Après le coup d’État au Niger, quels pays d’Afrique sont menacés?

Après le coup d’État au Niger, quels pays d’Afrique sont menacés?
Pierre Coudurier — Édité par Natacha Zimmermann — 9 août 2023 à 6h33 Slatefr
Depuis le putsch du 26 juillet dernier, la Cédéao s’inquiète d’une contagion dans la région, qui a connu quatre destitutions de présidents démocratiquement élus en trois ans.

Pendant la guerre froide, «la théorie des dominos» était une doctrine américaine selon laquelle le basculement idéologique d’un pays en faveur du communisme allait être suivi de celui de ses voisins. En Afrique, on assiste ces dernières années à la résurgence de cette mécanique, bien qu’elle ait été décriée par le passé. Ainsi, en trois ans, quatre présidents ouest-africains démocratiquement élus ont été destitués. Après le Mali (août 2020 et mai 2021), la Guinée (septembre 2021), le Burkina Faso (janvier 2022), c’était au tour du Niger de vivre un coup d’État le 26 juillet dernier.

L’avènement d’une nouvelle junte militaire dans la région est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Craignant la contagion, les membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont fermement condamné la prise de pouvoir par les militaires. Et l’organisation africaine de s’engager dans un bras de fer avec les putschistes, dont le résultat pourrait constituer un point de bascule.

Alliances et promesses de ripostes

Depuis que le président nigérien Mohamed Bazoum a été renversé par le général Abdourahamane Tiani, le bloc ouest-africain, emmené par le président du Nigeria, Bola Tinubu, fait en effet son maximum pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Après avoir mis en place un blocus drastique de ce pays très pauvre et enclavé, les États membres ont soumis un ultimatum à la junte, la menaçant d’une intervention armée si elle ne relâchait pas le pouvoir. Cet ultimatum est arrivé à son terme dans la nuit du dimanche 6 au lundi 7 août, et l’espace aérien nigérien a été fermé face au risque d’une manœuvre militaire.

«Nous sommes prêts. Dès que nous recevrons l’ordre d’intervenir, nous le ferons», avait menacé le général Christopher Musa, chef des armées du Nigeria, le 31 juillet sur RFI. Tout comme le Sénégal qui a dénoncé jeudi 3 août, un «coup [d’État] de trop»: Dakar affirme être prêt à déployer des troupes si la Cédéao décidait d’une intervention.

Or, la crainte d’un embrasement régional rend l’hypothèse d’une telle intervention très incertaine. Car les militaires nigériens du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNPS) ont promis une «riposte immédiate» à «toute agression». Tout comme le Burkina Faso du capitaine Ibrahim Traoré et le Mali du colonel Assimi Goïta, suspendus des instances de la Cédéao et qui se sont ralliés à leurs voisins nigériens. Ouagadougou et Bamako ont ainsi averti qu’une intervention militaire au Niger serait perçue comme «une déclaration de guerre» contre leurs propres États. Idem pour la Guinée du président Mamadi Doumbouya, lui aussi arrivé au pouvoir à la faveur d’un putsch.

La Russie attendue dans la brèche

Deux camps se font désormais face: les juntes militaires d’un côté, lesquelles flottent dans l’orbite de la Russie, et les démocraties de l’autre, soutenues par les Occidentaux. «Une intervention de la Cédéao serait extrêmement lourde de conséquences, d’autant plus que désormais, le Mali et le Burkina Faso se sont ralliés au Niger», analyse le colonel Peer De Jong, ancien colonel des troupes de marine et fondateur du Management Institute for International Security (Themiis), qui fait de la formation militaire en Afrique.

«Quant aux sanctions, on sait d’expérience qu’elles ne fonctionnent pas. Les Russes vont vraisemblablement entrer dans la brèche avec des mesures compensatoires. La notoriété de Moscou et du Groupe Wagner est intacte dans les opinions publiques africaines et sahéliennes. Si elle intervient, la Cédéao apparaîtrait comme pro-occidentale.»

C’est pourquoi la voie de la diplomatie demeure privilégiée à ce jour. «C’est la démarche de la Cédéao, c’est notre démarche, et nous soutenons les efforts de la Cédéao pour rétablir l’ordre constitutionnel», a déclaré le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, sur RFI, lundi 7 août. Washington estime toujours «possible» de mettre fin au coup d’État, malgré des discussions «difficiles». La question nigérienne demeure primordiale aux yeux des États-Unis et de la France, qui déploient toujours respectivement 1.100 et 1.500 soldats dans le pays, dans la lutte contre les groupes armés djihadistes.

Si les médiations venaient à échouer, un retrait des troupes –comme ce fut le cas au Mali et au Burkina Faso– serait à prévoir. Or, les putschistes ont d’ores et déjà dénoncé plusieurs accords militaires conclus avec la France, notamment à propos du «stationnement» du détachement français installé à Niamey, et du «statut» des militaires présents dans le cadre de la lutte antidjihadiste. Mais aux yeux des États côtiers, le retrait occidental créerait «un vide», selon la formule du président ivoirien Alassane Ouattara, laissant les armées ouest-africaines en première ligne. Et ces dernières vont avoir fort à faire à mesure que le djihadisme s’exporte vers les pays du golfe de Guinée.

«En dehors de la Guinée, ce sont les pays sahéliens qui sont touchés»

«L’effet domino est classique en Afrique. Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, dans cet ordre-là, sont très menacés», liste une source proche de plusieurs chefs d’États africains. «En Côte d’Ivoire, le pouvoir du président Alassane Ouattara est très fragile. C’est pourquoi les Ivoiriens n’interviendront pas aux côtés de la Cédéao», prédit cette source. Il est vrai qu’en Côte d’Ivoire, la menace djihadiste a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années, après les attentats de Grand-Bassam en 2016 et de Kafolo, à la frontière burkinabè, en 2020. Et la montée en puissance des armées prend du temps.

«Ces coups d’État induisent une inquiétude légitime. Mais en dehors de la Guinée, pour le moment, ce sont les pays sahéliens qui sont touchés», complète Fahiraman Rodrigue Koné, analyste à l’Institut d’études de sécurité de Bamako. «La menace djihadiste a révélé un ensemble de défaillances en matière de gouvernance. Ce sont des facteurs qui sont partagés par les pays de la région ouest-africaine, où les crises sont récurrentes, comme lors des dernières élections au Nigeria.» Et d’ajouter: «Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont une tradition du coup d’État, ce qui n’est pas le cas du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont à l’abri.»

Source: slate.fr

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