En Afrique, la lutte contre la mortalité maternelle et infantile fragilisée par le Covid-19 et l’insécurité

En Afrique, la lutte contre la mortalité maternelle et infantile fragilisée par le Covid-19 et l’insécurité

Selon l’OMS, les personnels qualifiés sont en nombre insuffisant, tandis que dans certains pays les populations ont de plus en plus de difficultés pour accéder aux soins.

Par Nathalie Sala Gisa
Publié hier à 21h00, mis à jour hier à 21h00

Une femme et son enfant souffrant de malnutrition dans un hôpital de N’Djamena, le 26 septembre 2022. MAHAMAT RAMADANE / REUTERS

La pandémie de Covid-19 n’aura pas seulement eu des répercussions négatives sur la prise en charge des grandes maladies qui frappent l’Afrique, comme le paludisme. Elle a aussi freiné le déploiement des programmes de lutte contre la mortalité maternelle et infantile. Le dernier Atlas des statistiques sanitaires africaines, publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) début décembre, en fait le constat en relevant « un ralentissement dans la réalisation des principaux objectifs relatifs à la santé », et notamment ceux concernant la santé des mères et des enfants.
Cela compromet les chances d’atteindre les buts fixés en 2015 dans le cadre des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, visant à faire passer le taux de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes d’ici à 2030. L’ambition est aussi d’éliminer les décès évitables de nouveau-nés et d’enfants de moins de 5 ans, de ramener la mortalité néonatale à 12 pour 1 000 naissances vivantes au plus, et la mortalité des enfants de moins de 5 ans à 25 pour 1 000 naissances vivantes au plus.

L’évolution de la situation en Afrique détermine fortement les résultats au niveau mondial : « Près de 99 % des décès maternels surviennent dans les pays en développement, dont plus de la moitié en Afrique subsaharienne, où le taux est de 525 décès pour 100 000 naissances vivantes et de 27 décès néonatals pour 1 000 naissances vivantes », souligne le rapport. Au niveau régional, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale affichent les retards les plus importants. « Un grand nombre des décès maternels surviennent dans ces deux régions », pointe Maurice Bucagu, expert en santé maternelle au siège de l’OMS. A elle seule, cette partie du continent concentre 40 % des décès maternels et un tiers des décès d’enfants. En 2030, les décès maternels y seront encore plus de cinq fois supérieurs à l’objectif visé.

La cause des décès est le plus souvent liée à des complications survenues pendant la grossesse ou l’accouchement : hémorragie post-partum, hypertension artérielle, infections ou encore avortements pratiqués dans des mauvaises conditions. Du côté des enfants, la malnutrition chronique, la diarrhée, les infections respiratoires et le paludisme sont identifiés comme les premières causes de mortalité.
Des agents de santé ciblés par des groupes terroristes

Des situations pourtant évitables, mais les structures de soins et les personnels qualifiés sont en nombre insuffisant. « Les sages-femmes, les infirmiers, les médecins obstétriciens ou les gynécologues se trouvent surtout dans les grandes villes et très peu dans les milieux ruraux, qui concentrent pourtant la majorité de la population », explique Adam Ahmat, responsable des ressources humaines pour la santé et la planification au bureau régional de l’OMS. Une situation aggravée par la pandémie de Covid-19. « Les personnels de santé ont été réquisitionnés pour assurer la prise en charge des cas de coronavirus. Dans des centres de santé, des soignants non qualifiés se sont occupés des accouchements, des soins prénatals et postnatals. Certaines unités de soins de maternité ont même été fermées », ajoute-t-il.

Le contexte sécuritaire dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest constitue aussi un obstacle à la mise en œuvre de politiques de santé plus ambitieuses. « Au Sahel par exemple, dans des pays tels que le Burkina Faso, le Mali et le Niger, certaines populations ont de plus en plus de difficultés pour accéder aux soins de santé », explique Issaley Abdel Kader, directeur des opérations de l’ONG Alima, qui intervient dans douze pays africains. Le ciblage des agents de santé par les groupes terroristes, « dans certaines zones comme le nord-est du Nigeria, laisse des milliers de femmes et d’enfants sans accès aux soins », poursuit-il : « Les accouchements ne sont donc plus assurés par du personnel qualifié et tout le progrès fait en matière de vaccination est en train de tomber à l’eau. La résurgence de certaines maladies comme la poliomyélite est à craindre. » Le médecin déplore aussi « l’attitude réfractaire de certains groupes armés confessionnels à la planification familiale, par exemple ».
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La planification familiale est pourtant essentielle pour améliorer le sort des mères et de leurs enfants. Sur le continent, 56,3 % des femmes en âge de procréer (âgées de 15 à 49 ans) ont accès à des services de planification, avec des méthodes contraceptives modernes, contre plus de 77 % en moyenne au niveau mondial. Mais en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les performances sont bien inférieures : le taux d’accès à des méthodes modernes de contraception est de 5 % au Tchad et de 17,5 % au Niger, les deux pays au plus fort taux de fécondité de la région. Au Sénégal, seulement un quart des femmes ont les moyens de contrôler leurs grossesses. Et même dans les principales économies de la région, comme la Côte d’Ivoire, les progrès sont lents : « La prévalence [dans l’utilisation de la contraception] a évolué de 7 à 18 % en trente ans », relève Fatim Tall, chargée d’appui aux programmes de santé maternelle et infantile de l’OMS en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Mali.

Pour renverser la tendance, Mme Tall préconise une approche qui tienne compte de l’éducation et de l’indépendance financière des femmes. « Il y a une grande différence entre les femmes qui ont reçu une éducation et les autres. Ces dernières ont moins de pouvoir de décision au sein de leur couple, de leur famille ou de la communauté, explique-t-elle. Cela a une incidence sur leur niveau de revenus et l’utilisation même des services de santé, soit pour elles soit pour leur enfant. » Pour la docteure Tall, « la mortalité maternelle devrait être davantage considérée comme un problème de développement que comme un problème sanitaire uniquement ».

Cet article a été réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.

Nathalie Sala Gisa

Source: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/12/13/en-afrique-la-lutte-contre-la-mortalite-maternelle-et-infantile-fragilisee-par-le-covid-19-et-l-insecurite_6154276_3212.html

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