Mauritanie – Ousmane Mamadou Kane : « Nous nous sentons en capacité d’emprunter sur les marchés internationaux »
Mauritanie – Ousmane Mamadou Kane : « Nous nous sentons en capacité d’emprunter sur les marchés internationaux »
Publié dans Jeune Afrique – Mis à jour le 12 juillet 2022 à 09:52 Par Julien Clémençot – envoyé spécial à Nouakchott
Inflation, FMI, dette, gaz, Mali, Cedeao… En dépit des incertitudes alimentées par la guerre en Ukraine, le ministre des Affaires économiques reste confiant sur la capacité de son pays à retrouver une croissance soutenue. Il répond aux questions de JA.
Après deux années très difficiles, l’économie mauritanienne montre des signes d’amélioration. Mais la situation demeure fragile et le pays subit comme tout le continent le renchérissement des produits de base et la persistance de la pandémie. L’inflation est passée de 1,4 % en octobre 2020 à 8,2 % en avril dernier selon la Banque mondiale. Pour limiter le poids de la hausse des prix sur les ménages, le gouvernement subventionne les produits alimentaires et le carburant. Mais ces aides vont rapidement devenir insoutenables pour le budget de l’État.
Interrogé début juillet, Ousmane Mamadou Kane, ministre des Affaires économiques reste néanmoins optimiste sur la capacité de la Mauritanie à retrouver une croissance soutenue. Pour redresser la situation, il espère notamment pouvoir signer un programme d’appui avec le FMI et d’ici quelques mois, un emprunt obligataire – une première pour le pays -, alors que Nouakchott a trouvé des accords avec plusieurs de ses importants créanciers, faisant tomber son niveau d’endettement extérieur à environ 45% du PIB.
Jeune Afrique : Début 2022, vous tabliez sur le retour d’une croissance forte après deux années marquées par le Covid. La guerre en Ukraine a-t-elle changé la donne ?
Mauritanie –Ousmane Mamadou Kane : L’état d’esprit n’a pas changé, nous pensons que la croissance sera bonne cette année. Certains tablent sur 4 %, j’attends plus de 5 %. Il reste que la crise ukrainienne est encore là, avec son lot d’incertitudes.
Votre pays importe une grande partie du blé qu’il consomme d’Ukraine et de Russie. Quelles solutions alternatives avez-vous trouvées ?
Il y a les difficultés d’approvisionnement en blé que vous évoquez, mais aussi celles qui concernent les engrais et les produits pétroliers. Pour le blé, en plus des importateurs privés mauritaniens, le gouvernement a sollicité le Programme alimentaire mondial (PAM) afin d’obtenir l’acquisition périodique de lots de 25 000 tonnes à partir du dernier trimestre. Concernant les engrais, il n’y aura pas de pénurie mais nous constatons un effet sur le prix. Une partie de l’augmentation des coûts sera répercutée sur les utilisateurs finaux. Pour les produits pétroliers, les prix ont eux aussi considérablement augmenté.
La conséquence de cette situation, c’est l’arrivée d’une vague inflationniste. Parvenez-vous à la juguler ?
L’inflation est totalement liée aux importations. Notre monnaie se porte bien. Il faut gérer cette période en privilégiant les besoins alimentaires des populations les moins bien loties, soit par des distributions gratuites en utilisant un registre social, soit par des subventions aux importations dans des points de vente soigneusement localisés. Pour les produits pétroliers, le ciblage est plus difficile. L’aide de l’État va d’ailleurs devoir être revue à la baisse. À ce rythme, elle représenterait 20 % du budget à la fin de l’année et c’est insoutenable. Si on ajoute les subventions des produits alimentaires et les efforts faits de manière générale en faveur des plus défavorisés, cela représenterait près de 30 % du budget national. Encore une fois, ceci n’est pas supportable.
Justement pour limiter l’impact du Covid, vous avez élargi les filets sociaux. Est-ce que cette stratégie va pouvoir être maintenue ?
Le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a offert une couverture médicale à 100 000 ménages. Celle-ci a vocation à perdurer. En revanche, nous espérons sortir de la pandémie de Covid, ou en tous les cas du mode de gestion de la crise sanitaire d’il y a un ou deux ans. Nous ne serons alors plus tenus de réaliser les transferts de cash qui avaient été mis en place pour compenser l’arrêt de certaines activités du fait des mesures prises pour endiguer cette pandémie. Les prochaines lois de finances ne manqueront pas de refléter cet ajustement.
La Mauritanie a bénéficié de plusieurs annulations de dettes. Est-ce une avancée décisive ?
