De l’exilé au « local »: ma réponse à mon ami Ahmadou Tajeddine.

De l’exilé au « local »: ma réponse à mon ami Ahmadou Tajeddine.

Bonjour mon cher frère et ex-compagnon de lutte Ahmed, c´est tout un plaisir d´avoir tes nouvelles. Je me porte à merveille que Dieu soit remercié et loué. Certes nous sommes tous concernés par les événements tragiques des années 80 et 90 mais formulons-nous tous avec autant d’exigence pour que la lumière soit faites sur ces années de braise pour entamer la page ou la phase de la réconciliation nationale ? Je m’en doute.

Je ne le pense pas en lisant entre les lignes votre petit pamphlet et le dédain auquel vous répondez à notre revendication. Sachez d’abord que ce n´est pas par gaité de coeur qu´on quitte son pays pour vivre sous d´autres cieux ou « nuages » plus abondants comme vous l´insinuez dans votre posting! Si la Mauritanie était un pays normal, paisible et juste, rien ne pouvait justifier la fuite de nos cerveaux et des dignes fils et filles de la patrie vers d’autres cieux qui profitent aujourd’hui de cette matière grise.
Vous ne savez pas ce qu’est la vie en exil. Vous ne savez pas ce qu’on peut ressentir en entendant les nouvelles de la disparition des uns après les autres, des êtres chers, des proches auxquels on est resté séparé des années et qui s’en sont allés en emportant avec eux leur chagrin et votre nostalgie!
Vous ne mesurez pas l’ampleur de l’amertume de ces braves citoyens en exil de ne pouvoir offrir leurs compétences et leur expertise à ce pays qui leur est plus cher que tout le confort du monde!
Non, les militants que nous sommes ne peuvent être retenus en exil par aucun avantage matériel personnel. D’ailleurs le peu qu’ils gagnent, à la sueur de leur front, ils le répartissent entre leurs devoirs militants, le developpement local et leurs obligations sociales. Non, nous ne sommes pas en exil doré. Cela dit , encore une fois , il n’y a pas d’exil doré. Du moins pour des patriotes sincères , car comme disait l’autre « on est bien que chez soi ». L’exil doré est un mythe, naïvement développé par ceux là qui n’ont pas été contraints à quitter leur terre natale! Nous pouvions pourtant faire comme certains et nous transformer en griots apologistes de nos petits roitelets et hommes de bérets étoilés mais nous n´avons pas la « chance »
d´être dotés d´aussi souple échine c´est pourquoi nous avons préféré l´honneur aux honneurs de la république des injustices
Et comme le disait bien le martyr Tène Youssouf Guèye l’auteur de  » Les Exilés de Goumel: « Je n´oublierai jamais, moi, la vie mouvementée d´Exilé, pourchassé de ville en ville, les journées sans but et les nuits longues interminables où le mal du pays vous tient l´oeil ouvert et vous déchire les entrailles ».
Pour revenir à ton texte, ce que nous disons c´est un cri local des ”locaux”, un cri de coeur et en choeur des orphelins, des veuves, des mères des pendus, des pères des pendus, des rescapés de ces prisons
d´horreur, des spoliés, des expropriés de la vallée, des radiés et des licenciés, des anciens réfugiés devenus apatrides et sans papiers dans leur propre pays mais aussi celui des déportés qui croupissent toujours dans des camps d´exil au Sénégal et au Mali, c’est aussi celui des milliers d´exilés mauritaniens dans les quatre coins du monde qui ne peuvent plus trouver sécurité et insertion dans leur patrie et nous ne faisons qu´amplifier les échos de leurs cris et pleurs. Soyons positifs et zen mon cher frère et ne voir dans le rappel de nos souffrances d´hier et d´aujourd´hui, de nos revendications pour l´égalité et l´équité comme des appels à la haine, à la vengeance, à l´atteinte de cette fictive et imaginaire ”unité nationale”.
Etre ”local”, comme vous dites , ne veut pas dire être plus patriote ou plus attaché à ce pays que le mauritanien en exil ou immigré ailleurs. Cette Mauritanie est construite sur la ruine des empires et royaumes de nos ancêtres donc cette Mauritanie n’est pas votre titre foncier ni votre propriété privée pour nous en priver de son procès. Nous devons la construire ensemble ou subir ensemble les affres de la politique aventurière et suicidaire de nos dirigeants. La Mauritanie de demain doit se faire avec tous ses fils de l´intérieur et de l´extérieur ou bien elle ne se fera pas, pour dévaliser les propos de feu Me Moktar ould Daddah.
Encore une fois le problème de fond, ce n’est pas seulement la question de l´impunité ou du génocide de ces années de braise (1986-1992) mais l’essence ou le fondement injuste même de l´Etat mauritanien qu’il faut résoudre, à savoir cette politique chauvine et raciste qui est érigée en règle de gestion du pays. La question nationale ou de la cohabitation est au début et à la fin de tous nos problèmes et il faut donc impérativement lui trouver une solution juste et durable, en osant rompre résolument avec la politique de l’autruche.
Prends soin de toi mon cher ami local et avec tout mon respect. En attendant la lutte continue!
Kaaw TOURÉ

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