les services du ministère de l’Intérieur qui suivaient la situation de très près étaient informés d’une activité souterraine menée par certains activistes du fleuve afin d’organiser une violente levée de boucliers face à la mesure inaugurant « l’arabisation » du système éducatif, et partant, celle de tout le pays. Le prédisent Moktar écrit : « de différentes sources, nous savions que certains cadres francisants noirs – enseignants surtout – avaient profité des grandes vacances pour sensibiliser les élèves de leur ethnie contre l’enseignement de l’arabe et les préparer à faire la grève et à organiser des manifestations dès la rentrée ».
Le 6 janvier 1966 « le manifeste des 19 » (Peuls et Toucouleurs ¾, Soninkés ¼) est distribué à Nouakchott et dans quelques villes de la vallée. Il soutient la grève et charge la langue arabe : « Cette action énergique ne fait que révéler un malaise profond et il est notoire que l’étude obligatoire de la langue arabe est pour les Noirs une oppression culturelle. Cette mesure constitue ensuite un handicap certain à tous les examens pour les élèves noirs qui, de façon consciente ont toujours repoussé l’étude de la langue arabe qu’ils savent un frein à leur développement culturel et scientifique et contre leurs intérêts ».
Curieusement, le tract ne faisait aucune référence aux langues africaines de Mauritanie : le Pulaar, le Soninké et le wolof. Pas un traitre mot pour demander leur promotion pourtant légitime. Le souci des porte-paroles auto-proclamés des populations noires était ailleurs ; ils se battaient pour imposer le monolinguisme francophone, car, estiment-ils, « le bilinguisme [arabe /français] n’est qu’une supercherie permettant d’écarter les citoyens noirs de toutes les affaires de l’État » .
Par contre là où le pamphlet était explicite et direct, c’était par rapport au rejet systématique de la langue arabe. Il y était requis de tous les Noirs d’engager « le combat pour détruire toute tentative d’oppression culturelle et pour barrer la route à l’arabisation à outrance ».
Enfin, les 19 avaient invité les « responsables à tous les échelons à s’atteler immédiatement à la solution [des]problèmes trop longtemps différés » . Lesquels ?
Certainement pas le manque d’équité dans la distribution des postes administratifs, parce que les cadres négro-mauritaniens étaient majoritaires au sein de la Fonction publique. Camille Evrard tout en confirmant le fait, donne un ordre de grandeur du volume de ce personnel : « Les orientations coloniales ont entraîné, dans la fonction publique du début des années 1960, une forte représentation des Noirs (environ 75 % des fonctionnaires, et jusqu’à 80 % dans les PTT). »
L’issue demandée à cette crise, point de chute du « Manifeste des 19 » ne pouvait signifier que les garanties constitutionnelles formulées lors des discussions relatives à la création de l’État : le partage moitié-moitié et de façon millimétrée du pouvoir et des richesses Nationales sur une base raciale, en plus l’institution d’un État binational, noir et blanc.
À cette grave occasion, Maître Moktar Ould Daddah, chef de l’État, chef du Parti du Peuple Mauritanien, s’est adressé à la Nation, le 10 janvier :
« Aujourd’hui, certains compatriotes du Sud, tous fonctionnaires et parfois hauts-fonctionnaires de l’État, aveuglés par des positions passionnelles, se déclarent décidés, ni plus ni moins à mettre en cause l’unité Nationale, en menant une action contraire à la doctrine du parti, parti de l’État, et contre les lois qui concrétisent cette doctrine. En effet, ces compatriotes n’ont pas hésité à diffuser un manifeste dans lequel ils appuient la grève des élèves des établissements secondaires, et encouragent ceux-ci à refuser l’application de la loi n° 65.026 du 30 janvier 1965 qui déclare obligatoire l’enseignement de la langue arabe dans les établissements du second degré. Ainsi, les signataires du manifeste, lâchement – il faut le dire – ont engagé dans leur action néfaste des jeunes gens chez lesquels il est trop facile de faire vibrer des cordes passionnelles et irrationnelles… Ils ont préféré la menace, le chantage et l’intimidation au dialogue dans le cadre du Parti et de l’État. »
La situation est grave, les Arabophones, outrés, réagissent par un tract, non signé, appelant à « la scission complète et définitive des deux ethnies comme seul remède » .
