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Lô Gourmo Abdoul | Bref aperçu sur le parcours et la vision politiques de Kane Saidou

Saidou KaneLô Gourmo Abdoul | Bref aperçu sur le parcours et la vision politiques de Kane Saidou
INFOS AVOMM

Les organisateurs de cette rencontre m’ont fait un redoutable honneur en me demandant de faire la présentation de Saidou Kane à l’occasion de cette journée de commémoration de sa tragique disparition.

Lô Gourmo Abdoul / Bref aperçu sur le parcours et la vision politiques de Kane Saidou
(Contribution à la Journée en son hommage à Bruxelles, Octobre 2010)

C’est en effet un honneur que d’avoir à présenter devant ses parents, amis, compagnons et camarades le parcours et la vision d’un homme d’une si grande valeur humaine, d’une si grande compétence scientifique et d’une si grande aptitude d’analyse politique comme le démontre depuis 4 ans qu’il a disparu, la ferveur qui accompagne toujours l’évocation de sa mémoire. Il ne fait pas de doute que celui que nous honorons aujourd’hui , nous qui venons d’horizons si différents, restera sans doute l’un des plus dignes fils de ce pays qu’il aimait tant et pour lequel il aura tant souffert dans sa chair et son esprit . Suis-je vraiment celui qu’il faut pour cet exercice ?

Une distante mais exquise amitié nous a lié à travers un très long et complexe compagnonnage politique où, en permanence, lutte et unité, unité et lutte ont tracé notre chemin commun vers une Mauritanie meilleure , maîtresse d’elle même, sereine, fière et égale à l’égard de tous ses enfants sans exclusive.

Le plus simple pour évoquer la mémoire d’un disparu est de relater les principaux évènements de sa vie en mettant en exergue ceux d’entre eux qui témoignent le plus des qualités qui lui sont reconnues et que l’on aimerait partager avec ceux qui ne le connaissaient pas ou pas suffisamment, en souhaitant qu’elles inspirent le plus grand nombre, contribuant ainsi au repos de son âme.

Depuis la disparition de Saidou, il y’a maintenant quatre longues années, les témoignages de cet ordre, sont nombreux venus d’ horizons divers et parfois inattendus. Ils rendent surtout compte de la place privilégiée qu’a occupé l’homme dans le cœur de ses contemporains. Il ne sera pas très utile de ma part de procéder à un tel témoignage personnel puisque de bien plus proches de lui l’ont fait mieux que je ne pourrais. Je pourrais dire beaucoup il est vrai, de ce que nous avons partagé et de ce qui nous a séparé, comme hommes politiques et comme « intellectuels engagés » (sans aucune empreinte laudative dans ce mot) durant ces longues années de combat mené au pays et dans l’exil, au plus fort du chauvinisme d’Etat et de la dictature militaire.

Mon intervention s’efforcera tout au plus d’esquisser (sans forcer les traits je l’espère) la trajectoire et les grandes idées d’un homme à la fois si proche de chacun que tous semblent le connaître bien mieux que personne d’autre et si déroutant et si riche de facettes qu’il peut paraître insaisissable à tous ceux qui méconnaissent l’influence insidieuse mais souvent décisive qu’exercent les évènements sur le penseur et l’homme d’action -et réciproquement. Cette dualité d’un personnage hors du commun à tous points de vue, attachant , sérieux et drôle à la fois, incroyablement simple et extraordinairement complexe – est le reflet d’un homme constamment habité par les tourments d’une vie dédié à l’apaisement de ceux des autres. Elle traverse de part en part, la vie de l’homme de tous les jours, l’homme de science et de culture, l’homme d’action politique et sociale.

Parcours tourmenté …

Ce parcours, comme celui de tout vrai patriote, de tout combattant de la liberté ne fut pas de tout repos. Bien au contraire, il fut de bout en bout, parsemé d’épreuves, parmi les plus dures possibles dans le contexte de la Mauritanie indépendante, un vrai « parcours du combattant »qu’il osa affronter avec passion, parfois dans l’incompréhension de ses propres compagnons de lutte et d’infortune mais toujours avec le profond respect de ceux qui le connurent , y compris parmi ses adversaires les plus acharnés.

Né le 21 octobre 1947, il connut sa toute première épreuve, dès sa plus tendre enfance avec la disparition de son père qui le laisse orphelin mais « en de bonnes mains », celle d’une mère dont le charisme et la force de caractère la font surnommer par certains, la « Grande Royale. Enfance sans doute joyeuse voire heureuse entre Dialmath, Dara Salam et Tékane dans l’ambiance du Fouta Toro profond des derniers feux du colonialisme français dont il se souviendra , petit collégien, à saint Louis du Sénégal, Lycée Faidherbe(Voir Lettre à Ahmed Baba Miské).

