Madame Mint Dey membre du Comité permanent du RFD : ‘’Aujourd’hui tous les espoirs sont suspendus à la Commission d’enquête…

Madame Mint Dey membre du Comité permanent du RFD : ‘’Aujourd’hui tous les espoirs sont suspendus à la Commission d’enquête parlementaire, à son rapport et à l’action en justice qui suivra…’’

Le Calame : Un scandale sans précédent vient d’éclater à la BCM. D’importantes sommes en Euros sont détournées, d’autres en faux dollars découverts dans ses coffres. Comment un tel scandale a pu arriver dans une institution garante de notre monnaie nationale ? Quelles mesures faudrait-il prendre pour que pareils manquements ne puissent se reproduisent dans le pays ?

Mouna Mint Dey : Ce qui vient de se passer à la BCM est la conséquence logique de dix années de désordre et de corruption débridée. C’est, semble-t-il, à la faveur d’une restructuration interne que la fameuse caisse a été exemptée de contrôle…
Personne ne pouvait imaginer un tel degré de dégénérescence; et c’est pourquoi la découverte des détournements doublés de falsification de devises a été ressentie par tous comme un coup de massue asséné à la plus importance institution financière et économique du pays, à sa crédibilité et à sa sécurité qui est indissociable de notre propre sécurité monétaire et financière.
On a entendu M. Moustapha Ould Abeiderrahmane dire l’autre jour sur le plateau d’une chaîne qu’à son arrivée à la BCM, il a trouvé une institution fonctionnant sur des bases solides et sûres léguées par le Président Ahmed Ould Daddah…
Alors, découvrir qu’elle abrite depuis des années un laboratoire secret dans lequel on pratiquait toutes sortes d’alchimies destructrices ne peut qu’abasourdir les mauritaniens. Et l’on se dit que ce genre de scandale n’aurait pas éclaboussé cette institution vitale s’il elle n’avait pas été laissée entre les mains d’individus dépourvus de compétence et d’intégrité. Je pense que pour la protéger de ce genre de scandales à l’avenir, il faut s’atteler à restaurer réellement la crédibilité et l’autorité de l’Etat et à promouvoir le respect de la chose publique, en particulier les institutions vitales comme la BCM.
La gestion de ces institutions- là ne doit être confiée qu’à des personnes compétentes et intègres.

L’ancien président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz a rejeté la convocation que la commission d’enquête parlementaire lui a adressée dans ce cadre des investigations qu’elle mène sur sa gestion. Avez-vous été surprise par son attitude ? Est-il dans son droit ?

 Mohamed Ould Abdel Aziz a eu l’opportunité de s’expliquer sur les manquements qui lui ont été imputés sur la base de documents, mais aussi de témoignages émanant de personnes concernées à un titre ou à un autre par les dossiers objets des investigations de la Commission parlementaire; il a manifestement préféré ne pas profiter de l’occasion. Il a bien sûr le droit de choisir la ligne de conduite qui lui semble la meilleure, et loin de moi l’idée de m’immiscer dans ses affaires, mais je me permets de croire qu’en se comportant de la sorte, il se complique davantage la tâche. La Commission remettra quand même son rapport d’enquête à l’Assemblée Nationale en séance plénière qui  transmettra le dossier à la justice.
Mais laissez-moi vous dire que, connaissant le personnage, je n’ai pas été  vraiment surprise par son attitude.
 

Maintenant que ce refus est acté, que reste-t-il à la commission ?

La Commission a le droit de procéder par voie de contrainte pour l’amener à se présenter devant elle, mais elle peut aussi se suffire de la convocation qu’elle lui  a adressée  et  consigner son refus d’obtempérer dans le rapport qu’elle présentera à l’Assemblée Nationale et que celle-ci devra transmettre à la justice. Il semble que la Commission se dirige plutôt vers le second terme de l’alternative.
 

A en croire des rumeurs, le gouvernement a notifié à la CEP qu’il ne serait pas disposé pour débattre de la question relative à la création de la Haute Cour de Justice, du moins dans l’immédiat, avant de se rétracter. Que vous inspire cette posture du gouvernement si ces rumeurs se confirmaient ?

