De Fatma à Amel, trois générations de militantes féministes

De Fatma à Amel, trois générations de militantes féministes

Alger (Algérie), correspondance.

Cette femme ne passe pas inaperçue. Sa voix, à la fois douce et profonde, porte haut le combat féministe qu’elle défend et revendique farouchement dans son pays, l’Algérie. A 73 ans, Fatma Oussedik ne laisse personne indifférent. Son obstination à ne pas transiger sur les valeurs d’égalité et de liberté pour tous s’est renforcée au fil de ses années de militantisme, elle qui, à 15 ans, s’est engagée politiquement dans le camp de la gauche.

Fatma Oussedik symbolise la génération de femmes qui fait le lien entre les vétérans de la guerre de libération (1954-1962) et les jeunes militantes. C’est en 2019, date de l’avènement du hirak, que cette ligne féministe a été trouvée et reconnue, tout au long des cinquante-huit semaines de marche hebdomadaire, l’action la plus visible du mouvement citoyen algérien.

C’est au « carré féministe », espace dédié aux manifestations, à Alger, que les plus jeunes ont découvert le silence entourant la participation des femmes à la lutte de libération. Un « carré » que Fatma Oussedik et tant de ses camarades, de toutes générations, avaient imposé au sein du hirak. C’est là que les liens entre Fatma Oussedik et Amel Hadjadj se sont consolidés. A 35 ans, ce dernier ne cache pas s’être détourné du récit national, « tronqué »elle se dispute. « J’en étais saturé. Le pouvoir veut formater les têtes dans ce domaine »poursuit cette féministe téméraire, qui reprend des études de droit, après un cursus de médecine.

Le hirak a bouleversé sa perception des choses. Au cours de ces impressionnantes manifestations pacifiques, comme Amel Hadjadj, de nombreux jeunes se sont réappropriés l’histoire de la guerre d’indépendance, l’ont revisitée. « Il y avait une soif de connaître la vraie version, pas celle officielle qu’on nous enseigne à l’école. Nous avions soif du passé », se souvient Amel Hadjadj. Pour elle, le 1er novembre 2019 (anniversaire du déclenchement de la guerre de libération en 1954) restera la date qui a secoué les manifestants, laissant des traces profondes dans les consciences. Ce jour-là, se souvient Amel Hadjadj, le « carré féministe » rendait hommage aux femmes oubliées de l’histoire. « On avait leur portrait, avec leur nom et d’où ils venaient pour montrer qu’ils venaient de partout. » Une action chaleureusement accueillie par les opposantes au système, qui se sont arrêtées devant l’espace féministe sans l’hostilité ni l’agressivité observées durant les premiers mois du soulèvement populaire.
« Être indigène, c’était être exclu du savoir »

Trois ans après son lancement, le hirak reste une idée profondément ancrée dans la société, notamment dans le mouvement féministe. « La presse ne parle plus du ‘mouvement des femmes’, ou, pire, du ‘mouvement des femmes’ sourit Fatma Oussedik. Elle ose désormais reconnaître l’existence des « féministes algériennes ». C’est une grande contribution à notre visibilité dans le hirak. »

Riches de ce constat, Fatma Oussedik, Amel Hadjadj et tant d’autres continuent de semer des graines au sein de la société. Ces deux inséparables profitent de toutes les occasions, surtout en ces temps de grande répression du pouvoir en place envers quiconque ouvre la bouche, pour répandre les idées de justice sociale, d’égalité et de liberté. Ainsi, lorsqu’une délégation de l’Association Josette-et-Maurice-Audin se rend en Algérie, du 28 mai au 6 juin 2022, en cette année du soixantième anniversaire de la guerre d’indépendance (voir Humanité du 2 juin et l’Humanité magazine n°811, du 16 au 22 juin), Fatma Oussedik et Amel Hadjadj n’ont pas hésité à inviter ses membres à deux rencontres, à Alger. Des moments d’échanges intenses, des moments d’émotion et de réflexion entremêlés.

La seconde rencontre, dans les locaux de la Fondation du Journal féministe algérien, porte sur la transmission entre différentes générations de féministes. Le témoignage de Salima Bouaziz est précieux, d’autant plus que les rescapés de la guerre se font rares, dépassés par la vieillesse et la maladie. Elle se remémore ses actions clandestines au sein de la Fédération de France, de 1956 à 1962. Mais c’est plus le présent qui lui tient à cœur. A 86 ans, elle se dit « embarrassé ». Car, poursuit-elle, « nous nous sommes organisés, après l’indépendance, nous avons réfléchi, écrit des textes, manifesté dans la rue, lancé des jalons pour l’égalité entre les sexes. En 2022, c’est comme si on n’avait rien fait. » Elle qualifie cependant : « Il n’y a pas de comparaison possible entre les femmes colonisées et celles d’aujourd’hui. » Deux chiffres illustrent cette métamorphose : en 1954, seules 4,5 % des femmes étaient alphabétisées. Actuellement, les étudiantes représentent plus de 60 % des inscriptions universitaires. « Être indigène, comme on nous appelait, c’était être exclu du savoir »dénonce Fatma Oussedik. « Grâce aux résistants, nous sommes la génération de l’université »ajoute ce sociologue bien connu en Algérie.

Se réconcilier avec l’Histoire, c’est aussi, pour Amel Hadjadj, comprendre comment « toutes les luttes des femmes, surtout dans les moments les plus compliqués, comme pendant la colonisation, la guerre ou encore pendant la période terroriste dans les années 1990, non seulement constituent notre histoire, mais transmettent aussi une force, des stratégies ». Une continuité et une transmission que la trentenaire fait vivre au sein de son association, créée le 8 mars 2021, vers laquelle affluent des jeunes d’une vingtaine d’années, avec leurs propres perceptions de la société et du féminisme.
humain.
Source: générations nouvelles

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