Si mes informations ne me permettent pas aujourd’hui de dater de manière précise le point de départ de son entrée en politique ( sans doute au Sénégal , avec le PAI de Majmoud Diop) c’est-à-dire le début véritable de ses tourments ( car toute conscience politique est douloureuse chez nous comme ailleurs !), on connaît cependant assez bien le parcours somme toute classique du jeune Saidou qui l’amène des cercles de sympathisant étudiant du MND ( Mouvement national démocratique)alors en plein essor ( de 1969 jusqu’en 1975-76) jusqu’à la direction d’organisations politiques et socio-culturelles actives pendant toute la période de dictature militaire à partir de 1978 jusqu’au coup d’Etat contre Ould Taya en 2005 et à son décès, un an plus tard.

Une jeunesse engagée

Comme tout jeune négro-africain, lycéen, il sera sensible à 19 ans, aux événements de 1966 et aux revendications de la Lettre des 19, point de départ du nationalisme négro-africain post-colonial. Mais bien vite, comme la plupart des jeunes des années 70, il subira l’influence du courant révolutionnaire incarné par le MND. Tous les nationalismes, en particulier le nationalisme chauvin arabe incarné par des variantes locales du baathisme et du nassérisme sont mis sur la touche ou sur la défensive du fait du développement d’un autre courant nationaliste, trans ethnique, anti-impérialiste, démocratique et social. Des débats scientifiques et politiques font alors rage et la jeunesse mauritanienne, toutes origines ethniques confondues, rejoint la classe ouvrière naissante et les autres travailleurs dans leur combat contre l’ordre néocolonial en formation et déjà en crise ( massacre de Zoueratt, grèves et manifestations de rue, meetings, tracts et dazibao etc).

Pour la première fois depuis la pénétration coloniale, la Question Nationale, en même temps que celle de l’esclavage, sont posées en termes de lutte politique commune du peuple mauritanien multinational. L’égalité entre les communautés et entre tous les citoyens est proclamée comme une exigence de progrès et de prospérité du pays. L’une des revendications saillantes des Kadihines concerne l’indépendance culturelle du pays à travers la défense et la promotion de toutes les langues et cultures nationales, en particulier celles dites des minorités nationales jusqu’alors ravalées au rang de « dialectes » ou de sous cultures, comme à l’époque coloniale !

On assiste à un engouement sans précédent de l’intelligentsia négro-africaine pour la promotion des langues nationales. Militants et sympathisants hal pular, Wolofs et soninkés du MND sont alors (avec bien d’autres négro-africains) à l’avant-garde du processus fulgurant de renaissance culturelle, « par le bas », des communautés négro-africaines. Des associations (comme l’ARPRIM pour la renaissance du pular ) et cercles de « renaissance » dispensant des cours d’alphabétisation et d’éveil du peuple, sont crées ou sont sous l’influence clandestine du « secteur culturel » du Mouvement, dans le cadre de sa ligne d’intégration aux masses populaires. C’est l’époque pionnière de la promotion des cultures nationales dont K. Saidou sera un fervent acteur .Ce qui expliquera le rôle majeur qu’il jouera plus tard dans la création de l’Institut des Langues Nationales.

La même démarche est suivie pour inciter les militants à épouser la cause des Haratines et des femmes, victimes du système d’oppression semi-féodal et néocolonial qu’incarne l’Etat, et à privilégier l’unité du peuple et la juste solution de ses contradictions internes. Seul un changement d’Etat par le renversement de sa direction néocoloniale et chauvine pourrait permettre de résoudre de manière radicale les questions soulevées par la coexistence entre les communautés ethniques et les groupes sociaux soumis à l’oppression, particulièrement ceux d’origine servile.

Il s’agissait là d’une rupture idéologique et théorique totale avec la démarche nationaliste négro-africaine lors des évènements de 1966 dont l’horizon ne dépassait pas, en définitive, le maintien du statu quo culturel franco-arabe hérité du colonialisme et que le chauvinisme d’Etat arabe naissant s’évertuait à remettre en cause brutalement en faveur d’un arabisme de façade.

Tel est le contexte politique et idéologique dans lequel Kane Saidou va passer sa jeunesse scolaire et surtout estudiantine et dont il reconnaîtra sans peine l’influence déterminante dans sa formation politique, scientifique et culturelle.

Etudiant d’abord à Moscou (jusqu’en 1971) puis à Bruxelles (jusqu’en 1976), il sera membre de l’UGESM (affiliée au MND) puis l’un des dirigeants en vue de l’Union Générale des Etudiants Africains de l’Université Libre de Bruxelles. D’après son propre témoignage, son adhésion aux principes démocratiques et aux idéaux de libération des peuples l’amèneront, à la fin de ses études en 1976-77, à s’envoler pour Alger (pour Tindouf) afin de rejoindre le combat mené par le F. Polisario- dont l’une des figures de proue de l’époque n’était autre que M. Ahmed Baba Miské à qui il vouait une grande admiration. L’expérience fera long feu et, comme beaucoup de militants et sympathisants du MND (surtout négro-africains), il sera très déçu par la trahison de la plupart de ses dirigeants qui, au prétexte de soutenir les mesures patriotiques du régime de Mocktar Ould Daddah (nationalisation de la MIFERMA, création de la Monnaie etc.) vont procéder à sa liquidation pour rejoindre les rangs du PPM au pouvoir

Activiste et leader nationaliste négro-africain

Avec le Coup d’Etat de 1978 s’ouvre une ère politique nouvelle en Mauritanie qui se caractérise par une redéfinition du paysage politique, le retour en force au devant de la scène de la Question nationale et l’émergence de la Question de l’esclavage (naissance de El Hor).

