Radioscopie de la migration en Afrique de l’Ouest et du Nord

Radioscopie de la migration en Afrique de l’Ouest et du Nord

L’OIM propose une compréhension nuancée des réalités migratoires

«Un ratio migratoire faible ou modéré, des candidats à la migration plus jeunes, présentant un niveau d’instruction plus élevé et percevant des revenus plus importants que le reste de la population, des volumes et des itinéraires migratoires considérablement amovibles, des migrants à la recherche d’emploi, désireux de rejoindre leur famille ou de faire des études… », telles sont les principales caractéristiques de la migration au départ et à l’intérieur de l’Afrique de l’Ouest et du Nord

que met en avant le dernier ouvrage collectif de l’OIM (organisation mondiale des migrations) intitulé : « Migration en Afrique de l´Ouest et du Nord et à travers la Méditerranée, tendances, risques, développement et gouvernance ».

Selon les rédacteurs de cet ouvrage, « une compréhension nuancée des réalités migratoires revêt une importance toute particulière dans des contextes tels que ceux de l’Afrique du Nord, de l’Afrique de l’Ouest et de la Méditerranée centrale, où les mouvements migratoires sont le résultat d’un ensemble de facteurs divers et complexes ».

Un ratio migratoire relativement faible ou modéré par rapport à celui mondial

Selon ledit ouvrage, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord comprennent en tout 10,4 millions d’immigrants et 21,8 millions d’émigrants, soit, respectivement, 1,6% et 3,4% des 633,2 millions d’habitants qu’elles comptaient en 2019, selon les estimations du Département des affaires économiques et sociales des Nations unies. Ce niveau général de migrations internationales est relativement faible (immigration) ou modéré (émigration) par rapport au ratio mondial de migrants dans la population, estimé à 3,5%. Cette moyenne cache toutefois d’importantes variations entre les deux régions et entre les pays à l’intérieur de chacune d’elles.

En Afrique du Nord, les trois pays centraux du Maghreb – le Maroc, l’Algérie et la Tunisie – sont principalement des pays d’origine, et leurs émigrants, qui représentent entre 4,5 et 8,6% de leur population, se rendent majoritairement en Europe. Les migrants étrangers présents sur leur territoire, dont beaucoup sont des résidents de longue date venant d’Afrique de l’Ouest, sont peu nombreux. La Libye connaît des tendances opposées. Malgré le chaos politique et la guerre civile, elle reste un pays de destination pour des centaines de milliers de migrants employés sur place. Les ressortissants libyens sont toujours peu nombreux à migrer à l’étranger, malgré des déplacements internes importants. Dans tous ces pays, une part relativement faible de migrants cherche à transiter vers l’Europe, contrairement à des préjugés courants.

Raisons de migrer

Les principales raisons de migrer, telles qu’invoquées par les migrants interrogés en Afrique de l’Ouest et du Nord – pays de destination, de transit ou d’origine – sont la recherche d’emploi, la famille et les études. La fuite d’un conflit, de l’insécurité politique ou des persécutions et la quête d’une protection internationale n’apparaissent pas comme des causes fréquentes. En revanche, le besoin de protection est le motif le plus souvent cité par les migrants africains qui arrivent en Europe de manière irrégulière après avoir traversé la mer Méditerranée. Ce décalage entre les raisons invoquées en Afrique du Nord et de l’Ouest et les motifs donnés en Europe peut signifier que les demandeurs d’asile n’ont pas d’autre choix que de voyager clandestinement vers des pays dans lesquels ils peuvent déposer une demande. Il souligne également la prévalence de la migration mixte sur ces routes, et fait apparaître que les motifs et le projet de migration peuvent évoluer au cours du voyage sous l’effet des conditions vécues dans les pays situés le long de la route empruntée. Même si les motivations initiales de quitter le pays d’origine ont pu être d’une autre nature, la violence et les abus vécus dans les pays de transit ont pu les amener à traverser la Méditerranée pour trouver protection en Europe. La différence entre les motifs de migrer cités pourrait aussi donner à penser que demander l’asile en Europe est perçu par les demandeurs d’emploi migrants comme le meilleur moyen d’obtenir un statut régulier.

Volume et itinéraires migratoires amovibles

De 2016 à 2019, le volume et les itinéraires des flux migratoires en Méditerranée ont considérablement changé. Les routes maritimes de migration irrégulière de l’Afrique vers l’Europe évoluent rapidement en fonction des risques, des obstacles et des chances. Les risques et les obstacles (arrestation, détention et expulsion) se trouvent en Afrique avant la traversée, en mer (notamment les patrouilles des gardes frontières dans les eaux libyennes et les naufrages) et après la traversée, au moment de débarquer en Europe. Les atouts sont notamment les conditions météorologiques et l’espoir des passeurs que des secours arriveront.

