L’invité Niger: le coup d’Etat militaire qui ne passe pas

L’invité
Niger: le coup d’Etat militaire qui ne passe pas
El Hadji Gorgui Wade Ndoye*
Le kidnapping facile et lâche du président du Niger, Mohamed Bazoum, par le général Tchiani, chef de la garde présidentielle, le 26 juillet dernier, constitue un recul démocratique aux conséquences lourdes et imprévisibles autant pour le Niger que pour l’Afrique francophone. Certes, à la veille de son investiture, le 2 avril 2021, Bazoum échappait à la veille à un coup d’État. Il y a une sorte de maladie congénitale liée à la démocratie nigérienne. L’armée s’impose en ultima ratio populum, le «dernier argument du peuple», selon un observateur nigérien qui considère que les trois coups d’État réussis, depuis l’indépendance, «et en particulier les deux derniers, étaient des opérations de police démocratique» face à des chefs d’État qui avaient le contrôle de l’appareil d’État et ne pouvaient pas être soumis à un processus d’«empêchement» (la destitution procédurale de l’impeachment).

Depuis les années 2000, malgré la tentative réussie de changement constitutionnel opéré par Mamadou Tanja qui a été déposé par les militaires, le Niger avec le tandem Issoufou-Bazoum, a offert à l’Afrique de belles pages récentes de son histoire démocratique. Hélas, la belle vitrine s’est craquelée, le 26 juillet dernier, replongeant le Niger dans les années sombres. Tchiani reprend la même rhétorique des putschistes en se posant comme un libérateur de son pays face à la domination étrangère. Il apparaît nettement que son acte n’a rien de grand, il est fait par «convenance personnelle». Bazoum voulait l’envoyer à la retraite!

Les autorités françaises avec leurs 1500 soldats sur place, semblent avoir été surprises par le coup d’État. Cela confirme que Paris est de plus en plus coupé des réalités de terrain en Afrique. Tout en affichant des volontés de changement – diminution du nombre de soldats, meilleure coordination avec les gouvernements locaux, etc. – «Paris continue d’appliquer des schémas préfabriqués et inadaptés», analyse Anne-Cécile Robert du «Monde Diplomatique». En réalité, si la présence française est spécifique de par l’histoire, la présence de bases militaires américaines et italiennes montre cependant que ce décalage avec les réalités est international et pose, une fois de plus, la question de la manière dont le continent africain s’insère dans les rapports de pouvoirs à l’échelle mondiale.

L’appel à la Russie fait ici figure de dérivatif. Poutine ? Lui-même est aussi surpris, qui demande comme les Américains le retour de Bazoum à son poste, même si le Kremlin déconseille l’utilisation de la force militaire pour ce faire, une option sérieuse de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) soutenue par l’Union africaine. L’ONU demande aussi le retour à l’ordre constitutionnel. Il y a donc un risque d’implosion de la CEDEAO si elle entrait en guerre contre les putschistes qui bénéficient désormais de l’appui du syndicat des nouveaux leaders au Mali, en Guinée, au Burkina tous arrivés au pouvoir par un coup d’État! L’Algérie aussi se signale pour dire non à une intervention militaire. L’autre risque, si le coup d’Etat au Niger passe, est de donner des idées aux militaires des pays comme le Togo, le Bénin, le Sénégal, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire, le Gabon.

L’Afrique francophone traverse une zone de turbulences inédite! L’arrogance de l’État français est pour beaucoup dans ses reculs malheureux de la démocratie dans l’espace francophonie! Une petite élite intellectuelle cathodique médiocre y parle avec dédain de la «haine de la France» clamée ces derniers jours au Niger, ne se donnant jamais la belle humilité de l’intelligence, afin de comprendre les vraies aspirations des anciennes colonies. L’Afrique doit davantage balayer devant sa porte, mais l’heure de la refondation des relations Afrique-Occident n’a-t-elle pas sonné?

*Directeur de ContinentPremier.com, correspondant du «Soleil» de Dakar à l’ONU.
Source: tdg.ch

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