Chez les maures, les nationalistes arabes reprennent du poil de la bête (ils jouent un rôle non négligeable dans le coup d’Etat). L’enjeu pour eux est le maintien et l’élargissement de la domination culturelle arabe à travers l’enseignement hégémonique de la langue et l’exclusivisme politique arabe au sein de l’appareil d’Etat en pleine restructuration (en fait en pleine déconfiture !). Le courant panarabiste sort de sa coquille et s’étend dans des milieux de plus en plus larges, en particulier les milieux d’affaires et la bureaucratie militaire.

Chez les Négro-africains, c’est le retour en force de l’esprit identitaire particulariste de 66. Le nationalisme négro-africain, ressurgit avec une vigueur décuplée par les injustices chauvines, l’impéritie du nouveau régime militaire et la liquidation du MND. Il gagne en consistance théorique et en densité pratique grâce notamment aux progrès accomplis par les langues négro-africaines à travers leur transcription en caractères latins -qui élargit leur horizon, et grâce à l’arrivée massive de nouveaux cadres et militants politiques formés notamment à l’école d’un MND brisé (« trahi » dira Saidou). C’est durant cette période que K. Saidou va apparaître comme l’un des leaders les plus en vue du néo-nationalisme négro-africain en pleine expansion. Ce rôle s’explique par :

-sa compétence incontestable dans les sciences humaines (histoire, sociologie, anthropologie, relations internationales, linguistique) et dans la maîtrise de la connaissance des traits culturels dominants des communautés nationales, en particulier pular (Voir le témoignage d’une autre grande une figure du nationalisme négro-africain, Diop Mourtodo). Il jouera un rôle non négligeable dans la création de l’Institut des Langues Nationales à côté d’autres figures du renouveau culturel négro-africain. Il est chercheur à l’Institut Mauritanien de Recherches Scientifiques, chargé du Programme de Sauvegarde des Villes Anciennes de Mauritanie.

– son esprit d’initiative et son ascendant, surtout sur les jeunes élèves et cadres. Une partie de l’intelligentsia négro-africaine, suffoquant de plus en plus sous la pression grandissante du chauvinisme d’Etat, est gagné par un sentiment de révolte et sera sensible à un discours particulariste de plus en plus virulent.

Les organisations à base identitaire se multiplient dès la chute de Ould Daddah occupant l’espace laissé vacant par le MND en pleine réorganisation après sa liquidation. L’ODINAM, l’UDEM, le MPAM, … ouvrent la marche de ce nationalisme négro-africain. Kane Saidou dira, bien plus tard, que certaines initiatives de création d’organisation « ont été peut-être une réaction qu’on peut qualifier de maladroite et de sectaire ». Mais ce sera d’après lui une réaction « à la hauteur du drame (qu’on fait semblant de ne pas voir) que les mauritaniens noirs vivent dans leur pays depuis l’indépendance.(…). L’Etat pousse à l’extrémisme des revendications en s’obstinant à faire sourde oreille…. » (Voir Interview au Journal L’Authentique du 4 avril 2006).

Les revendications tournent autour de la question de l’enseignement et du partage des pouvoirs politiques et administratifs entre « les représentants » des communautés ethniques. Le rôle primordial de Kane Saidou s’affirme nettement, notamment dans sa direction de l’UDM qui lui permettra d’être l’un des co-fondateurs des FLAM. Son activisme est débordant. Il est au cœur des controverses théoriques avec les militants du MND qui dénoncent le « nationalisme étroit » et appellent à l’unité des masses scolaires sans distinction ethnique . Il est considéré par l’aile la plus « à droite » du pouvoir militaire comme l’un des principaux meneurs des élèves négro-africains. Il participe à toutes les réunions plus ou moins clandestines au cours desquelles se décide l’attitude « commune » des cadres négro-africains (anciens et nouveaux).Il est donc tout naturellement la cible des toutes premières mesures répressives de la junte militaire (CMRN) (arrestations et filatures constantes). Il affirmera plus tard que l’éphémère Premier Ministre Ould Bouceif l’aurait sans doute tué s’il n’avait péri dans un accident d’avion. En tout cas, l’incident du Conseil Consultatif crée par le nouveau régime militaire pour résoudre la crise scolaire née de la fameuse circulaire 02 mettra en lumière son rôle de leader nationaliste négro-africain radical. Il refuse en effet les quotas préconisés par le pouvoir militaire pour la composition de ce conseil destiné en principe à formuler des propositions de sortie de crise, au motif que la « part négro-africaine » y était réduite à sa plus simple expression pour un organisme appelé à prendre ses « décisions » par consensus.