Les migrants et les passeurs s’adaptent sans cesse aux politiques adoptées par l’Union européenne et les pays africains pour contourner les obstacles. Si la route de la Méditerranée centrale était la plus fréquentée d’avril 2016 (en raison de la fermeture effective de la route de la Méditerranée orientale après la déclaration commune de l’Union européenne et de la Turquie) à la fin de 2017, les années 2018 et 2019 ont été marquées par une désaffection de la route de la Méditerranée centrale menant à l’Italie et à Malte au profit de la route de la Méditerranée occidentale menant à l’Espagne. Enfin, une réactivation de la route de la Méditerranée orientale en direction de la Grèce a été observée en 2019. Malgré la guerre civile en Libye depuis 2014, ce pays attire toujours un grand nombre de travailleurs migrants. En effet, la plupart des quelque 650.000 migrants présents en Libye à la mi-2019, selon la MSD, avaient l’intention de rester dans le pays, seuls quelques-uns envisageant de regagner l’Europe. Ces migrants avaient fait le voyage en Libye en raison des possibilités d’emploi du marché du travail local, attirés par les salaires relativement élevés et la perspective d’envoyer des fonds à leur famille.

C’est particulièrement le cas des migrants venant de quatre des pays limitrophes de la Libye – l’Egypte, le Soudan, le Niger et le Tchad –, qui représentent 62 % de l’ensemble de la population de migrants en Libye. En outre, les données de la MSD (Matrice de suivi des déplacements) portent à croire que plus le temps passé en Libye s’allonge, meilleurs sont les conditions d’emploi des migrants et leurs moyens de rapatrier des fonds dans leur pays d’origine. Or, quelle que soit la durée de leur séjour, les migrants évoquent généralement un mauvais accès aux services de santé et aux autres services, et une absence de protection contre les risques afférents au conflit dans le pays, leur statut irrégulier aggravant les choses.

Migrants irréguliers

Le statut et l’emploi informel sont courants dans les pays situés le long de la route de la Méditerranée centrale. Tous les Etats ont adopté des lois sanctionnant les migrants en situation irrégulière, le trafic illicite de migrants et la traite d’êtres humains, même si tous ne les mettent pas en œuvre de la même façon. Depuis 2018, les retours forcés de migrants au départ de l’Algérie vers le Niger se sont intensifiés, après que l’Algérie a renforcé la mise en œuvre de la loi n° 08-11 de 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie. Si certains de ces migrants sont originaires du Niger, d’autres viennent d’autres pays d’Afrique et se retrouvent temporairement au Niger lors de leur retour vers leur pays. Dans le même temps, le nombre de migrants qui entrent au Niger pour se rendre en Europe a diminué suite à l’application, par ce pays, de la loi 2015-36 réprimant le trafic illicite et la traite de migrants. Depuis, la direction, le volume et la composition des flux migratoires vers, à travers et depuis le Niger (Yuen, chapitre 6 du présent ouvrage) ont considérablement changé.

La mobilité, un phénomène sociétal au Sahara et au Sahel

La mobilité est au cœur des pratiques économiques, sociales et culturelles au Sahara et au Sahel. Les bergers, les éleveurs et les commerçants se déplacent aujourd’hui comme hier. La transhumance est une activité traditionnelle fondée sur l’utilisation de grands espaces pour compenser l’aridité des terres et les aléas climatiques. Les vastes territoires concernés depuis des temps immémoriaux en Afrique de l’Ouest s’étendent maintenant sur plusieurs Etats souverains. Un examen des mouvements de transhumance de longue date en Mauritanie et par-delà le territoire de ce pays montre que ces flux présentent beaucoup de traits communs avec les mouvements migratoires dans la région et s’y superposent parfois, par exemple ceux en direction du Mali et du Sénégal et au-delà, vers d’autres Etats en Afrique, les Etats du Golfe et l’Europe (Godde, chapitre 9 du présent ouvrage). C’est pourquoi les conflits susceptibles d’éclater entre les bergers en transhumance et les agriculteurs sédentaires sont devenus un brandon de discorde pour les Etats modernes d’Afrique de l’Ouest. Afin de gérer ces tensions et de réglementer le pastoralisme, des associations de bergers d’Afrique de l’Ouest et du Centre et l’OIM ont mis en place un outil de suivi de la transhumance (Jusselme, chapitre 10 du présent ouvrage).

