Exclusif: Breidelleil n’est pas né nationaliste arabe.

Exclusif: Breidelleil n’est pas né nationaliste arabe.

En Mauritanie, Mohamed Yehdhih Ould Breidelleil était reconnu comme le leader incontesté du parti Baath et subissait régulièrement des persécutions en raison de ses convictions nationalistes arabes. Les tribunaux, la police politique et les prisons du pays en témoignent. Arrêté à plusieurs reprises, traduit en justice et incarcéré, Breidelleil était resté ferme et inébranlable face à l’oppression.

Évoquer le nom de cet intellectuel talentueux dont l’engagement, la ténacité, la finesse de ses analyses et son génie visionnaire ont suscité l’admiration de tous, c’est parler de la vie politique de la Mauritanie post indépendante. Ce pays qui était parti en claudiquant, ralenti dans sa progression en ordre serré par la colonisation qui avait habilement utilisé sa langue comme un sujet de discorde nationale.

La naissance du parti Baath
anciens hommes politiques et intellectuels dirigés par Mohamed Yehdhih Ould Bredeleil , Memmed Ould Ahmed et Devalli Ould Chein – image archives

La naissance du parti Baath

En 1967, après avoir terminé ses études de journalisme en France, le futur dirigeant sera confronté aux répercussions regrettables d’une crise raciale majeure qui venait de secouer son pays. La question délicate de l’identité du nouvel État indépendant est à l’origine de ce choc. Pays arabe ou négro-africain, ou bien les deux en même temps, telle était la question ?

Le déclic se produira lorsque le président Moktar prendra la décision d’introduire l’enseignement de la langue arabe. Plusieurs hauts cadres de la vallée vont écrire une lettre-tract au ton séditieux exprimant leur désaccord avec cette mesure. Ces mêmes dirigeants avaient déjà formulé des exigences pour assurer la préservation de leur identité culturelle, leur négritude. Cela s’est déroulé lors de la constituante d’Aleg en 1958.

Parmi les auteurs, on comptait Bah Mohamed El Bechir, Ba Abdoul Aziz, Daffa Bakary et plusieurs autres, dix-neuf au total dont deux tiers étaient des Pulaars, d’après le président Moktar. Ces ethnicistes s’engageaient à combattre ‘toute tentative d’oppression culturelle et à stopper l’arabisation à outrance’, tout en rejetant le bilinguisme arabe et français qu’ils considéraient comme une tromperie.

Par ailleurs, ils remettaient en question l’existence d’une majorité arabe, car les proportions annoncées étaient fausses, d’après leurs dires.

La couleur est ainsi annoncée. Les Arabo-Mauritaniens étaient considérés comme une minorité, et ils devaient donc partager équitablement le pouvoir entre les différentes ethnies nationales.

De plus, les fondateurs du ‘’ Black nationalisme  » avaient insisté sur le fait que le français soit la langue officielle de l’État et qu’il soit utilisé comme un moyen d’unité nationale en se référant, fort probablement, à l’exemple du Sénégal voisin, où le président Senghor a opté pour la langue française, considérée comme neutre, afin de résoudre la rivalité ethnolinguistique dans son pays. Cependant, Senghor était un membre fondateur et un fervent promoteur de la francophonie, un Toubab ‘peau noire, masque blanc’.

Même après 60 ans de cohabitation, il est clair que la majorité des cadres négro-mauritaniens manifestent toujours un manque d’intérêt, voire une hostilité envers la langue arabe. Ils pensent qu’adopter cette langue est similaire à la reconnaissance du caractère arabe de l’État mauritanien, or le modèle communautariste, c’est-à-dire une république consacrant l’ethnicité et refusant la citoyenneté républicaine individuelle a toujours été celui des nationalistes négro-mauritaniens.