Suite à la publication du « Manifeste » en 1986 par les FLAM et la tentative de coup d’Etat des officiers négro-africains révoltés (en 1987) la crise identitaire atteint son paroxysme. La réaction du régime est d’une brutalité sans précédent. L’oppression des communautés négro-africaines est sans fard et sans limites. Des exécutions ont lieu. Les arrestations se multiplient. Saidou fera partie du premier cercle des cadres négro-africains arrêtés et emprisonnés à la prison mouroir de Oualata ( Il y restera quatre longues années infernales). La répression dans le pays atteint des proportions inégalées, culminant avec des meurtres, dépossessions crapuleuses et déportations massives au sein des communautés négro-africaines avec la crise avec le Sénégal en 1989. Les Hal pular sont particulièrement visés dans une atmosphère de haine quasi hystérique. Avant cela, le bagne de Oualata était devenu le symbole de cette furie chauvine. La succession des morts témoignait déjà de la volonté dévastatrice des tenants du régime à l’encontre des bagnards et des négro-africains. Les rescapés reviennent littéralement de l’Enfer et sont des miraculés. Parmi eux figure Kane Saidou.

Kane Saidou, un militant démocrate …déroutant

Apres sa libération, il prend le chemin de l’exil qui l’amène à s’installer en Hollande avec sa famille. Il élargit le domaine de ses activités. Il est un spécialiste reconnu dans le monde pour ses travaux en histoire, en relations internationales, en anthropologie et, de manière générale, dans les aspects culturels du développement. (UNESCO, Histoire de l’Humanité. Développement Scientifique et culturel, Vol 7). Ce qui explique ses nombreux enseignements dans de prestigieuses institutions en Suisse, en France, en Belgique, en Hollande, en Afrique etc…Il sera à ce titre auteur de nombreux travaux y compris en pular (comme « Pulaareeje daartiyankeeje »)

Au plan politique, l’exil lui offrira l’occasion d’élargir ses activités dans de nouveaux milieux de l’opposition au régime de Ould Taya. Les transformations géopolitiques du monde avec la dislocation puis la disparition du bloc de l’Est et de l’Union Soviétique avaient donné un retentissement sans précédent aux revendications démocratiques, particulièrement en Afrique à la fin des années 80-début des années 90.

Kane Saidou avait vite pris la mesure réelle des événements et en avait tiré les conclusions en termes d’adaptation de son combat. Cette tendance à l’adaptation constante aux événements au risque de paraitre insaisissable sera d’ailleurs toujours l’un des traits dominants de son attitude politique. Une attitude déroutante y compris pour ses propres compagnons comme le relevait son ami de toujours Diop Mourtodo.

Il va participer à la création de l’UFD / EN à travers le groupe négro-africain de l’AMN et, à ce titre, prendra une part active dans la campagne pour les premières « élections démocratiques» du pays. Apres la crise de l’UFD/EN et l’apparition de AC (Action pour le changement), il change son fusil d’épaule et multiplie les tentatives de créer d’autres cadres d’organisation au militantisme moins traditionnel, tout en rompant définitivement avec le particularisme organisationnel. Après de vives controverses avec d’autres membres de sa direction centrale, il quitte les FLAM en 2000 (lettre de démission en décembre 2000) en leur reprochant notamment leur « orientation sectaire… ». Il met désormais l’accent sur la nécessité d’unir les forces démocratiques sur des fondements autres qu’identitaires, raciaux, ethniques ou claniques. Après des tentatives infructueuses de rapprochement avec le MND devenu UFP (avec qui il entretient des liens ambigus d’une certaine proximité idéologique et de …méfiance politique réciproque!), il crée avec d’autres militants politiques –dont la plupart issus de l’ex MDI (Mouvement des démocrates indépendants) l’organisation « Conscience et Résistance » dont l’intransigeance et l’activisme pro-démocratiques lui fera bénéficier d’un incontestable courant de sympathie dans l’opinion intellectuelle aussi bien au pays que dans la diaspora mauritanienne. La lutte contre le tribalisme, l’ethnicisme et les pratiques esclavagistes en Mauritanie sous le régime militaire sera son principal crédo.

Désormais animé d’un esprit d’unité et d’action commune entre maures et noirs et entre organisations politiques distinctes, il multiplie les initiatives de regroupement des mauritaniens de l’étranger ou y répond avec un enthousiasme débordant. Il crée l’Association « Forum de la Diaspora pour une Mauritanie unie et prospère» qu’il justifie dans ces termes : « Nous sommes convaincus que de nombreuses organisations comme Conscience et Résistance, le FAAS ou les Flam, le Collectif des organisations démocratiques mauritaniennes en Europe, en Amérique, en Afrique, les représentants des partis légaux ou d’associations nationales des droits de l’homme à l’étranger font beaucoup pour permettre à nos concitoyens et leurs amis de se parler et d’agir ensemble. ».(Interview au journal électronique « Le Refus » du 14 /07/ 2001.)

