G5-Sahel : pourquoi la France veut passer la main aux Africains…

…et à ses partenaires

La présence militaire française au Sahel paraît de plus en plus pesante aussi bien en France qu’au Mali qui accueille Barkhane.

Un sommet de deux jours – 15 et 16 février 2021 – au Tchad pour faire le point sur la crise sécuritaire au Sahel. Il réunit les présidents du G5-Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et français Emmanuel Macron, en visioconférence, à l’instar du président du Conseil européen Charles Michel, pour cause de coronavirus.

Le sommet associant le G5-Sahel, la France et d’autres partenaires internationaux a lieu un an après celui de Pau (sud-ouest de la France). Lequel, devant la menace d’une rupture sous les coups de boutoir jihadistes, avait débouché sur un renforcement militaire dans la zone dites des « trois frontières » (Mali, Niger et Burkina) et l’envoi de 600 soldats français supplémentaires pour l’opération Barkhane, les faisant passer de 4 500 à 5 100

Depuis huit ans, la France tente de contrer les attaques terroristes qui se multiplient dans une région où les violences ont fait plus de deux millions de déplacés. Mais Paris souhaite désormais lever le pied, même si elle ne peut pas se targuer d’avoir atteint ses objectifs. « Le sommet de Pau a été celui du sursaut militaire. Celui de N’Djamena sera celui du sursaut diplomatique, politique et du développement afin de consolider les résultats des derniers mois », affirmait le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devant le Sénat le 9 février 2020.

Deux pistes pour prendre du recul
La France va « ajuster (son) effort », assurait en janvier 2021 Emmanuel Macron. Elle privilégie deux solutions. L’une est l' »internationalisation », incarnée par le nouveau groupement de forces spéciales Takuba, auquel participent plusieurs dizaines d’Estoniens, de Tchèques et de Suédois. L’autre piste est la « sahélisation », c’est-à-dire le passage du témoin aux armées nationales locales que la France forme avec l’Union européenne. Des armées nationales qui sont pour l’heure sous-entraînées et sous-équipées. Au Burkina, les soldats ne sortent plus guère des bases quand ils ne les ont pas quittées.

Dans tous les cas, « il faut une variété d’acteurs pour faire face aux défis de taille dans la région », déclarait en novembre 2020 Jean-Pierre Lacroix, le Secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de paix en soulignant la nécessité de renforcer la Force conjointe du G5-Sahel. Cette dernière « joue un rôle essentiel dans la réponse régionale à l’extrémisme violent. A cet égard, il est essentiel qu’elle reçoive l’assistance dont elle a besoin pour s’acquitter des tâches qui lui ont été confiées », indiquait-il en précisant que « la question de la prévisibilité du financement reste préoccupante ». Au fil des années, cette question est devenue cruciale dans la réflexion autour d’une implication plus grande des armées africaines dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

« La position actuelle de Paris, à savoir celle de redimensionner Barkhane, tient à des considérations intérieures, explique à Franceinfo Afrique le journaliste nigérien Seidik Abba, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad. Aujourd’hui, avec la crise sanitaire, la facture est devenue trop salée – 900 millions à 1 milliard d’euros par an. S’il y a possibilité de faire des économies en réduisant un engagement comme Barkhane, la France le fera. En outre, Emmanuel Macron sera certainement candidat à sa propre succession en 2022. L’élection approche et il y a un retournement de l’opinion vis-à-vis de la présence militaire française au Mali, comme l’a indiqué un sondage récent. » En somme, Paris est confronté aux interrogations croissantes sur un engagement antijihadiste financièrement et humainement coûteux (50 soldats tués depuis 2013).

Une présence militaire vécue comme pesante
Ce n’est pas qu’en France que la présence militaire française au Mali est de plus en plus impopulaire. Ces dernières années, avec celle des Casques bleus de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), elle a été à plusieurs reprises remise en cause par habitants et militants qui dénoncent des « forces d’occupation ». Des manifestations ont été organisées, notamment en France en marge du sommet de Pau.

Le 4 décembre 2020, dans le sillage de la mort de 13 soldats français au Mali lors d’une collision entre hélicoptères en zone de combat, Emmanuel Macron avait invité les chefs d’Etat sahéliens à ce sommet en leur demandant de clarifier leur position sur la présence militaire française. Une annonce mal ressentie par beaucoup dans la région, qui l’avaient perçue plutôt comme une « convocation ». Initialement prévu en décembre 2019, le sommet se tiendra finalement en janvier 2020 en raison d’un sanglant attentat au Niger.

La controverse s’est poursuivie et a donné lieu à un incident diplomatique quelques semaines plus tard. En février 2020, l’ambassadeur du Mali en France, Toumani Djimé Diallo, critique sévèrement les soldats de la Légion étrangère participant à Barkhane dans son pays, au cours d’une audition devant la commission Défense du Sénat. « Il n’y a pas de sentiment anti-français au Mali. Il y a eu, à un moment donné, un ressenti au sein de la population contre la présence militaire française », déclare-t-il alors. « D’abord, avec tant d’hommes et de moyens déployés, on s’attendait à plus de résultats, moins coûteux en vies humaines. D’autre part, je vais vous parler franchement, dans ces forces, il y a des officiers, l’armée normale, mais aussi la Légion étrangère. C’est là le problème. » Sa sortie provoque l’ire des autorités françaises qui dénoncent des propos « faux et inacceptables ». Au lendemain de ces déclarations mal reçues par Paris, le Mali rappellera son l’ambassadeur.

