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Plaidoyer Pour la réhabilitation de l’ancien Palais de Justice de Kayhaydi : Un patrimoine judiciaire et éducatif en péril

Kayhaydi ou kaédi en MauritaniePlaidoyer Pour la réhabilitation de l’ancien Palais de Justice de Kayhaydi : Un patrimoine judiciaire et éducatif en péril

Au cœur de Kayhaydi, un monument historique d’une importance capitale s’efface sous le poids du temps et de l’oubli. L’ancien Palais de Justice, construit après l’édification du fort, fut la deuxième institution implantée par l’administration coloniale sur la rive droite du fleuve Sénégal. Son histoire, marquée par des figures influentes et des événements fondateurs, mérite d’être préservée. Il est l’un des premiers jalons de l’organisation judiciaire coloniale en Mauritanie et témoigne d’une époque où la justice, telle que nous la connaissons aujourd’hui, a pris racine dans le pays.

L’intégration du Palais de Justice dans l’histoire judiciaire coloniale

L’implantation du Palais de Justice de Kayhaydi s’inscrit dans une dynamique plus large de structuration du système judiciaire colonial, notamment avec l’essor des tribunaux musulmans en Afrique occidentale française. Le premier tribunal musulman fut instauré à Saint-Louis en 1857 par le gouverneur Faidherbe, en réponse aux revendications des élites musulmanes locales et aux tensions liées au mouvement omarien. Cette décision, avant tout politique, marqua le début de la « politique musulmane » de la France au Sénégal (Lydon, 2007).
Ce modèle judiciaire, bien que destiné à réguler les affaires civiles des populations musulmanes (mariage, divorce, successions), se heurta aux contradictions entre le droit musulman et le code civil français. Paul Marty (1917), dans Études sur l’Islam au Sénégal, souligne la complexité de cette intégration, notamment à Kayhaydi, où l’administration coloniale a tenté d’impliquer des figures locales dans la gestion judiciaire.
En 1894, l’Almaami Mamadou Lamine Ly, avant-dernier souverain du Fouta Toro, fut nommé à titre d’essai pour diriger le Palais de Justice de Kayhaydi. Cette nomination, rapportée par Paul Marty, illustre la stratégie coloniale consistant à s’appuyer sur des figures influentes pour légitimer leur administration. Cependant, ce choix s’inscrivait aussi dans une politique plus large d’encadrement des élites locales, visant à contrôler et à canaliser les structures judiciaires existantes.

Un double héritage : justice et éducation

Au-delà de son rôle judiciaire, le Palais de Justice de Kayhaydi fut également un centre d’instruction. En 1898, ses hangars devinrent la première école d’essai de la rive droite du fleuve Sénégal, marquant l’introduction de l’enseignement moderne en Mauritanie. Ambroise Queffélec et Bah Ould Zein (1993), dans Le Français en Mauritanie, mettent en avant le rôle fondateur de cet établissement dans la diffusion du français et l’introduction du système éducatif colonial en Mauritanie.

Un monument en ruine : un appel à la réhabilitation

Aujourd’hui, ce bâtiment historique est à l’abandon. Sa dégradation progressive constitue une perte irréparable pour Kayhaydi et pour toute la Mauritanie. À l’heure où de nombreux pays cherchent à valoriser leur héritage historique, il est impensable que ce témoin du passé continue de sombrer dans l’oubli.
Nous lançons un appel aux autorités nationales, aux historiens et aux institutions culturelles pour qu’ils prennent des mesures en vue de sa réhabilitation et de sa conservation. Restaurer ce lieu, c’est préserver un pan essentiel de notre mémoire collective et transmettre aux générations futures un témoin tangible de leur histoire.
Ne laissons pas ce vestige de justice et de savoir disparaître. Kayhaydi et toute la Mauritanie méritent de voir renaître ce patrimoine unique.

Sources des données historiques :

Paul Marty, Études sur l’Islam au Sénégal , les personnes

Ambroise Queffélec et Bah Ould Zein, Le Français en Mauritanie

Ghislaine Lydon, On Trans-Saharan Trails: Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa

*Yaaya Tuure*

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