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Mauritanie : la riposte du Mali qui peut faire très mal

La décision du Mali de fermer sa frontière avec la Mauritanie plonge les éleveurs nomades dans l’incertitude. Des milliers de familles vivant de la transhumance se retrouvent isolées, privées d’accès aux pâturages et aux points d’eau essentiels à la survie de leur cheptel. Une situation qui inquiète profondément les autorités locales et menace la stabilité économique de l’Est mauritanien. Les régions du Hodh el Gharbi, du Hodh el Charki, de l’Assaba et du Guidimakha sont désormais confrontées à une crise sociale latente, alors que le secteur de l’élevage demeure l’un des piliers de l’économie nationale.

Un choc brutal pour les éleveurs nomades

La fermeture de la frontière par le Mali a pris de court les éleveurs mauritaniens qui, depuis des décennies, pratiquent la transhumance vers les zones herbeuses maliennes dès la fin de la saison sèche. Cette mobilité saisonnière, vitale pour le bétail, repose sur un équilibre ancestral entre les communautés des deux pays. Aujourd’hui, cet équilibre est rompu. Les troupeaux, désormais confinés dans les zones arides du Sud-Est, risquent de manquer de nourriture et d’eau d’ici quelques mois, avec des pertes économiques considérables à la clé.

L’impact de cette décision dépasse largement la sphère pastorale. L’élevage représente environ 10,1 % du PIB mauritanien (données 2020) et près de 70 % de la valeur ajoutée du secteur rural, selon les statistiques nationales. Ce secteur emploie près de 10 % de la population active, principalement dans les zones rurales. Sa fragilisation menace donc des milliers de foyers et pourrait accélérer l’exode vers les grandes villes, déjà confrontées à un chômage croissant. À cela s’ajoute la dépendance de la Mauritanie vis-à-vis des exportations de bétail et des produits dérivés, essentiels pour la balance commerciale du pays.
Dans plusieurs régions dont Hodh el Gharbi et Assaba, les marchés à bétail connaissent déjà un ralentissement. Les commerçants évoquent des difficultés d’approvisionnement et une chute des prix. Certains éleveurs envisagent de vendre une partie de leur troupeau à perte, faute d’alternative pour les nourrir. L’interdépendance entre le Mali et la Mauritanie, longtemps fondée sur la libre circulation des éleveurs, se trouve désormais suspendue à des considérations politiques et sécuritaires.

Une décision politique aux répercussions régionales

Cette fermeture de frontière ne peut être dissociée du climat de méfiance qui persiste depuis plusieurs années entre Bamako et Nouakchott. Les autorités maliennes ont, à plusieurs reprises, accusé la Mauritanie de laisser circuler sur son territoire des groupes armés soupçonnés de collusion avec des organisations terroristes opérant dans le centre et le nord du Mali. En 2022, des tensions avaient déjà éclaté après l’assassinat de civils mauritaniens près de la frontière, incident que le gouvernement malien avait imputé à des éléments incontrôlés de ses forces armées avant de promettre une enquête. Ces accusations récurrentes ont altéré la confiance entre les deux États, pourtant liés par des accords de coopération frontalière et sécuritaire signés depuis plus de vingt ans.

Plus récemment, Bamako a reproché à Nouakchott de fournir, directement ou indirectement, une assistance logistique à certains groupes hostiles aux forces maliennes. Des sources maliennes affirment aussi que des hôpitaux mauritaniens auraient soigné des combattants blessés appartenant à des groupes armés opérant dans la zone sahélienne. Pour le gouvernement malien, la fermeture de la frontière constitue ainsi un moyen de faire pression sur la Mauritanie afin qu’elle cesse tout soutien présumé aux terroristes. Cette mesure reflète la volonté des autorités maliennes de renforcer leur contrôle territorial et de limiter les interactions perçues comme menaçantes pour leur sécurité nationale.

Si le gouvernement malien présente cette fermeture comme une nécessité sécuritaire, ses effets sont avant tout économiques et sociaux. En restreignant la mobilité des pasteurs, la décision pénalise directement les populations les plus vulnérables, sans pour autant garantir un contrôle plus efficace du territoire. Dans les zones frontalières, la transhumance n’est pas seulement une pratique économique : elle constitue un mode de vie structuré autour de réseaux familiaux et tribaux transfrontaliers. La fermeture de la frontière entrave ces liens et perturbe les échanges commerciaux, sociaux et culturels qui assurent la cohésion entre les deux peuples.

Les experts locaux estiment que cette situation pourrait provoquer des tensions sociales à moyen terme. Le manque de ressources, la concurrence pour les pâturages et la raréfaction de l’eau pourraient raviver les conflits entre agriculteurs et éleveurs, déjà observés par le passé lors des épisodes de sécheresse. Les jeunes, principaux acteurs de ces migrations pastorales, sont les premiers exposés au risque de précarité et de désengagement économique.

Dans un pays où l’État dépend fortement du revenu issu de l’élevage et du commerce transfrontalier, la fermeture prolongée de la frontière avec le Mali pourrait avoir des répercussions budgétaires. Les recettes douanières liées aux flux d’animaux et de produits agro-pastoraux représentent une part non négligeable des revenus publics dans les régions orientales. En leur absence, les collectivités locales verront leurs ressources diminuer, compliquant davantage la mise en œuvre de programmes de développement rural.

Les organisations pastorales mauritaniennes appellent à une médiation rapide entre les deux pays pour rouvrir les couloirs de transhumance. Plusieurs ONG, soutenues par des partenaires régionaux, insistent sur la nécessité d’une coopération transfrontalière renforcée afin de garantir la mobilité sécurisée du bétail tout en préservant la stabilité économique et sociale des populations.

Une crise évitable mais lourde de conséquences

La fermeture de la frontière entre le Mali et la Mauritanie montre la fragilité des équilibres pastoraux au Sahel. Derrière cette crise se cache un enjeu vital : la survie d’un modèle économique et culturel fondé sur la mobilité et la complémentarité écologique. Le gouvernement mauritanien est désormais face à un dilemme : négocier avec Bamako pour restaurer la libre circulation des éleveurs, ou mettre en place en urgence des solutions internes pour compenser la perte des pâturages maliens.

Les semaines à venir seront décisives. Si aucune solution concertée n’est trouvée, la Mauritanie pourrait voir se multiplier les tensions sociales dans ses zones pastorales, au risque d’une crise plus large affectant l’ensemble du pays. Dans un environnement sahélien déjà marqué par l’instabilité et la compétition pour les ressources, la question de la transhumance dépasse désormais le simple cadre économique : elle devient un enjeu de sécurité, de diplomatie et de cohésion nationale.

La Nouvelle Tribune

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