Tunisie : le principal syndicat durcit le ton face à Kaïs Saïed
MOBILISATION. Dans un contexte marqué par une grave crise économique, l’Union générale tunisienne du travail se pose en rempart pour la défense de la démocratie.
Vols annulés, transports publics immobilisés et bureaux de poste fermés : en Tunisie, l’appel à la grève générale de vingt-quatre heures lancé par la puissante centrale syndicale Union générale tunisienne du travail (UGTT) a, semble-t-il, été largement suivi jeudi 16 juin par le secteur public, accentuant la pression sur le président Kaïs Saïed, déjà confronté à de graves crises politique et financière. « Votre grève est suivie à 96,22 % », s’est félicité le chef de l’UGTT, Noureddine Taboubi, lors d’un discours enflammé devant des centaines de militants rassemblés devant son siège à Tunis.
Une grève générale bien suivie dans tout le pays
Les vols au départ et à l’arrivée à l’aéroport international de Tunis ont été annulés car le personnel de la compagnie publique qui gère l’enceinte participe à la grève. Tunisair, elle aussi publique, a annoncé l’annulation de tous ses vols.
Télécoms, services postaux, régies publiques de gaz, d’électricité et d’eau et transports : la grève touche de vastes pans des services. Elle entraîne aussi l’immobilisation des transports en commun (trains, tramways et bus).
Dans son discours, le chef de l’UGTT a imputé au gouvernement l’échec des négociations salariales ayant conduit à la grève. « C’est un gouvernement intransigeant qui sème la zizanie et répand de fausses informations », a-t-il lancé. Il a accusé des « mercenaires » partisans du pouvoir de « mener des campagnes de diabolisation et de harcèlement » contre l’UGTT.
Face à une inflation galopante, l’UGTT réclame notamment de nouveaux accords salariaux pour « corriger le pouvoir d’achat » pour les années 2022 et 2023, ainsi que, rétroactivement, pour 2021. Elle exige aussi le retrait d’une circulaire gouvernementale interdisant aux ministères de mener des discussions bilatérales sectorielles sans l’accord du chef du gouvernement. « Ce n’est pas une hausse des salaires que nous demandons, mais de réajuster le pouvoir d’achat des travailleurs pour tenir compte de l’inflation », a ajouté Noureddine Taboubi, pour qui ce réajustement devrait se situer à plus de 10 %. « Nous n’arrêterons pas la lutte, quel qu’en soit le coût, tant que nos revendications ne seront pas satisfaites », a-t-il ajouté. Noureddine Taboubi a souligné que l’UGTT ne renoncerait pas non plus à sa demande de faire supprimer une cotisation de 1 % prélevée depuis 2018 sur les salaires pour combler le déficit des caisses sociales.
La pression s’accentue sur le président Kaïs Saïed
Cette grève se déroule au moment où Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs il y a 11 mois, est sous le feu d’intenses critiques de l’opposition pour l’avoir exclue d’un dialogue national censé aboutir à une nouvelle Constitution qu’il prévoit de soumettre à référendum le 25 juillet. L’UGTT a décliné une invitation à participer à ce dialogue. « Nous ne pensons pas que ce dialogue est susceptible de sortir la Tunisie de ses crises », a répété Noureddine Taboubi, affirmant que son organisation « ne servira pas de caution au président Saïed ou à un quelconque parti politique ».
Ses détracteurs ont beau l’accuser de ne pas tenir compte des énormes difficultés financières du pays, l’UGTT apparaît en position de force puisque le gouvernement – le pays a une dette de plus de 100 % du PIB et est confronté à une inflation élevée – a besoin de son soutien au programme de réformes qu’il a soumis au Fonds monétaire international dans l’espoir d’obtenir un nouveau prêt. Ce plan de réformes prévoit un gel de la masse salariale de la fonction publique, une réduction de certaines subventions et une restructuration des entreprises d’État. L’UGTT demande des « garanties » pour que les entreprises publiques, dont beaucoup de monopoles (office des céréales, électricité, carburants, phosphates, etc.), ne soient pas privatisées.
Acteur influent sur la scène politique depuis sa création, en 1946, l’UGTT a reçu en 2015 avec trois autres organisations tunisiennes le prix Nobel de la paix pour sa contribution à la transition démocratique en Tunisie, berceau du Printemps arabe en 2011 mais où la démocratie vacille depuis le coup de force de Kaïs Saïed en juillet 2021. « Cette grève est la culmination d’un échec collectif de dix gouvernements successifs, de l’UGTT, du FMI et des partenaires internationaux de la Tunisie. La transition vers la démocratie n’a été accompagnée d’aucun changement dans la structure économique du pays », estime Fadhel Kaboub, professeur tunisien d’économie à l’université de Denison aux États-Unis. Dans une récente étude, l’assureur Allianz Trade estime que onze pays, dont la Tunisie, présentent un risque élevé de tensions sociales en raison de la flambée des prix alimentaires.
Avec Le Point Afrique et AFP