Le clash eut lieu le 9 février, mais le bilan malgré l’atmosphère chauffée à blanc était léger. Et le dévouement à la Patrie d’un homme sage comme Youssouf Koita, un Soninké avait eu un effet lénifiant certain. Koita « s’était constamment maintenu au-dessus de la mêlée » tout en invitant les deux parties à la modération et au sens de la responsabilité nationale, car, disait-il, « le peuple mauritanien… attend…des décisions allant dans le sens de la réconciliation nationale et du renforcement de l’unité de la Patrie mauritanienne ».
Il est à noter ici que la France et le Sénégal, les défenseurs d’hier de la Mauritanie mauritanienne et non marocaine, n’étaient pas loin de la crise, le président Moktar l’avait dit sans ambages : « le début de l’arabisation de l’enseignement ne pouvait pas ne pas donner lieu à quelques manifestations d’hostilité, d’autant plus que ces manifestations étaient, partiellement, téléguidées par des Non-Mauritaniens : Français et Sénégalais »
Son Excellence Yahya Ould Menkouss, reçu par De Gaulle, pour lui remettre ses lettres de créances en tant qu’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République Islamique de Mauritanie auprès de la République française, dit que son hôte l’avait interrogé sur ces événements. Mais le diplomate maure, un prince idaouich, n’était pas un enfant de chœur, et l’aristocrate auvergnat ne recevra de lui que la bonne parole, sans plus, puisque, au fond de lui, il était convaincu « que les Français avaient un penchant très marqué pour les causes négro-africaines parce que les Négro-africains sont en majorité attachés à la langue française. »
Ainsi, l’esprit du « manifeste des 19 » écrit dans le sillage de la crise interraciale de 1966 sera le fondement idéologique du Nationalisme négro-mauritanien et plus précisément de l’ethnisme poulo-toucouleur en gestation depuis la veille de la naissance de l’État mauritanien indépendant.
Le manifeste du Négro-Mauritanien opprimé :
En 1986, dix après la première secousse interraciale, d’autres cadres poulo-toucouleurs dont certains étaient lycéens lors des événements de 1966 s’organisent dans la clandestinité et décident de raviver la flamme de la discorde. Ainsi le premier noyau des FLAM est né. Comme baptême du feu, ils rédigent un nouveau pamphlet et l’intitulent : « Le manifeste du Négro-Mauritanien opprimé » qui s’inscrit dans la droite ligne de son ancêtre le « manifeste des 19 » et reprend le credo du militantisme négro-mauritanien des premières heures. Les FLAM attestent cette continuité et déclarent que la lutte continue : « Les préoccupations contenues dans ce manifeste étaient les mêmes que celles de l’Union des Originaires de la Mauritanie du Sud (UOMS), lorsque ce mouvement se manifesta, en août 1957 pour défendre les intérêts de la communauté noire opprimée par la collusion Français-Arabo-Berbère » .
‘’Le manifeste du Négro-mauritanien opprimé’’ est distribué à Addis Abeba en marge d’un sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine.
Son contenu même plus développé ne se départit pas de la ligne nationaliste poulo-toucouleur avec cependant d’amples arguments donnés en pourcentage afin d’illustrer l’exclusion des Noirs de la vallée par « le système beïdane » qualifié de raciste. Et de préciser que « les craintes formulées dans le ‘Manifeste’ n’ont jamais été prises en considération par les régimes beïdanes qui, au contraire, se sont évertués à satisfaire les revendications culturelles et économiques respectivement des intellectuels et de la bourgeoisie-compradore arabo-berbères » Donc, la résistance, y compris par la force, s’impose à tous les Noirs opprimés.
Contrairement aux évènements de 1966, ce deuxième coup n’avait pas provoqué de remous et de frictions intercommunautaires.
En toute banalité ses dirigeants seront jugés publiquement et condamnés à des peines allant de six mois à cinq ans de prison.
