« La France est embarrassée par la résolution européenne à l’encontre du Maroc »

« La France est embarrassée par la résolution européenne à l’encontre du Maroc »

Tribune

Pierre D’Herbès Expert en intelligence économique chez d’Herbès Conseil

Alors que s’ouvre ce jeudi 2 février un sommet entre l’Espagne et le Maroc, le Parlement européen a voté, jeudi 19 janvier, une résolution non contraignante appelant le Maroc à libérer le journaliste Omar Radi et à « garantir aux journalistes incarcérés un procès équitable ». Consultant en intelligence économique, Pierre d’Herbès analyse les raisons pour lesquelles la France est embarrassée par cette résolution européenne.

Quels sont les faits à l’origine de cette résolution ? Né en 1986, Omar Radi est un journaliste marocain, cofondateur du journal en ligne Le Desk. Le 19 juillet 2021, il est condamné par la justice marocaine à une peine de six années de prison ferme, pour des faits d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État, mais aussi de viol. La condamnation est confirmée en appel en mars 2022. Aujourd’hui, le journaliste continue de clamer son innocence.

Un vote mal perçu

Le vote européen a entraîné une levée de boucliers médiatique au Maroc, ainsi qu’une riposte politique. Le Parlement marocain, lors d’une séance plénière, a dénoncé une campagne d’accusations jugées « fallacieuses ». L’institution déclare ainsi avoir reçu « avec beaucoup de surprise et de ressentiment cette recommandation qui a mis à mort la confiance entre les institutions législatives marocaines et européennes ». La résolution du Parlement européen est par ailleurs jugée susceptible « de nuire aux acquis accumulés au fil de décennies d’actions communes ». Le ton employé est virulent. Il souligne le fossé qui se creuse dans la relation bilatérale entre Rabat et Bruxelles.

Pour une partie de l’opinion publique marocaine, cette résolution jugée « arrogante », constituerait une « ingérence » dans son système judiciaire. Certains médias comme Médias24, Le360 ou Barlamane.com se sont fait l’écho de ce mécontentement. Ils jugent aussi scandaleux que la parole de la victime soit mise en doute. Madame Boutahar, jugée victime du viol d’Omar Radi, a d’ailleurs envoyé un courrier aux parlementaires européens pour faire part du « choc brutal » et de la « profonde blessure » occasionnée par la résolution sur son moral.

La France et l’Espagne embarrassées

Passerelle entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc est conscient de ses spécificités géographiques et culturelles. De facto, son influence et son prestige en Afrique de l’Ouest placent le pays dans une position de partenaire pivot ; notamment dans le cadre du règlement, civil et militaire, de la crise sécuritaire du Sahel. La signature des accords d’Abraham en 2020, qu’a ralliés le royaume chérifien et qui normalisent les relations diplomatiques avec Israël, aurait pu être le point de départ d’une intensification de la coopération, déjà resserrée, entre Rabat et l’Europe. Les troubles de ces derniers mois ont remis en question cette perspective. Et un climax a été atteint au mois de janvier avec la résolution européenne condamnant le Maroc.

La France est embarrassée par cette résolution européenne. Le président Macron a ainsi indiqué qu’il était « inconvenant de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un pays ami ». Parallèlement, les eurodéputés de la majorité du président français, membres du Groupe Renew, votaient en faveur de la résolution, à l’origine de laquelle figurent d’ailleurs certains de ses membres. Un élément qui n’est pas passé inaperçu à Rabat.

Du côté de Madrid, les élus du Parti socialiste espagnol (PSOE), formation du premier ministre Pedro Sanchez, se sont prononcés contre la résolution. L’eurodéputé PSOE Juan Fernando López Aguilar confirme cette position, lors du « Foro Premium del Atlantico », en critiquant publiquement le discours offensant de l’Europe vis-à-vis du Maroc, qu’il qualifie de « voisin indispensable ». Le vote espagnol s’inscrit dans la nouvelle ère des relations hispano-marocaines marquée par une plus grande proximité diplomatique après des années de confrontation. Le renouveau s’est amorcé en 2022 avec la reconnaissance par l’Espagne de la souveraineté marocaine sur les provinces de Seguia El-Hamra et d’Oued Ed-Dahab.

La crainte d’une concurrence algérienne

L’Élysée est en revanche accusé de se détourner de son allié traditionnel marocain au profit de l’Algérie. Ces dernières années, Paris a ébauché plusieurs rapprochements dans le contexte de la crise sécuritaire du Sahel ou bien de la crise énergétique provoquée par la guerre d’Ukraine. À noter que les relations entre les deux pays restent empreintes de méfiance. En 2021, dans le Sahel, l’Algérie s’était détournée de Paris pour aller vers la Russie et le régime de transition malien.

De plus, le royaume chérifien reproche à Paris de manquer de clarté quant à sa position sur la souveraineté de Rabat sur le Sahara marocain, contrairement à l’Espagne ou aux États-Unis. Cela malgré la proximité économique et militaire franco-marocaine. Signe extérieur de crispation : une visite de la Direction générale de l’armement (DGA) et une coopération judiciaire auraient été annulées ces derniers jours par Rabat, selon Le Desk.

Alger est un antagoniste majeur pour Rabat. Les deux pays ont rompu leurs relations diplomatiques en 2021 et le sommet de la Ligue arabe en novembre 2022 a constitué un nouveau point d’acmé dans leur discorde. Les tensions ont connu un pic lors du Championnat d’Afrique des nations de football, organisé en Algérie. Du fait de la fermeture de l’espace aérien algérien au Maroc, les joueurs du royaume ont été interdits d’atterrissage à Constantine et donc de participer à la compétition. Cette rivalité date de l’indépendance et se cristallise autour de différends frontaliers, en particulier sur la question de la souveraineté du Maroc sur ses provinces sahariennes. Depuis les années 1970, Alger apporte son appui au groupe séparatiste régional, le Front Polisario.

Vers une rupture diplomatique ?

Rabat considère que son traitement par l’Union européenne et la France appartient à un registre anachronique contraire à ses intérêts souverains et qui remet en question l’intégrité de son système judiciaire. Pour le Maroc, la résolution du Parlement européen n’est donc pas seulement interprétée comme une ingérence, mais aussi comme une prise de position diplomatique à son encontre. Rabat considère également que l’Algérie, État considéré comme autoritaire, bénéficie d’un double standard européen par rapport au Maroc.

Sans se prononcer sur les aspects juridiques et politiques de l’affaire, ses conséquences diplomatiques sont sérieuses. Le risque de répercussions négatives sur la collaboration sécuritaire et économique avec l’Europe, mais aussi avec la France, est élevé. La perte d’influence de Paris et de Bruxelles pourrait être historique dans un pays stratégique et traditionnellement allié.

Source: la Croix 

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