Plus de 55 organisations alertent sur la menace qui pèse sur le lait local ouest-africain

La célébration de la Journée Mondiale du Lait, lundi 1er juin 2020, a été l’occasion, pour plus de 55 organisations de producteurs et productrices de lait local de six pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre-Ouest, membres de la campagne « Mon lait est local », d’associer leurs voix pour réitérer leur appel à l’endroit des dirigeants africains nationaux et régionaux de l’Afrique de l’Ouest et du Centre sur la menace qui pèse sur le lait ouest-africain. La Journée Mondiale du Lait est célébrée le 1er juin de chaque année, depuis 2001. Elle a été instituée à l’initiative de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Composées essentiellement d’organisations paysannes d’éleveurs et d’agriculteurs, de consommateurs, de chercheurs, d’ONG, de mini-laiteries et d’industriels locaux œuvrant dans six pays du continent noir : le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad ces organisations ont organisé une conférence de presse virtuelle lors de cette commémoration.

Cette conférence de presse a pour dessein, selon la campagne « Mon lait est local », soutenue par des ambassadeurs de renommée internationale, d’informer les médias et l’opinion sur la demande des acteurs de la campagne auprès des Etats de la CEDEAO pour mettre en œuvre et financer la stratégie et le plan d’offensive lait en préambule de la réunion de la CEDEAO en juin ; de rappeler la signature d’une pétition : actuellement, 36 201 signatures. L’objectif est d’atteindre 55 000 signatures et d’expliquer les impacts du Covid-19 sur le secteur (perte du cheptel, paupérisation des éleveurs et de leurs familles entrainant une crise alimentaire et nutritionnelle, disparition des marchés à bétail transfrontaliers, installation d’une crise socioéconomique pouvant entrainer l’effritement de la cohésion sociale).                                                            

Se prononçant sur leur appel à l’endroit des dirigeants africains, notamment ceux nationaux et régionaux de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, les organisations membres de la campagne « Mon lait est local » précisent qu’il vise à amener les chefs d’Etat des pays concernés et les dirigeants des institutions d’intégration des deux régions à agir pour le développement de cette filière qui était déjà en difficulté, et dont la survie est menacée par les impacts de la pandémie du COVID-19 et le dumping des produits laitiers européens.

Selon ces organisations, des producteurs laitiers au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal et au Tchad enregistrent des pertes financières importantes et de cheptel en raison de la pandémie du COVID-19. Pour le mois de mars 2020 par exemple, la laiterie Kossam de l’Ouest au Burkina Faso a enregistré une perte de six millions de francs CFA, soit plus de 9 000 euros.

Pire, la fermeture des frontières, les restrictions de mouvements et les mesures de limitation de la mobilité interne et entre les pays entraînent d’énormes difficultés d’accès aux marchés urbains et transfrontaliers pour l’écoulement des produits, aux pâturages et aux points d’eau pour l’alimentation du bétail. A quoi s’ajoute l’émergence de maladies zoo-sanitaires dans les zones transfrontalières. 

Cette situation vient accentuer les effets négatifs des problèmes structurels de la filière : les sécheresses et inondations liées au changement climatique ou la menace quasi permanente que constitue depuis plusieurs années l’envahissement du marché africain par des exportations massives de certains pays du Nord de mélanges de poudre de lait écrémé avec la matière grasse végétale, notamment l’huile de palme.

Ce lait européen bénéficie de tarifs douaniers avantageux (5 %) permettant de le vendre 30 à 50 % moins cher que le lait local. Un phénomène qui fait perdre des emplois aux productrices et producteurs de lait local tout en privant les consommateurs des éléments nutritifs que l’on retrouve dans le vrai lait. « La Commission européenne investit des centaines de millions d’Euros pour soutenir les pays du Sahel et lutter contre les inégalités, mais elle ne doit pas reprendre d’une main ce qu’elle donne de l’autre », prévient Adama Coulibaly, directeur régional d’Oxfam en Afrique de l’Ouest.  

Tout ceci entraîne une paupérisation continue des éleveurs, des producteurs et de leurs familles, et contribue par ricochet aux situations de crise alimentaire et à la malnutrition au sein des communautés, alors que le pastoralisme et l’agropastoralisme font vivre plus de 48 millions d’individus. 

Pour sa part, Hindatou Amadou, coordinatrice de la campagne régionale « Mon lait est local » a souligné que « la crise du Covid-19 va exacerber la concurrence des poudres de lait importées sur le marché laitier d’Afrique de l’Ouest et du Centre en ce sens que la politique de l’UE visant à subventionner le stockage de la surproduction de lait en Europe engendrera forcément un déstockage vers l’Afrique, ce qui pourrait anéantir les efforts publics visant la construction de la filière dans ces deux régions, comme l’offensive régionale lait engagée par la CEDEAO dans le cadre de la politique régionale d’appui au secteur agrosylvopastoral et halieutique. Il urge alors de prendre des mesures politiques adéquates pour freiner cette invasion des produits laitiers européens ».  

En résumé, l’ampleur de la crise du Covid-19 au sein des communautés d’éleveurs et de producteurs est telle que l’on craint à terme une fragilisation du tissu socio-économique dans son ensemble, avec des risques d’effritement de la cohésion sociale, dans des pays déjà très éprouvés par de multiples crises socio-politique, environnementale, climatique, intercommunautaire…

A cet effet, les 55 organisations engagées dans la campagne « Mon lait est local » demandent à la CEDEAO de relever les taxes à l’importation des produits laitiers ; de prendre des mesures ciblées d’exonération de TVA sur le lait local ; de renforcer la transparence de marché – y compris sur les mélanges de poudres rengraissées avec des huiles végétales et par l’étiquetage sur l’origine et la teneur en lait ; de conditionner les investissements étrangers dans des industries laitières à des obligations de collecte de lait local et enfin d’utiliser les nouvelles recettes fiscales pour soutenir le développement de la filière lait local.  

Rappelons enfin que depuis 2018, une pétition a été lancée par les initiateurs de cette campagne pour pousser les chefs d’Etat et les responsables des institutions régionales à protéger et promouvoir véritablement ce secteur vital de leur économie. La pétition a été signée par 36 201 personnes à ce jour et vise à rassembler 55 000 signatures. Par ailleurs, une « marche virtuelle » sera organisée d’ici au prochain sommet ordinaire des Chefs d’Etats de la CEDEAO, en mobilisant tous les acteurs du secteur et ses sympathisants, pour appeler les gouvernements à financer la mise en œuvre de la stratégie et du Programme Prioritaire d’investissements de « l’offensive régionale lait ».

Moctar FICOU

VivAfrik

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