Après l’échec de la tentative de prise de pouvoir armée par les « Cavaliers du Changement » en 2003, il prend la direction d’une Alliance Patriotique composée de CR, des Cavaliers et des personnalités indépendantes , envisageant désormais une opposition armée à la dictature finissante. Néanmoins, il n’exclut pas la perspective d’une sortie de la crise politique que connaît le pays par l’ouverture d’un dialogue avec le régime de Ould Taya. Quoiqu’en «état de vigilance constante » (comme il se plaisait à dire) à l’égard de l’UFP –devenu depuis longtemps un de ses cousins à plaisanteries-, il approuve les rencontres du Président Ould Maouloud avec Ould Taya dans le cadre de la recherche d’un « compromis » pour sortir de l’impasse politique dans laquelle se trouvait plongée le pays. Lui-même se dit prêt à rencontrer celui dont il aimait à rappeler qu’il fut « un grand ami des noirs » avant sa « récupération » par les chauvins, suite aux « erreurs et maladresses » des groupes politiques négro-africains des années 80…

Tout naturellement, lorsque le 3 août 2005 Ould Taya est renversé par sa garde présidentielle (BASEP) et l’armée, K. Saidou fera partie des premiers hommes politiques à avoir réagi favorablement et de se lancer dans l’aventure de la « transition démocratique » du Colonel Ely ould Mohamed Vall. Il le fera non sans avoir tenté de mettre en avant certaines conditions préalables à travers notamment la fameuse Plate-forme de Dakar de l’opposition dite radicale (Cavaliers du Changement, Conscience et Résistance, FLAM, groupes humanitaires basés à Paris et certaines associations de refugiés ainsi que des personnalités indépendantes) qui, avec le soutien du Président Abdoulaye Wade ( qui les convoque tous et tient conférence avec eux aux frais du Gouvernement sénégalais à Dakar) essaiera d’orienter le Coup d’Etat dans un sens favorable à leurs thèses. Le refus de cette démarche inspirée par le Sénégal et le Burkina Faso (du moins dans son apparence manifeste) par l’opposition dite légale (en particulier l’UFP ) et par les nouvelles autorités militaires va bloquer l’initiative – ce que Kane Saidou regrettera grandement, sans pour autant s’en trouver découragé. Bien au contraire, il rentre à Nouakchott pour participer de plus près à l’ébullition politique et aux larges débats provoqués par l’agenda des militaires en qui il garde une certaine confiance tout en s’affirmant , avec son compère de toujours Diop Mourtodo, en état de vigilance permanente. Il proclame sans complexe son soutien à la transition et participe aux efforts déployés par l’ensemble des forces de l’opposition (légale ou non) pour faire admettre sous conditions, par la communauté internationale (particulièrement l’Union Européenne et l’Union Africaine), ce énième mais original coup d’Etat en Mauritanie.

Jusqu’à son décès tragique, Kane Saidou appellera les forces politiques et l’opinion à soutenir la transition en profitant de l’opportunité qu’elle représente en termes d’ouverture politique du pays, sans jamais renoncer pour autant à faire valoir les principes et règles politiques qui devaient d’après lui encadrer sa mise en œuvre autour d’un compromis national démocratique. Malheureusement, le destin a voulu qu’il ne vît jamais ce qui advint de cette transition qui s’avèrera n’avoir été qu’une transition vers une autre transition bien plus risquée et chargée d’incertitudes (et de coups de théâtre !)qu’il n’y paraissait…

Il ne vivra pas suffisamment pour voir à nouveau des hommes en tenue surprendre le peuple en s’emparant de sa souveraineté comme d’ un butin de guerre…Il ne fait pas l’ombre d’un doute que, combattant infatigable comme son compagnon et compère Mourtodo , il se serait à nouveau jeté dans la bataille de la démocratie avec la fougue et la passion inextinguibles qui sont les siennes et que tous lui reconnaissent . Car comme le dit son illustre ami « Il a été constant dans son combat ». Pourquoi n’aurait-il pas continué ?

Humaniste combattant ….

Il est une qualité que partagent tous les véritables hommes d’esprit et de cœur et qui, mieux qu’aucune autre, rend compte du meilleur de leurs sentiments à l’égard de leurs semblables : la modestie. Il en est une autre qui en découle tout naturellement : la tolérance. Ces deux qualités sont les deux seules dont on puisse dire avec certitude raisonnable qu’elles sont, en l’homme, les piliers de la bienveillance à l’égard de ses semblables.

Pour l’égalité…

Si Kane Saidou, pour nous ses contemporains, fut l’incarnation vivante de la bienveillance humaine jusqu’à en être gênant par certains côtés, c’est précisément pour avoir, en tout temps, fait montre, tout au long de sa vie adulte, de cette modestie et de cette tolérance si communicatives, si chaleureuses et si naturelles.