Le putsch manqué des officiers poulo-toucouleurs :
Ils étaient de jeunes officiers peuls et toucouleurs. Certains d’entre eux étaient d’origine sénégalaise. Avant cette date, le recrutement dans l’armée était sans entraves, les chiffres des officiers, sous-officiers et hommes de troupes impliqués dans cette tentative le prouvent. Rien que les officiers étaient au nombre de cinquante , et il était même avancé par certains que les soldats noirs constituaient le gros des troupes.
Il faut dire que la tension couvait. Encore à cette date, la Mauritanie était sous un régime d’exception, et l’accès au pouvoir était par voie de coup d’État. Le premier de la série était en juillet 1978, dirigé par le chef d’État-major le colonel Moustapha O. Mohamed Saleck et jouissait d’un large consensus au sein de l’armée y compris parmi les officiers supérieurs poulo-toucouleurs. Le mobile de cette action était la fin de la guerre et le retrait de la partie du Sahara occupée par la Mauritanie deux ans auparavant.
La tentative des officiers poulo-toucouleurs, elle, était d’une autre nature, elle était purement ethnique, intimement liée aux événements précédents : les heurts de 1966, à la crise du « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé » et aux incidents de 1979 relatifs à la circulaire 002 du mois d’avril 1979 du ministère de l’Enseignement fondamental qui avait élevé le coefficient de l’arabe et des matières en arabe.
Comme dans les années soixante-dix, quand les jeunes maures formés en langue arabe faisaient leur entrée dans l’administration et « devenaient des concurrents pour leurs compatriotes du Sud » , l’arrivée de nouvelles promotions d’officiers et de sous-officiers de la même ethnie consécutive à la guerre du Sahara pour grossir les rangs de l’armée était une perspective inquiétante pour les ethnicistes négro-mauritaniens qui allaient perdre le contrôle de l’armée comme ils avaient perdu celui de la Fonction publique.
Le rush arabo-mauritanien sur l’armée était donc à stopper net avant qu’il ne soit trop tard, d’où « le complot visant à renverser le régime en place ».
Le projet de la prise de pouvoir par la force avait été dénoncé avant exécution, ses auteurs arrêtés et jugés par la Cour spéciale de justice. Trois officiers étaient condamnés à mort et le reste des conjurés à des peines de prison, avec travaux forcés pour certains d’entre eux.
Le Sénégal s’en mêle :
Il y avait de l’électricité dans l’air, sinon comment un incident frontalier ordinaire entre des Peuls mauritaniens et des Soninkés sénégalais pouvait déclencher une crise interétatique de l’intensité de celle survenue en 1989 entre la Mauritanie et le Sénégal ?
Tout s’explique. Il n’y a pas un Peul ou un Toucouleur mauritanien qui n’ait de la famille du coté sénégalais et vice versa, un enchevêtrement tel que quand ça tousse à Nouakchott, c’est Dakar qui s’enrhume et parfois méchamment.
Suite donc au putsch manqué de 1987, les FLAM ont eu pignon sur rue à Dakar et le bashing anti « naar » commença dans la presse et dans les salons partout au Sénégal.
Le fuel est prêt, il ne manque plus qu’une étincelle, l’incident de Diawara le sera.
La crise économique aiguë que vivaient les Sénégalais et la pression de l’opposition sur le pouvoir d’Abdou Diouf vont faire le reste.
En plein Ramadan, ce qui devrait arriver arriva. On oublie l’Islam, la parenté, le voisinage, les liens historiques, les intérêts et les relations économiques : OMVS, CEDEAO, les accords de défense : ANAD ; la haine raciale prend le dessus : saccages, massacres, viols… l’horreur gagne les rues des grandes villes de part et d’autre.