En raison de la montée du nationalisme noir, annoncé par le groupe des 19 et où on pouvait percevoir en filigrane l’appui de la France et du Sénégal, un groupe de personnes, dirigé par Breidelleil, Memed Ould Ahmed, Mohamed Ould Sidiya Ould Ebnou, Mohamed Ould Babetta, Fadel Ould Sidi Haiba et El Hadrami Ould Dahi a créé le parti Baath arabe socialiste de Mauritanie, bénéficiant du soutien de l’Irak et de la Syrie.

À présent, les nationalistes arabes et les nationalistes noirs se font face. Ils sont en conflit ouvert.

D’après les Baathistes et les Nasséristes, Bilad Chinguitt, qui est connu comme le pays des Maures par les colons, est considéré comme arabe depuis des siècles et des siècles. Pourquoi est-ce nécessaire de modifier ou de tronquer son identité ?

En fait, les Arabo-Mauritaniens, de nature fière et conservatrice, ont catégoriquement rejeté l’idée du Royaume-Uni du Maroc et de la Mauritanie, à l’instar de l’Espagne ou de la Grande-Bretagne. En conséquence, quelle serait l’importance d’un État mauritanien à la fois arabe et négro-africain, un pays multiculturel dont l’identité est pulaar, soninké, wolof et arabe ?

Les partisans du Baath insistent aussi sur le fait que l’arabe était la langue du savoir des Ouest-Africains. Le colonisateur avait même autorisé aux élèves mauritaniens de suivre deux heures d’arabe à l’école, en tenant compte de cette réalité. Pourquoi renoncer à cette langue bien enracinée si ce n’est pour s’aliéner définitivement ?

D’autre part, l’enseignement du pulaar, du soninké et du wolof est inexistant au Sénégal, en Guinée ou au Mali, et ces langues ne sont pas reconnues comme langues officielles dans aucun pays d’Afrique.

Breidelleil au secours de la Mauritanie

Mohamed Yehdhih Ould Breidelleil
Mohamed Yehdhih Ould Breidelleil

En 1976, après une longue période de sècheresse, la Mauritanie entra en guerre contre les Sahraouis. Qu’elle soit légitime ou non, en tout cas, elle était mal préparée, presque improvisée, avec des ressources limitées et le pays en a pâti sévèrement.

La paix est meilleure. Les partisans du Baath se mobilisent et apportent leur soutien au coup d’État de juillet 1978 qui va évincer le président Moktar et prendre le pouvoir.

Et les nouvelles autorités mirent fin à la guerre, comme ils l’avaient promis. La complicité entre Breidelleil et le commandant Jiddou Ould Saleck, un Saint-Cyrien de grande valeur intellectuelle et fervent panarabiste, avait joué un rôle décisif dans cette décision.

Quant à la tension nationale, cela a été une période de calme. De la même manière qu’elle avait diminué grâce aux Kadihines, un mouvement de gauche stimulé par la contestation étudiante en France en mai 68.

En 1986, la Mauritanie n’a toujours pas évolué vers un État biracial, il est donc crucial de libérer sa population noire de l’emprise arabe. Les Forces de Libération Africaine de Mauritanie (FLAM) voient le jour grâce à l’initiative de Saidou Kane, un assistant d’élevage sénégalais devenu citoyen mauritanien.

Par la force des armes, de jeunes officiers peuls et toucouleurs cherchèrent à prendre le pouvoir. Ils sont éliminés. Cela a mené à un enchainement macabre. Des soldats arabes apeurés commettent un massacre en représailles contre des militaires peuls et toucouleurs. Suite à un incident frontalier entre un Soninké mauritanien et un Peul sénégalais, un conflit intercommunautaire éclate, avec un nombre considérable de victimes des deux côtés. Les tambours de la guerre sont battus par l’armée sénégalaise, avec le soutien de la France. Les armes devraient parler. La Mauritanie est sérieusement menacée et le porte-parole des FLAM affirmera plus tard que leur victoire était à portée de main.