Pour avoir si souvent polémiqué avec lui, je me permettrais sans prétention aucune, de dire combien je suis d’accord avec le témoignage de Bâ Kassoum Sidiki qui rappelle cette élégance d’esprit de l’homme qui « ne dénigrait jamais, même dans le désaccord le plus profond. Au contraire, il restituait la pensée de son adversaire sans éprouver le besoin de le contredire en son absence. », lui qui, aux dires si vrais de Abdel Kader Ould Mohamed « avait manifestement, cette louable qualité de ne pas prendre ses adversaires politiques ou culturels pour des ennemis peu fréquentables. », en ajoutant que « Sa séduisante lecture du passé, conduisait souvent ses adversaires à se demander si, au final, il n’était pas en train de leur indiquer des lumières d’une cité perdue tout en choisissant un autre chemin »…

Sa modestie était d’abord celle exigeante de la non complaisance vis-à-vis de soi. Comme historien et anthropologue, il savait garder des choses, des évènements et des gens, la juste proportion qu’y représente le vrai et le faux – si souvent mélangés que seule la distance à leur égard permet d’en prendre la juste mesure. Pour lui-même d’abord. Quand, presque à la vieille de sa mort, jetant un regard sur le parcours qui fut sien en ce bas monde, il justifie l’unité nécessaire entre tous les mauritaniens sans distinction de races ou d’ethnies en ces termes : « Notre responsabilité est bien lourde pour nous permettre de perdre notre temps à nous faire la guerre(…). Pour notre part, nous avons beaucoup mûri et comptons toujours sur tous les hommes de bonne volonté pour nous aider à corriger nos erreurs pour mieux avancer ».

Cette modestie tient place dans une véritable philosophie de l’être, reflet de la condition sociale de l’homme : se reconnaître dans l’autre pour que l’autre se reconnaisse en nous. Nous sommes d‘abord ce que sont les autres et les autres ce que nous sommes. La multiplicité et la diversité humaine n’est qu’une expression parmi d’autres de l’unicité de l’humain comme réalité anthropologique et construction historique. Il s’agit là d’un résumé de notes que j’ai prises de l’une de nos interminables discussions de philosophie dans un Café, près de la Sorbonne, une après-midi de mars ou avril 2003. C’était pour me démontrer l’absurdité de mon accusation de particularisme que je lui adressais dans le feu de l’action. De là sa vision humaniste profonde, entièrement bâti autour du thème de l’égalité. Entre les citoyens, entre les ethnies et les races, entre les peuples. Il s’agit d’une égalité dans leur qualité humaine en tant qu’expression de la diversité unitaire de l’espèce humaine et des nations qui la composent aujourd’hui. Voilà pourquoi, Saidou se reconnaissait dans notre diversité populaire et sociale à la fois hal pular, maure, soninké, wolof, bambara, hartani, cubbalo, maabo, ceddo, beidhane etc…Ce n’était pas démagogique. C’était ontologique. C’était sa « philosophie de l’être » et elle prenait appui sur l’égale et irrépressible condition humaine.

Pour l’unité dans la justice

Kane Saidou ne revendique pas seulement l’égalité pour ce qu’elle représente en elle-même comme valeur sacrée, comme signe extérieur de la dignité de chaque homme et de chaque femme dans ce bas monde. Il l’exige pour ainsi dire, politiquement et moralement, comme condition sine qua non de l’unité du peuple. Comme penseur politique et homme d’action, il laissait transparaître son humanisme dans son approche de règlement des contradictions qui le préoccupaient le plus –celles entre les communautés et les races-, et dans l’objectif stratégique, global, de son activité politique et sociale. L’objectif c’est l’unité et le moyen pour l’atteindre, c’est l’égalité. Sans l’égalité entre tous, point d’unité. Là était à la fois mon principal point de divergence politique avec lui et notre principal point de convergence philosophique. Pour moi, les deux questions se soutiennent dans un rapport dialectique qui les fait alterner comme priorité suivant le contexte et la perspective (l’angle de vue) d’où l’on les scrute. Mais peu importe ici. L’essentiel est que, sur le fond, nous nous soyons en définitive retrouvés sur ce point crucial de l’exigence profonde de l’unité de notre peuple multinational et du refus commun de la division identitaire qui nous a toujours hantés (au MND). Dans sa défense de l’unité d’un peuple complexe, certains accents rappellent, avant la lettre, un certain B. Obama, et plus naturellement, N. Mandela qui a sans doute exercé une certaine influence morale sur lui. Le tout est de combattre les préjugés qui créent frustrations et illusions et entretiennent en chacun d’entre nous la part sombre de l’homme.

Pour cela, il faut le dialogue, encore le dialogue et toujours le dialogue entre les ethnies, les races et les citoyens, les groupes et les personnes, les peuples et les nations. Il ne faut avoir de cesse « de se parler, de bien se parler, de s’unir sur des préoccupations partagées à travers des propositions et actions concrètes pour nous permettre de raccourcir la longue route du recouvrement de notre dignité et de notre développement. ».(Interview au journal électronique « Le refus » précité).