Ces deux dernières années, le gouvernement mauritanien a réussi à conclure des accords très importants avec un certain nombre de pays, plus particulièrement avec le Koweït et l’Arabie saoudite au sujet de sa dette extérieure. Nous attendons maintenant que nos partenaires du FMI et de la Banque mondiale réévaluent notre niveau de risque de surendettement, avec le sérieux espoir qu’il passera de “élevé” à “modéré”. Ce qui a posé problème jusque-là, ce n’est pas le stock de dettes, mais plutôt son service. Nous faisions face à un mur qui faisait peser une épée de Damoclès au-dessus de notre tête. Ce problème est maintenant résolu.
Des discussions sont en cours avec le FMI pour un programme d’appui. Pensez-vous qu’elles pourront aboutir ?
Effectivement. Ces négociations ont été entamées à notre initiative, sans contrainte. Cela montre notre volonté de réforme et de transparence. Nous pensons que c’est important dans la période actuelle où nous voulons consolider la maîtrise de notre dette et notre balance de paiement, et nous ouvrir à l’investissement étranger.
En deux ans, les dépenses publiques ont doublé, c’est énorme. Le budget est passé de 50 à 88 milliards d’ouguiyas.
Outre les appuis sociaux dont nous avons parlé, il y a eu des avantages accordés à certains corps de fonctionnaires, aux retraités et nous avons poursuivi les investissements. Mais notre budget est solide. Le déficit n’est que de quelques 5 % du PIB, ce qui est très acceptable dans les conditions actuelles.
Est-ce que la Mauritanie est tentée d’aller sur les marchés internationaux pour se financer ? Ce serait une première.
Jusqu’à présent, nous n’étions pas en mesure de le faire dans de bonnes conditions, compte tenu de l’état de notre endettement. Cette épine est désormais enlevée et nous nous sentons en capacité d’aller sur les marchés internationaux. Nous devrions commencer par un “shadow rating” d’ici la fin de l’année pour évaluer la manière dont le marché nous perçoit.
La Mauritanie n’a-t-elle pas besoin de diversifier ses partenaires extérieurs pour accélérer l’augmentation de ces IDE ?
Oui, une économie est solide lorsqu’elle a su diversifier ses partenaires. Au-delà des pays arabes, des Européens et des institutions de Bretton Woods avec qui nous travaillons déjà, il y a aussi des choses à faire avec des pays de l’Amérique du Nord, de l’Asie ou certains pays européens. Notre volonté est de nous ouvrir.
Vous avez identifié une vingtaine de projets en PPP prioritaires que vous avez commencé à proposer à des partenaires privés à Paris, à Abidjan. Quels sont les retours ?
Les échos sont très bons. Des investisseurs se sont déplacés, des offres spontanées nous ont été faites. Dans les prochaines semaines, nous étudierons les propositions pour l’autoroute entre Nouakchott et Boutilimit. Deux partenaires se sont aussi manifestés pour l’autoroute vers Rosso. La présentation de nos projets va se poursuivre à Istanbul et Dubaï.
On évoque des projets d’investissements faramineux, de plusieurs milliards de dollars, dans le secteur de l’hydrogène vert. Quel crédit porte le gouvernement à ces annonces ?
Le potentiel est réel, qu’il s’agisse de l’accès aux énergies renouvelables (soleil, vent), à l’océan et de la proximité des marchés européens et américains. Ensuite, il faut noter que le projet ne va pas être mis en œuvre par l’État mais par des privés, chargés de mobiliser les investissements. Notre rôle est de veiller à ce que les engagements pris se réalisent.
Quand Dakar communique avec beaucoup d’enthousiasme sur le potentiel du champ gazier GTA (partagé entre le Sénégal et la Mauritanie), Nouakchott fait preuve d’une grande sobriété. Qu’attendez-vous de l’entrée en production du gisement prévue fin 2023 ?
Dans les années 2003-2005, il y a eu beaucoup d’attentes concernant le gisement de Chinguetti. Après quelques années, la déception a été totale. C’est une leçon dont nous devons tenir compte. Le potentiel est là. Toutes les dispositions sont prises, avec nos différents partenaires, pour que ce projet soit un réel succès. Cependant nous sommes tributaires des bonnes relations que nous devons continuer à entretenir avec BP. Leurs priorités ne seront pas forcément toujours les nôtres. Enfin, ces ressources sont aussi destinées aux exportations, vers des pays où une opinion défavorable aux énergies fossiles se développe. Nous la combattons certes, mais nous devons en tenir compte. L’optimisme est donc là. Mais la prudence aussi.
La Mauritanie a-t-elle reçu l’assurance que BP investira pour réaliser les phases 2 et 3 de GTA ? Qu’en est-il du gisement de Bir’Allah encore plus prometteur ?
Aujourd’hui, je ne peux pas le confirmer. Encore moins pour le gisement de Bir’Allah, qui est véritablement celui qui pourrait avoir le plus grand impact sur l’économie et les finances de la Mauritanie. Si BP ne s’engage pas à développer ces champs, la Mauritanie devra trouver un autre partenaire.