Des candidats jeunes, instruits et stables économiquement.

En moyenne, les candidats à la migration sont plus jeunes, présentent un niveau d’instruction plus élevé et perçoivent des revenus plus importants que le reste de la population. Ils sont également plus souvent de sexe masculin et célibataires. Cela vaut pour les personnes qui souhaitent émigrer et – encore plus – pour celles qui élaborent des projets concrets à cette fin.

Les personnes qui présentent ces caractéristiques sont plus susceptibles de posséder le capital social et économique nécessaire pour satisfaire aux conditions de l’immigration dans les pays de destination et pour couvrir les coûts de leur migration. Les candidats africains à la migration ont toujours moins de chance que les autres migrants de migrer vers leurs destinations internationales préférées.

Parmi ceux qui souhaitent migrer, très peu forment des plans concrets à cet effet, et très peu parmi ceux qui prévoient de migrer en Europe ont des chances de le faire. Les migrants d’Afrique du Nord ont davantage tendance à réaliser leurs projets de migration que les migrants originaires d’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, les caractéristiques socioéconomiques des migrants, les politiques migratoires et les possibilités en constante évolution influent sur la volonté des candidats à la migration et sur les possibilités de concrétiser leurs projets de migration.

Il existe des différences régionales en ce qui concerne la concrétisation des projets de migration en migrations réelles. D’après les données disponibles, les migrants originaires d’Afrique du Nord sont plus susceptibles que les migrants originaires d’Afrique de l’Ouest d’entrer dans un pays européen de manière régulière.

Alors qu’entre 2011 et 2016, le nombre annuel moyen de personnes ayant migré de manière régulière en Europe depuis les pays d’Afrique du Nord considérés représentait 11,3% du nombre annuel moyen de personnes qui avaient indiqué avoir formé des projets de migration entre 2010 et 2015, cette proportion s’élevait à 3,1 % dans les pays d’Afrique de l’Ouest étudiés.

On estime que le nombre annuel moyen de personnes ayant migré de manière irrégulière représentait 1,3 % des projets de migration annuels moyens tant pour l’Afrique du Nord que pour l’Afrique de l’Ouest.

Hassan Bentaleb

Pourquoi les ressortissants des pays africains envisagent d’émigrer ?

Afrobaromètre (2019) fournit des éléments factuels sur les raisons pour lesquelles les ressortissants de pays africains envisagent de migrer à l’étranger, basé sur des enquêtes représentatives à l’échelle nationale.

Ces données confirment les conclusions de travaux sur le rôle que jouent les revenus et les emplois disponibles dans le lieu de destination, mais également la distance géographique, culturelle et institutionnelle et les liens (réseaux) sociaux en tant que déterminants de la migration (Docquier et al., 2014, p. 6). Les facteurs économiques semblent particulièrement importants : entre 2016 et 2018, plus de la moitié des personnes interrogées au Cabo Verde (64%) et au Sénégal (54%) ont indiqué la «quête de travail» comme la principale raison les poussant à envisager d’émigrer.

Dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest (le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Togo, la Sierra Leone, le Liberia, le Niger et le Mali), la « quête de travail » était la principale raison d’émigrer pour une proportion moindre mais conséquente des personnes interrogées (25 à 35 %), tandis que la «pauvreté/[les] difficultés» constituait le facteur le plus cité (40 à 50 % des personnes interrogées). Les données mettent également en évidence la présence de processus sociaux continus, possiblement prosaïques, qui sous-tendent la mobilité, tels que la quête d’études, d’un conjoint ou d’une vie meilleure en ville (Bakewell et Bonfiglio, 2013, p. 4).

En Gambie, au Liberia, en Sierra Leone et au Maroc, 10% des personnes interrogées ont indiqué qu’elles souhaitaient émigrer pour rechercher de meilleures possibilités d’études. Parmi les autres raisons avancées par les personnes interrogées, on peut citer le voyage/ tourisme, les perspectives d’affaires et le regroupement familial.

Les motifs politiques semblent moins importants : un «meilleur environnement démocratique», la «persécution politique» et la «guerre civile» ont été indiqués par moins de 2,1 % des personnes ayant envisagé de migrer dans l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest étudiés par Afrobaromètre.

Cependant, un «meilleur environnement démocratique» a été cité par 4,2 % des personnes ayant envisagé de migrer au Maroc et par 3% d’entre elles en Tunisie.

Source : « Migration en Afrique de l´Ouest et du Nord et à travers la Méditerranée, tendances, risques, développement et gouvernance ».

Libé

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