Mauritanie : Surmonter les rivalités éthniques pour une citoyenneté inclusive

Mauritanie : Surmonter les rivalités éthniques pour une citoyenneté inclusive

Ahmed Ould Bettar*

La Mauritanie, pays carrefour entre le monde arabe et l’Afrique subsaharienne, est confrontée à des tensions identitaires et politiques récurrentes. Des visions opposées de l’avenir du pays illustrent cette fracture : d’un côté, Ely Ould Sneiba rejette par exemple l’idée d’un État binational, tandis que de l’autre, les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) militent pour une mobilisation politique accrue et vont jusqu’’à appeler à une possible scission. Face à ces positions antagonistes, une question essentielle se pose : que faire pour sauver la Mauritanie des vieux démons des rivalités ethniques et cultiver des valeurs citoyennes communes ?

Les positions en présence

Le rejet de l’État binational par Ely Ould Sneiba
Ely Ould Sneiba, intellectuel influent, plaide contre l’idée d’un État binational qui reconnaîtrait explicitement deux identités nationales distinctes. Pour lui, une telle reconnaissance risquerait d’institutionnaliser les divisions ethniques et de fragiliser davantage l’unité nationale. Sa position est ancrée dans une vision d’une Mauritanie unitaire, où toutes les composantes ethniques seraient appelées à se fondre dans un projet commun de citoyenneté.

Les revendications des FLAM
En revanche, les FLAM, nées dans un contexte de discrimination systémique envers les communautés noires africaines de Mauritanie, encouragent un éveil politique et appellent à une refonte de l’organisation de l’État. Leur discours va parfois jusqu’à envisager une scission territoriale si les revendications pour l’égalité et la reconnaissance culturelle ne sont pas satisfaites. Cette posture reflète une exaspération face à ce qu’ils considèrent comme un échec de l’État à intégrer toutes les composantes de la société mauritanienne.

Les positions des FPC et du RAG
Les Forces pour le Changement (FPC) dirigées par Thiam Samba adoptent une posture critique envers le système politique actuel. Le mouvement appelle à des réformes profondes visant à instaurer une véritable justice sociale et une représentation équitable de toutes les communautés. Bien que leur parti ne soit pas encore reconnu officiellement, les FPC continuent de plaider pour une gouvernance inclusive et transparente.

De son côté, le Rassemblement des Forces pour une Action Globale (RAG), conduit par Biram Dah Abeid, militant emblématique de la lutte contre l’esclavage, défend une Mauritanie libérée des discriminations structurelles. Le RAG revendique la reconnaissance des droits fondamentaux des populations marginalisées et appelle à une justice réparatrice pour les victimes d’injustices historiques. Malgré l’absence de reconnaissance officielle de leur parti, leurs actions continuent de mobiliser une frange importante de la population.

Les enjeux

Ces positions traduisent des problématiques réelles qui méritent une attention sérieuse. La Mauritanie a une histoire marquée par des tensions ethniques et des inégalités socio-économiques. La reconnaissance de ces problématiques est essentielle pour envisager une solution durable.

Cependant, la création d’un État binational pourrait introduire une dynamique de ségrégation institutionnelle, avec des conséquences potentiellement dangereuses pour la stabilité politique et sociale du pays. De même, la scission prônée par certains segments des FLAM n’est pas une solution viable. L’expérience de nombreux pays montre que la partition territoriale n’amène que très rarement une paix durable.

Pour autant, la position de statu quo défendue par certains, incluant Ely Ould Sneiba, risque de perpétuer les inégalités et les frustrations des populations marginalisées. Le défi est donc de trouver une voie moyenne qui permette à la Mauritanie de réconcilier ses différentes identités sans sombrer dans les extrémismes.

Une perspective historique pour l’unité nationale
L’unité du peuple mauritanien est enracinée dans une profonde légitimité historique qui transcende la simple nécessité politique, comme le souligne Feu Saidou. Il insiste sur l’importance de comprendre l’histoire commune et le brassage de diverses communautés depuis plus de 2300 ans, qui a favorisé un riche développement civilisationnel plutôt que la division. Kane Saidou prône une approche humaniste des relations intercommunautaires, exhortant les générations futures à s’appuyer sur la connaissance historique pour relever les défis et les injustices actuels. Cette compréhension historique peut ainsi favoriser la reconnaissance et la compréhension entre les différents groupes de Mauritanie.

Les pistes pour une solution durable

1. Renforcement de la citoyenneté inclusive : Le gouvernement doit adopter des politiques qui favorisent une identité nationale inclusive, dans laquelle chaque Mauritanien, indépendamment de son origine ethnique, se sent reconnu et respecté.

2. Dialogue national sincère : Un dialogue national impliquant toutes les composantes de la société mauritanienne est essentiel. Il doit être sincère et déboucher sur des réformes concrètes pour réduire les inégalités.

3. Éducation pour la paix : Les programmes scolaires doivent promouvoir la tolérance et la connaissance mutuelle des cultures présentes en Mauritanie. L’éducation est un levier puissant pour transformer les mentalités.

4. Justice sociale : Il est indispensable de lutter contre les discriminations systémiques et de garantir une répartition équitable des ressources et des opportunités.

5. Mécanismes institutionnels de représentation : La mise en place de mécanismes garantissant une représentation équitable des différentes communautés au sein des institutions publiques pourrait rétablir la confiance.

La Mauritanie doit faire face à ses démons du passé tout en regardant vers l’avenir avec pragmatisme. La solution réside dans une citoyenneté inclusive et une volonté politique forte pour transcender les divisions ethniques. Seule une Mauritanie unie, mais respectueuse de sa diversité, pourra prétendre à un avenir de paix et de prospérité.

*Ahmed Ould Bettar, directeur du site Rapide Info Mauritanie, gestionnaire des hôpitaux sortant de l’ENA de Nouakchott et Alger. Il a connu un parcours politique important marqué par son engagement en faveur de l’inclusion civique et de la justice sociale. Sa formation politique précoce au sein du Rassemblement pour la démocratie et l’unité, influencée par des personnalités marquantes, a façonné sa vision d’une gouvernance fondée sur l’éthique et le dialogue. C’est là qu’il reçoit une éducation politique prônant une inclusion citoyenne, une valeur centrale qui guidera son engagement futur. Cette période a également été marquée par l’influence de figures majeures telles que feu N’Gam Lirwane, un administrateur connu pour sa piété et sa probité exemplaire, ainsi que feu Cheikh Maelainine Robert et Feu Idoumou Ould Soumbara, des personnalités reconnues pour leur rectitude politique.
Ces mentors ont forgé chez lui une vision politique fondée sur la probité, l’éthique et le respect des valeurs de justice sociale. Cette éducation politique s’est construite dans un cadre où le dialogue et l’inclusion étaient perçus comme les piliers de la cohésion sociale et de la stabilité politique.
Cette période d’ouverture et de réflexion a été l’occasion pour lui de changer de camp et de rejoindre le parti Alternative dirigé par Ould Mohamed el Hacen. Ce dernier prônait une ligne politique modérée, mettant en avant le dialogue et la recherche de compromis.
Ce changement d’orientation a été motivé par une recherche de nouvelles perspectives politiques plus conciliantes et adaptées aux défis de la Mauritanie. Cependant, après cette expérience, Ahmed Ould Bettar s’est tourné vers l’engagement médiatique, où il continue de promouvoir une citoyenneté inclusive et de favoriser le dialogue public sur les questions politiques en Mauritanie. Lors des éléctions, il a soutenu Mohamed Ould Cheikh el Ghazouani . Il est auteur d’une saga politique intitulée « le Volcan » publié sur Rapide info.