Le pays profite-t-il des cours du fer et de l’or pour maintenir ses équilibres macroéconomiques ?
Tout à fait et mon optimisme quant à l’activité économique en 2022 tient notamment au fait que tout est revenu à la normale à la mine d’or de Tasiast après l’incendie qui a arrêté la production plusieurs mois l’an dernier.
La production de fer de la Société nationale industrielle et minière (Snim) n’est-elle pas décevante ? Le projet Guelb II produit un million de tonne de minerais par an quand on attendait quatre millions.
J’entends que la Snim connaît aujourd’hui un niveau de production (12 millions de tonnes par an) sensiblement similaire à celui de 1974. Bien sûr, je souhaiterais que sa production soit plus importante, surtout que la société a le potentiel pour l’élever au-delà des 15 millions de tonnes. Mais il ne faut pas porter un jugement primaire. Il faut prendre en considération que la Snim exploite aujourd’hui un minerai moins riche et moins facilement accessible qu’hier. Dire que la Snim est inefficace est trop simpliste. Bien sûr, le projet Guelb II est encore loin de son potentiel, mais Guelb I aussi était monté très lentement en puissance. Il faut rester confiant.
La Snim a-t-elle besoin d’être réformée pour être plus efficace ?
Ce débat est récurrent en Mauritanie. Je ne me prononcerais pas publiquement à ce sujet. Il me semble cependant qu’une entreprise comme la Snim peut toujours s’améliorer.
Gaz, fer, or… Les ressources ne manquent pas dans le sous-sol mauritanien. Pourtant vous dites que l’avenir, c’est l’agriculture ?
Je ne le dis pas ainsi. Pour être solide et résilient, c’est un atout considérable que d’être adossé à des ressources renouvelables. Or la Mauritanie dispose d’un potentiel important dans ce secteur, sans oublier la pêche, l’élevage et l’agriculture. Ces potentiels sont largement sous-valorisés. Il faut en faire une priorité. Cela n’est pas contradictoire avec l’importance à accorder aux ressources extractives. Le secteur privé s’en occuperait très bien.
La Cedeao vient de lever les sanctions prises contre le Mali, mais les défis sécuritaires y restent très importants. Quelles conséquences cela a sur votre économie ?
Il y a d’abord une dimension humaine. Ce qui touche les Maliens, nous touche. Nous nous réjouissons de la levée des sanctions. Il reste que les défis sécuritaires peuvent avoir un impact sur les éleveurs mauritaniens qui, traditionnellement, emmènent leurs troupeaux au Mali. Il y a également la question des réfugiés. Le camp de Mberra grossit. Il concentre aujourd’hui 70 000 personnes. Même si les organisations internationales sont présentes, ce sont des frères qui se retrouvent sur notre territoire national : nous devons les accueillir et les assister.
Avec ce qui se passe au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, la Cedeao connaît une crise sans précédent. Vous étiez candidat pour réintégrer cette zone de libre-échange. Est-ce que c’est toujours votre souhait ?
Nous avons certainement besoin d’avoir des relations rapprochées avec les pays de la Cedeao ; un marché de plus de 300 millions de consommateurs, avec lequel nous avons des frontières communes. Les échanges commerciaux et l’impact économique d’un tel rapprochement seraient importants. Il faut que les démarches qui avaient été engagées dans le passé soient menées à leur terme.
Pour développer son économie, le pays mise aussi sur le projet de zone franche à Nouadhibou. Mais celui-ci semble patiner depuis quelques années. Pour quelle raison ?
Le projet de zone franche de Nouadhibou n’a pas atteint les objectifs fixés en 2014. C’est une déception par rapport aux efforts fournis. Le gouvernement travaille à sa réforme. J’espère qu’elle sera adoptée cette année.
Dans l’opinion publique s’est installée l’idée que le président n’a pas engagé de grands projets d’infrastructures, contrairement à son prédécesseur…
Nous sommes en train de préparer la réhabilitation de routes goudronnées il y a cinq ans, mais aussi de trouver un sens à la construction du port de N’Diago. Ce n’est pas le genre de résultats que nous cherchons. Ceci dit, le Covid a largement perturbé l’action gouvernementale ces deux dernières années. Néanmoins, de grandes réalisations très structurantes devraient être lancées comme l’approvisionnement en eau des villes et villages situés entre Gouraye (au bord du fleuve Sénégal) et Kiffa, sur 250 km, grâce à l’appui d’un certain nombre de bailleurs de fonds arabes et islamiques. Nous sommes aussi confiants concernant le projet de traitement des déchets solides de la capitale et la construction de tours administratives au centre-ville de Nouakchott. Autant de projets qui se préparent sans bruit.
Source: Jeune Afrique