Les Poulo-Toucouleurs sénégalais notamment Amath Ba et Aly Bocar Kane sont en colère, ils veulent que les armées s’affrontent pour infliger la plus sévère des corrections aux « Naar Guenar », les squatteurs du pays des Noirs, celui des héritiers de l’Empire des Tekrours. Le président Abdou Diouf raconte dans ses Mémoires ce qui suit :
« Certains ressortissants de la vallée, qui étaient d’ailleurs mes amis, m’ont traîné dans la boue au cours de meetings, en disant que si je voulais la paix, c’est tout simplement parce que j’étais lâche. Je pense en particulier à deux personnes pour lesquelles j’avais pourtant la plus grande estime, le docteur Amath Ba, qui était mon aîné, et qui m’a critiqué dans tous les meetings où il eut à intervenir. Il n’était pas seul à agir de la sorte, puisque parmi mes détracteurs d’alors, je comptai aussi Aly Bocar Kane que j’admirais beaucoup lorsque j’étais jeune lycéen, et membre du Conseil de la Jeunesse du Sénégal, lui étant Président du Conseil de la Jeunesse de l’AOF. Tous les deux, gagnés par la passion qui avait pris le dessus sur la raison, m’avaient vraiment traîné dans la boue. Ils n’étaient cependant pas les seuls va-t-en-guerre, dans ce contexte de crise. On en comptait même beaucoup ».
Sans surprise la France se range du côté sénégalais. Elle et le Sénégal n’avaient pas tenu en échec le Maroc qui voulait phagocyter la Mauritanie pour que celle-ci les nargue par la suite, même trois décennies plus tard.
Le principal soutien arabe de la Mauritanie était l’Irak. En effet, le président Saddam Hussein ne s’était pas limité aux simples déclarations de soutien fraternel, joignant l’acte à la parole, son engagement en faveur de ses frères mauritaniens était sans limite : soutien diplomatique et assistance financière et militaire. L’armée mauritanienne a eu les moyens de défendre l’intégrité territoriale de son pays. Le président Diouf l’admet : « Les Forces armées mauritaniennes étaient beaucoup plus armées que les militaires sénégalais. Saddam Hussein les avait équipées en missiles, et selon leur plan, ils devaient détruire Saint-Louis, et ensuite Dakar, si le Sénégal bougeait. J’ai eu la confirmation du soutien de l’Irak à la Mauritanie de l’Ambassadeur du Sénégal Massamba Sarré, qui lui-même a eu l’information de l’Ambassadeur d’Irak à Paris. »
Rupture des relations diplomatiques entre la Mauritanie et le Sénégal, affrontements sanglants occasionnant des dizaines de morts, rapatriements des ressortissants des deux pays, tel était le bilan catastrophique de la crise de 1989.
La paix entre Mauritaniens et Sénégalais était revenue peu après mais « la campagne internationale de dénonciation du régime mauritanien orchestrée depuis le Sénégal et la France auprès des journaux et organismes internationaux » va continuer sans interruption.
Du côté du Sénégal, la boucle fut bouclée tandis qu’au contraire du côté de la Mauritanie, un nouveau dossier fut monté et baptisé en termes comptables « le passif humanitaire », un fourre-tout où la question des réfugiés et celle du massacre des militaires négro-mauritaniens survenu en 1990 dans le sillage du conflit sénégalo-mauritanien sont insérés.
Malgré les efforts des autorités mauritaniennes afin de réparer les dégâts, rien n’y fait, des marchands de malheurs connus sur la scène nationale et internationale refusent et en font un cheval de bataille.
La CEDEAO n’est pas culturelle :
La crise sénégalo-mauritanienne avait éclaté en avril 1989. Un peu moins d’une année auparavant s’est tenu à Zéralda, en Algérie, le sommet maghrébin au cours duquel il a été décidé de réaliser l’Union entre les Cinq États du Maghreb. Le 17 février 1989, soit moins de deux mois avant le conflit entre la Mauritanie et le Sénégal, le Traité constitutif de l’Union du Maghreb Arabe est signé à Marrakech.
L’État mauritanien ne trouvant plus son compte avec les États ouest-africains consécutivement au conflit qui l’a opposé à son voisin sénégalais, claque la porte de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 2000 pour se tourner vers l’UMA, un autre espace économique.
De manière générale la coopération entre la Mauritanie et les pays arabes n’est pas strictement mercantile, l’arabité y joue un rôle essentiel ; l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie ont toujours aidé leurs frères mauritaniens dans divers domaines : bourses de formation pour les étudiants, contrats de travail pour les diplômés, relations commerciales bénéfiques, en plus des échanges culturels ; et au niveau gouvernemental, c’est une aide au développement dépassant les calculs pécuniaires habituels. Concernant les autres pays arabes à leur tête l’Arabie Saoudite suivie des Émirats Arabes-Unis, du Qatar, du Koweït, etc., Bilad Chinguitt formule sa requête et le financement suit.