C’est à ce moment-là que Breidelleil et ses amis entrent en contact avec la direction de leur parti à Bagdad pour sauver ‘’ le terminal ouest  » du monde arabe. Ils ne seront pas déçus du tout. L’ambassadeur irakien à Paris mettra en garde le Sénégal par l’intermédiaire de son ambassadeur que la tanière de l’arabite’ est défendue. Bilad Chinguitt est sauvé.

Exclusif: Breidelleil n'est pas né nationaliste arabe.
Breidleil à droite, au centre Ahmed Ould Sidi Ould Hanena et à gauche, Ely Ould Sneiba
( image archives)

Breidelleil et moi

En juillet 2003, j’ai été reçu par Mohamed Yehdhih Ould Breidelleil en compagnie de son alter ego Devaly Ould Cheine. C’était sur recommandation de Memed Ould Ahmed qui m’avait repéré lors des élections législatives de 1997 à Aioun El Atrouss, où nous étions tous les deux engagés pour une liste d’opposition.

Le sujet principal de cette réunion était la candidature de l’ancien président Haidalla à l’élection présidentielle de novembre. Breidelleil a présenté un exposé argumentatif clair et limpide : le président Taya a persisté dans son refus de se corriger, la claque infligée par le coup d’État du 8 juin ne lui a pas permis de prendre conscience de la gravité de la situation. En conséquence, le changement est devenu une nécessité absolue. J’étais enthousiaste à l’idée de me battre contre ce pouvoir corrompu au bilan médiocre. La campagne a été lancée et elle a été remarquablement puissante et percutante. Taya est furieux, son dernier meeting électoral à Nouakchott en est la preuve. Nous devons subir les conséquences de notre audace : procès suivi d’une peine de prison. Nous avons été condamnés pour avoir tenté de prendre le pouvoir par la force, et nous avons écopé de peines de prison avec sursis. Breidelleil a reçu une peine de 4 ans et moi-même une peine de 5 ans. Comment se fait-il que ma peine ait été plus lourde ?

Une fois libérés, nous avons emprunté des chemins différents pour finalement nous retrouver avec l’ancien Premier ministre Sid’Ahmed Ould Bneijara, car la Mauritanie avait également besoin de conseils. Les accords de Dakar avaient mis fin à la nouvelle crise et prévu la tenue d’une nouvelle élection présidentielle. J’ai soutenu le président Ely Ould Mohamed Vall et Breidelleil est allé du côté du président Mohamed Ould Abdel Aziz. En 2019, lors de l’élection présidentielle, nos opinions ont divergé à nouveau : il a soutenu l’ex-premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar, et moi j’ai adhéré à la candidature du président Mohamed Ould Cheikh Al Ghazouani.

Du point de vue idéologique, c’était meilleur. Pendant un certain temps, je n’ai pas été réceptif aux idées nationalistes arabes, au Baath et au Nassérisme. Cependant, en m’imprégnant de la littérature politique de mes concitoyens foutanké, en particulier la propagande des FLAM, j’ai compris comment l’on peut être nationaliste arabe. Presque tous ces activistes ne se différencient en rien des revendications du groupe des 19. Ils affirment se battre contre l’exclusivité arabe de l’État mauritanien, donc en faveur du confessionnalisme ethnique. Ils sont partisans du pluralisme des langues officielles, donc en faveur de la confusion linguistique. Enfin, ils adhèrent à la théorie du partage équitable du pouvoir et des richesses nationales en fonction de l’ethnie, ce qui engendre le communautarisme racial. Enfin, ils estiment que l’intégration est similaire à l’assimilation. Où se trouve la République dans tout cela ?

La disparition de Mohamed Yehdhih Ould Breidelleil laisse un grand vide en Mauritanie et dans le monde arabe, car il était une personnalité influente, dotée d’une grande culture et d’une sagesse remarquable. Un panarabiste de grande valeur. La langue française perd également une plume d’exception et un auteur talentueux.

Personnellement, j’étais ravi que le président de la République l’ait décoré à titre posthume.

Qu’Allah lui ouvre les portes de son immense paradis.

Ely Ould Sneiba

Le 13 janvier 2024

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