Au plan politique, ce dialogue, dont Mourtodo fera aussi son crédo ( Voir son DEKALEM pour traduire organisationnellement le besoin de dialogue entre nos communautés) vise à empêcher la vielle tactique coloniale reprise par tous les régimes en place en Mauritanie, de « diviser pour régner » , maintenir les masses en état de haine et de conflit endémiques entre elles pour les détourner de leur longue lutte de libération nationale et sociale. C’est pour cela que, dira t-il, « l’Etat pousse à l’extrémisme » dans le même temps, chez les maures contre les noirs et chez les noirs contre les maures. « L’histoire nous jugera sur nos acte. « Faisons ensemble » une autre Mauritanie qui ne soit pas celle de ceux d’il y’a 43 ans qui ont contribué à notre arriération, à nos divisions et qui se nourrissent de l’exploitation raciste de nos contradictions. Nous (les négro-africains) n’avons pas le droit de nous nourrir des crimes d’un système raciste. Nous n’avons pas le droit de tuer toute une communauté (la communauté maure) parce que quelques uns de ses ressortissants sont coupables d’avoir organisé notre disparition ».

Ces questions, centrales, notamment lors des débats de 78-79 et 86-87 etc., posaient avec insistance la question de la nature de l’Etat. L’Etat était-il celui d’une communauté ( ethnicité de l’Etat), ou était-il d’une autre nature, économique et sociale ( Etat d’une classe ou d’un groupe de classes sociales de diverses origines ethniques )? Pour certains groupes négro-africains, la réponse ne fait pas de doute : l’Etat mauritanien est un « Etat Beydhane maure blanc) qui, en conséquence, pratique l’Apartheid. Pour d’autres formations politiques (dont le MND) l’Etat « moderne » a été imposé au peuple par le colonialisme afin de servir ce dernier. En conséquence, l’Etat mauritanien n’est ni « arabe », ni « négro-africain ». Il est celui de la classe sociale bourgeoise bureaucratique et compradore (même à prédominance arabe) qui en tire profit, suscite et instrumentalise les divisons au sein et entre les différentes communautés pour mieux préserver ses privilèges. S’il avantage les arabes, notamment en promouvant l’exclusivité de leur langue ou en systématisant le recrutement à base communautaire au sein de l’appareil d’Etat, c’est pour des raisons d’ordre politique, liées à la volonté du groupe social dominant d’élargir sa « base » sociale à l’échelle de l’ethnie majoritaire. Ainsi sera créée l’illusion au sein de cette ethnie que la domination de ce groupe social (domination de classe) est sa propre domination ( domination ethnique ou raciale) , illusion qui suscite les tensions non contre ce groupe social dominant mais contre son ethnie d’origine. C’est exactement à cette analyse que Kane Saidou, homme de science, fera en définitive recours quand il stigmatise les tenants du pouvoir qui entretiennent « des desseins obscurs de diviser pour régner, en hiérarchisant les communautés. Ce qui donne l’illusion à celle à qui on prétend donner la Terre Promise (la communauté arabe) de croire qu’elle ne sera jamais compromise ». (Interview précitée).

C’est précisément pour avoir rompu avec la première approche et s’être rallié à la seconde que, au fond, K. Saidou sera amené à quitter l’organisation des FLAM dont il aura été Vice-président pendant quatre années pour créer Conscience et Résistance- après avoir manqué d’intégrer le MND/UFP au début des années 2000.

On le voit donc, l’unité chez lui suppose en définitive, le rejet de l’extrémisme mais aussi une lutte sans concessions contre toutes les formes d’injustice dont sont victimes en général les plus faibles.

Sa formation scientifique et la maitrise des concepts, si essentielle pour l’homme d’action lucide, l’amenaient à prôner cette unité au sein de chacune des communautés d’une part, et dans le peuple de l’autre.

Ainsi, dans la communauté arabo-berbère, il va poser la question essentielle du statut des Haratines dont on voit maintenant toute son acuité dans la montée en puissance du courant « identitaire indépendantiste ».

Que sont les Haratines ? Une composante sociale de l’ethnie arabe ? Une ethnie à part ? Il répond, en se fondant sur l’anthropologie, l’histoire et la sociologie : « Ils sont plus qu’une classe sociale, au sens marxiste, puisqu’à l’intérieur même du groupe, des rapports d’exploitation et d’inégalité économique, juridique et politiques existent. Ils sont moins qu’une ethnie, puisqu’ils sont, bien que d’origine négro-africaine, une composante de l’ethnie maure dont ils ont la langue et les mœurs. ». Pour lui, ce groupe social a la particularité d’être « synthèse et différence dans toutes les acceptions de ces termes(…). C’est donc un groupe transitoire proche d’une nationalité en action mais qui n’a pu s’individualiser malgré sa conscience de sa propre identité. ». Pour lui, la question n’a d’importance que pour sa portée pratique, liée aux exigences de la vie politique et sociale et à l’impératif de cohésion nationale. Les Haratines sont à la fois Arabes (de par leur identité culturelle et leur socialité) et négro-africains (de par leurs origines singulières dont témoigne leur couleur de peau.). L’homme politique, rejoignant l’historien, en tire cette conclusion cruciale, à la fois pleine d’espoir et d’angoisse :
« Communauté en transition, les Haratines se donneront contradictoirement, par leur spécificité même, un rôle unificateur bénéfique. Non seulement à toute la Mauritanie mais à toute la région. Sauf si, pris par le vertige de leur force montante, ils commettent l’erreur de ne pas jouer entre les communautés nationales le rôle qui doit être le leur : le véritable trait d’union entre deux communautés maure et noire auxquelles manquaient une passerelle de communication. ». Une conclusion à laquelle, aujourd’hui plus que jamais, tous devraient profondément méditer…