Par contre avec les pays de la CEDEAO, il s’agit plutôt du libre commerce où le secteur informel est le plus loti, côté mauritanien en tout cas.
La sortie de la Mauritanie de la CEDEAO fut une « aubaine » aussi bien pour les FLAM que pour les Nationalistes négro-mauritaniens ; leur propagande anti-maure trouve ainsi un nouvel élément illustrant le caractère raciste de leur pays.
Les uns et les autres feignent d’oublier que leur pays « raciste » était sorti aussi de la zone franc CFA en 1973, et avait créé sa monnaie nationale : l’ouguiya, un « attribut essentiel de souveraineté, grâce au concours fraternel de l’Algérie. Le président Moktar dit à ce sujet : « la création de notre monnaie nationale et la mise en place de notre Banque centrale n’auraient pas été possibles dans d’aussi bonnes conditions sans l’aide inestimable des autorités algériennes ». Ould Daddah avait pris cette décision puisque qu’il ne voyait plus l’intérêt du franc des Colonies françaises d’Afrique. Bizarrement, il fallut quarante-sept ans pour que les dirigeants africains prennent conscience de cette question. Aujourd’hui, le CFA fait l’objet d’un rejet populaire ouest-africain unanime qui sera concrétisé dans un futur proche par la naissance par césarienne de l’ECO, ce bébé hybride, mal aimé, plus français qu’africain.
Les chantres de la négritude voudraient aussi ignorer que la CEDEAO est une organisation économique et non culturelle. Même ses langues officielles sont non africaines, européennes, bien sûr, il s’agit de l’anglais et du français.
Enfin, le Royaume du Maroc a fait depuis 2017 sa demande d’adhésion à la CEDEAO. Les ethnocentristes poulo-toucouleurs ont salué sa démarche sans rien comprendre aux objectifs stratégiques des Marocains. Ils croient que c’est pour changer d’ancrage culturel. Il convient de leur dire que le Maroc y va pour gagner. Il a fait preuve d’intelligence économique, car son industrie légère et même lourde est des plus performantes d’Afrique et il a besoin d’un marché comme celui de la CEDEAO où il pourra trouver un débouché favorable à ses produits et ses services. Le Maroc est aussi la porte de l’Afrique sur l’Europe, c’est un atout non négligeable, la CEDEAO, lui donnera une importance stratégique supplémentaire. Enfin, le Royaume chérifien est un pays touristique et toute ouverture lui sera bénéfique.
Quant à la Mauritanie qui se trouve entre le Maroc et l’Afrique de l’ouest, elle a maintenant l’opportunité de revoir sa position par rapport à la CEDEAO. Avec une nouvelle configuration économique sous régionale incluant le Maroc dans le marché commun et avec son espace géostratégique, son rôle de trait d’union prendra tout son sens et toute son efficacité économique.
Et il y a l’Organisation de la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) qui blanchit la Mauritanie. La sortie en 2000 de la Mauritanie de la CEDEAO a servi d’argument aux chasseurs en eaux troubles pour jaser sur son compte et la présenter comme un État raciste qui ne supporte pas de se joindre à ses voisins à cause d’un simple contraste de couleurs, une légère coloration, plus basanée que lactée.
C’est purement fantaisiste, la Mauritanie, « terre des hommes » et des rencontres interculturelles, est bien chez elle en Afrique de l’ouest.
Heureusement, l’Organisation de la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (l’OMVS) est bien là pour le prouver. Fondée en 1972 par le Mali, la Mauritanie et le Sénégal et élargie à la Guinée par la suite, ce bel exemple d’intégration sous-régionale reste la preuve éloquente de l’ancrage ouest-africain du pays « des hommes bleus » et de toute la mosaïque nationale.
La Mauritanie n’a jamais quitté l’OMVS et la Guinée, le Mali et le Sénégal sont des pays négro-africains.

Ely Ould Sneiba

Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?

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