Récemment encore, début janvier 2021, Barkhane a été accusée d’avoir commis une bavure lors de frappes aériennes contre des jihadistes. L’opération a fait près d’une vingtaine de morts, des civils, selon les villageois maliens. Ce que l’armée française a démenti.

Bilan mitigé
L’armée française revendique d’avoir sérieusement affaibli l’organisation Etat islamique (EI) et tué plusieurs chefs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Le nombre d’attaques de camps militaires a baissé en 2020. Mais les deux principales nébuleuses jihadistes restent très actives. Ainsi, en dépit des succès tactiques revendiqués, le tableau demeure très sombre.

Plus de huit ans après le début dans le nord du Mali d’une crise sécuritaire qui continue à étendre ses métastases à la sous-région, quasiment pas un jour ne se passe dans la région sans une attaque contre ce qu’il reste de représentation de l’Etat, l’explosion d’une mine artisanale ou des exactions contre les civils qui sont les principales victimes du conflit.

Une solution holistique
Au plan militaire, comme l’a souligné Jean-Yves Le Drian, il faut désormais allier diplomatie, politique et développement. Sur le plan politique, la France juge que trop peu a encore été fait par ses partenaires sahéliens, par exemple au Mali, pour appliquer un accord de paix signé avec l’ex-rébellion du Nord ou pour faire revenir les instituteurs et les médecins dans les localités qu’ils ont désertées. Une démarche politique qui rime avec développement.

« Comme le disait récemment le patron de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure, Bernard Emié), le terrorisme devient de plus en plus endogène. Sur les trois frontières, les chefs des katibas et les combattants sont des gens du Niger. De même, ce sont des Maliens qui sont dans les mouvements terroristes. Les jeunes sont recrutables parce qu’ils n’ont rien à faire. Même si on augmente les effectifs et qu’on achète des avions, ils le seront toujours si on ne règle pas la question du développement. Un militaire français disait : ‘On en tue 10 et 20 réapparaissent parce qu’on peut recruter des jeunes.’ Il faut articuler la solution militaire aux questions de développement. Cela permettrait aux jeunes de ne plus être la proie des groupes terroristes », analyse Seidik Abba qui vient de publier Pour comprendre Boko Haram (L’Harmattan). En prenant l’exemple du groupe terroriste qui harcèle les populations dans le nord du Nigeria, il note : « La question idéologique n’est pas fondamentalement celle qui motive les combattants qui s’engagent. Ils le font aussi pour améliorer leur quotidien. »

Investir dans le développement implique également de la bonne gouvernance. « Dans le nord du Mali, par exemple, quand il y a eu les précédents accords de paix, l’argent mis à disposition dans le cadre de projets de développement a servi à l’élite de la région ou au gouvernement de Bamako. L’argent n’a pas fait l’objet d’une traçabilité. Il faut de la transparence », conclut Seidik Abba.

Si Paris souhaite plus de politique, elle est frileuse quant à d’éventuelles négociations avec les jihadistes. A court terme, les militaires qui gardent la mainmise sur les autorités de transition installées après le putsch d’août 2020 au Mali, épicentre de la crise, reprennent à leur compte la nécessité d’un dialogue avec les chefs jihadistes maliens Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa. Une hypothèse officiellement exclue par Paris. Au contraire, le sommet de N’Djamena pourrait « acter l’effort ciblé sur la haute hiérarchie » du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance jihadiste affiliée à Al-Qaïda, hiérarchie dont les deux hommes sont les principales têtes, explique l’Elysée.

« Le Mali doit pouvoir dialoguer si cela est nécessaire, objecte Seidik Abba. Il y a quelques semaines, on apprenait que le patron de la DST (ex-DGSI) avait passé un accord avec des terroristes après l’attentat de la rue des Rosiers (1982) pour qu’ils ne viennent plus frapper la France. Dans le cas du Mali, des Maliens dirigent des katibas. Peut-on engager le dialogue et faire revenir à la raison certains d’entre eux ? C’est envisageable. Nous voyons ce qu’il s’est passé avec Boko Haram au Niger. Quand l’Etat a demandé aux combattants de déposer les armes en les assurant qu’ils ne seraient pas poursuivis, plus de 500 personnes se sont manifestées. C’est une porte qu’il ne faut pas écarter. Après 18 ans de combat avec les talibans, les Américains se sont assis pour négocier avec eux. Il serait préjudiciable pour le développement d’attendre tout ce temps. »

Article rédigé par Avec AFP – Falila Gbadamassi
France Télévisions Rédaction Afrique

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