L’unité du peuple mauritanien ne s’explique pas seulement par sa nécessité politique actuelle, par l’exigence présente de sa stabilité. Elle ne s’impose pas par simple et froid calcul réaliste qui oblige chacun à l’acceptation résignée de l’autre, dans une coexistence apathique et grincheuse. Non, pour Saidou, elle a une légitimité bien plus profonde que ne le croient les mauritaniens dont il découvre « tous les jours qu’ils ne se connaissent pas, donc difficile pour eux de se reconnaître ». Aussi convoquera t-il toujours l’Histoire, son éternel témoin, dans ses plaidoiries pour la défense de l’unité du pays afin que nous écoutions tous, ce que dit cette Histoire commune et nos histoires particulières.

Saidou ne se lassait jamais de rappeler que notre socle historique commun, « national », s’est construit au cours d’un processus de brassage au très long cours, entre des communautés humaines originelles qui se sont croisées dans ce vaste espace territorial auquel nous faisons partie de nos jours (le nord ouest africain) pendant plus de 2300 ans ! Les ancêtres des maures tout comme ceux des « Noirs » n’ont pas seulement « coexisté », même si l’antériorité noire ne fait l’ombre d’un doute pour personne, mais se sont agrégés, pétris les uns avec les autres, s’unissant plus que se divisant, se construisant plus qu’en se détruisant, tout en conservant en définitive leurs singularités respectives. De ce fait, ces communautés proto-mauritaniennes se sont constamment enrichies et renforcées par leurs apports respectifs à leur développement civilisationnel, à leur partage de valeurs et de grandeur. Aucune de nos communautés, en dépit des guerres et des inimitiés momentanées, ne s’est renforcée du fait de la déchéance des autres. Au contraire, et parfois dans la douleur la plus vive, elles se sont élevées ensemble pour avoir partagé des destins prodigieux.

Apporté par les Arabes « originels » aux berbères et négro-africains proto-mauritaniens, l’Islam ne s’imposera dans toute la région et bien au-delà que dans la symbiose avec la berbérité et la négritude des peuples autochtones. Ses plus grands apôtres, par-dessus les fleuves du sud ouest et au-delà des sables du Sahara et des flots de la méditerranée, dans les siècles décisifs de conquête et d’expansion guerrières seront, jusqu’à nos jours, les communautés du Tekrour Ancien, singulièrement du Fouta Toro et celles de son voisinage. Il aimait à rappeler le symbolisme unificateur de la République théocratique de Souleymane Bal, le Grand Réformateur, la subtile géopolitique de la Guerre de Char Bëbë et le pacte de sang qu’elle donna à conclure entre maures, hal pular, soninkés et wolofs, les entreprises guerrières communes depuis la prise d’Aoudaghost en 1076 ou la conquête d’Espagne en 1087 jusqu’aux dernières et tragiques épopées de la résistance de nos Emirats et de nos Almamiyas contre la vieille et orgueilleuse Dame coloniale qu’était Saint-Louis et qui, toutes, illustrent la profondeur et la densité historiques des liens entre nos communautés actuelles.
« Il faut se connaître pour mieux se reconnaître ». La connaissance historique permet à Saidou de sortir de l’approche revancharde et calamiteuse déniée de tout fondement, des rapports intercommunautaires en Mauritanie. Au contraire, elle implique un humanisme de raison, un humanisme actif et non contemplatif et « complaintif » qui impose à l’homme d’action « de rechercher la vérité dans les faits » et non dans le sondage des âmes. Il permet surtout, au regard posé sur autrui, d’être toujours aussi équitable que possible même dans la plus virulente des dénonciations d’injustice.

La grande leçon de Saidou à ses contemporains et aux générations futures est qu’il faut toujours prendre à témoin l’histoire et prendre appui sur elle pour surmonter nos difficultés du moment et aller de l’avant. Qui se fonde sur l’histoire ne saurait taire les injustices ni en exagérer la nature et la portée. L’histoire nous incline à prendre la juste mesure des choses, des évènements et des hommes puisque seule lui importe cette vérité des faits. L’histoire n’est pas muette. Elle murmure dans l’oreille de celui qui sait l’écouter. Saidou savait le faire mieux que personne d’où la force et la souplesse constante de son jugement qui firent de lui un homme d’espoir et un juste. Un vrai humaniste de cœur et de raison. Voilà ce que l’histoire devrait retenir de l’un des plus dignes et attachants fils de ce pays qu’il affectionnait tant.

Qu’il repose en paix !
Lô Gourmo Abdoul

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