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Comment Macron a perdu l’Afrique

Comment Macron a perdu l’Afrique
Le 24 septembre, le président Emmanuel Macron avait annoncé le retrait du Niger des 1500 soldats français d’ici la fin de l’année et le retour à Paris de l’ambassadeur à Niamey, Sylvain Itté, deux exigences des militaires au pouvoir.
Christian Rioux
Correspondant à Paris

L’information aurait pu passer inaperçue. La semaine dernière, entre une annonce sur le prix du carburant et une autre sur les chaudières à gaz, le président français, Emmanuel Macron, a confirmé que la France retirerait ses troupes du Niger d’ici la fin de l’année. Cette décision met fin à deux mois de bras de fer depuis le coup d’État militaire du 26 juillet, qui a destitué le président Mohamed Bazoum. Paris refusant de reconnaître le nouveau pouvoir, l’ambassadeur français à Niamey, Sylvain Itté, en était réduit à vivre cloîtré dans l’ambassade et à se nourrir de rations militaires.

Comment en est-on arrivé là ? « Normalement, c’est le genre de décisions qu’on annonce après un Conseil de défense, dit Antoine Glaser. Macron a eu beau tenter de minimiser le retrait du Niger, c’est un pari perdu. »

Un double échec

Auteur, avec Pascal Airault, du Piège africain de Macron (éditions Pluriel), Antoine Glaser est convaincu que ce départ en catastrophe représente un double échec. « Le premier, c’est d’avoir soutenu Bazoum jusqu’au bout en croyant que le Nigeria, qui considère le Niger comme son arrière-cour, allait intervenir avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le second, c’est de ne pas avoir compris que ses propres alliés ne le suivaient plus. »

En fait, estime le fondateur de La Lettre du Continent, il y a longtemps que la présence militaire française dans cette région est devenue un anachronisme. « La France se croyait encore à l’époque de la guerre froide, où elle faisait le gendarme en Afrique, dit-il. Elle n’a pas vu la mondialisation de l’Afrique arriver et elle a continué à s’y croire chez elle. »

Ce que Paris n’a pas vu arriver, c’est avant tout l’irruption de la Chine, dit Glaser. Aujourd’hui, les Chinois contrôlent environ 20 % de l’économie de cet ancien pré carré français que représente l’Afrique francophone, alors que la France n’en représente plus que 4,2 %. Chacun a repris ses billes, les Américains investissant 100 millions d’euros dans leur base aérienne d’Agadez pour surveiller les Chinois. « Plus personne n’a besoin de la France. »

Le boomerang

L’époque est révolue où, à la fin de la guerre froide, la France contrôlait les marchés et le franc CFA, formait les militaires africains et cooptait les dirigeants. En 1980, il y avait encore 50 000 Français à Abidjan, rappelle Antoine Glaser. « Tout cela est disparu. Nous vivons la fin d’une époque. Aujourd’hui, la réalité nous revient au visage comme un boomerang. »

Est-ce à dire qu’une fois les militaires français rentrés chez eux, le Sahel sera abandonné aux djihadistes ? « En réalité, ils ont déjà gagné, dit Glaser. L’islamisation de cette région n’est qu’un retour de l’histoire. Sans compter qu’on n’a jamais vraiment prouvé qu’elle représentait un véritable danger d’attentat islamiste en Europe. »

Depuis quelques années, le Sahel est devenu un enjeu géostratégique pour ses matières premières. Moins pour son pétrole que pour ses terres rares. La Chine, qui ne veut plus exporter les siennes, va s’approvisionner en République démocratique du Congo (RDC), explique le chercheur. C’est aussi pourquoi les Américains lorgnent la Centrafrique.

Dans cette rivalité, dit Glaser, Russes et Chinois semblent marcher de pair. « Je ne sais pas s’ils se concertent, mais, d’une façon structurelle, on voit que chacun a sa part de marché. Les Russes sont dans l’armement, la sécurité et un certain nombre de matières premières. Les Chinois sont dans les grandes infrastructures. Chacun va faire son marché en Afrique. »

La fin de la Francophonie ?

Ce rejet de la France dans un grand nombre de pays d’Afrique francophones, et notamment parmi la jeunesse africaine, signe-t-il la fin de la Francophonie ? Pour bien marquer leur distance, l’an dernier, le Gabon et le Togo ont fait leur entrée dans le Commonwealth, où ils ont rejoint le Rwanda, rappelle Glaser. Dans des pays comme le Sénégal, on voit les langues nationales, comme le wolof, progresser. L’Algérie, troisième pays francophone du monde derrière la France et la RDC, ne vient-elle pas d’interdire à 22 écoles privées d’enseigner en français, même dans le cadre d’un programme scolaire arabe français ?

« D’une façon ou d’une autre, la Francophonie va souffrir de ce retour de bâton antifrançais, dit Glaser. On ne peut pas dire que cela n’affectera pas l’Organisation internationale de la Francophonie, où Macron a d’ailleurs fait nommer la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la seule fin de se réconcilier avec le Rwanda. »

Il faut dire que, lorsque Emmanuel Macron a accédé à la présidence, il ne connaissait pas grand-chose à l’Afrique francophone. Lui-même avait plutôt choisi de faire un stage de deux mois au Nigeria, le plus grand pays d’Afrique anglophone. À l’ENA, sa promotion portait pourtant le nom d’un des pères de la francophonie : Léopold Sédar Senghor. L’un de ses camarades de classe, Jules-Armand Aniambossou, est aujourd’hui ambassadeur au Ghana. Un autre, Franck Paris, a été nommé à Taïwan après avoir été son conseiller Afrique. Quant à Aurélien Lechevallier, il est actuellement directeur général de la Mondialisation au Quai d’Orsay.

« Cette équipe de copains qui jouaient au foot ensemble, dit Glaser, voulait absolument sortir du pré carré français. L’idée d’Emmanuel Macron en 2017, c’était de tirer un trait sur toute cette période. Il n’a pas compris que, comme dit l’adage, “tout passe sauf le passé”. »

Après avoir boudé l’Afrique francophone durant son premier mandat, le président a été rattrapé par la realpolitik lors du second. Au Tchad, les militaires français le pousseront à soutenir Mahamat Idriss Déby pour qu’il succède à son père. Après l’invasion de l’Ukraine, Macron ira faire la leçon aux chefs d’État du Cameroun, du Congo et du Gabon, qui ne dénoncent pas la Russie. Ce qui n’empêchera pas le Camerounais Paul Biya, du haut de ses 90 ans, d’aller serrer la main à Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg aussitôt Macron parti.

« Et quand Macron fait la leçon aux chefs d’État africains, il la fait à l’ancienne, exactement comme ses prédécesseurs, dit Glaser. Voilà ce qui a fait monter le sentiment antifrançais. Rappelons-nous qu’en 2050, un homme sur quatre sera africain. La France n’aura pas le choix de sortir de cet anachronisme. Elle devra changer de logiciel. »

Source: ledevoir.com

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