Vous savez qu’entre le gouvernement et l’Assemblée Nationale qui est l’organe législatif du pays, il y a un partenariat dans le processus d’adoption et de promulgation des lois. La séparation des pouvoirs n’est pas un cloisonnement absolu, et je pense que le problème que vous évoquez est purement technique   et qu’il sera dépassé rapidement.
Je crois qu’après toutes les révélations et les fuites qui se sont succédé durant  l’enquête parlementaire, l’opinion publique se trouve dans un grand émoi; le retour en arrière n’est plus possible et serait en tout cas ressenti comme un choc.
Le président de la République a manifesté son intention de combattre la corruption; et ce sur quoi planche la Commission d’enquête est précisément une affaire de corruption, d’une corruption qui a atteint un degré inédit. C’est pour cela qu’aujourd’hui tous les espoirs sont suspendus à la Commission, à son rapport et à l’action en justice qui suivra…
 

Les mauritaniens attendent avec intérêt les recommandations de la CEP. Pensez-vous que l’AN les adoptera et les transmettra au gouvernement ?

La Commission d’enquête parlementaire présentera bientôt son rapport devant l’Assemblée Nationale et celle-ci devra le transmettre à la Haute Cour de Justice ou à une juridiction de droit commun. Je ne crois pas que l’exécutif soit concerné à ces niveaux- là.
En revanche, le gouvernement aura à démettre de leurs fonctions en vue de leur inculpation éventuelle, les responsables que  la CEP aura incriminés dans son rapport  pour leur participation  à  des opérations de corruption, d’escroquerie, de malversation, de prise illégale d’intérêt… Il n’est pas tolérable que la même  personne travaille le matin dans son bureau en tant que responsable gouvernemental, et se transforme le soir en  présumé coupable de faits de corruption, poursuivi par les tribunaux.
Haut responsable en matinée, gibier de justice en soirée, c’est du jonglage de cirque…

Partagez le doute de beaucoup de mauritaniens qui craignent que le gouvernement ne donne suite aux conclusions du Parlement ? Ce sera sans doute une grosse déception la majorité des mauritaniens qui ont salué la création de la CEP ? 

 » Les actes des personnes dotées de sagesse sont préservés du vice de futilité », dit le dicton. Le gouvernement a manifesté sa disponibilité  à collaborer avec  la CEP  et l’on constate aussi qu’il n’a pas interféré dans l’enquête parlementaire, toutes choses dont il faut se féliciter. Pour le reste, je réitère ce que j’ai déjà dit: le président de la République  a déclaré à  maintes reprises et notamment dans son discours à l’occasion de la fête du Fitr qu’il combattra la corruption. Nous n’avons jusqu’à présent aucune raison de ne pas le croire. S’ajoute à cela que cette affaire est à la fois un impératif de justice et une demande unanime et urgente de l’ensemble des mauritaniens. On ne peut donc ni l’abandonner ni la reporter.
 

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que l’opposition a perdu sa la voix (x) depuis la présidentielle ? Pourquoi ne dispose-t-elle plus de cadre de concertation et coordination comme le défunt FNDU ?

 Il y a tout simplement que l’opposition a voulu donner au Président l’occasion d’entreprendre les réformes de fond à caractère urgent.
Nous connaissons l’état des lieux  qu’il a trouvé devant lui à son arrivée à la direction du pays. C’est une situation de délabrement de l’Etat, de l’économie, des finances, de la cohésion nationale…
Il y avait aussi une situation de blocage total entre les différents acteurs politiques, en particulier entre le pouvoir et l’opposition.
Le Président Ghazouani a effectivement  brisé la glace et fait preuve d’une certaine ouverture envers l’opposition; et celle-ci a naturellement réagi de manière positive tout en considérant que l’initiative du Président est insuffisante  puisque les cadres étiquetés de l’opposition ne  sont toujours pas admis aux fonctions de responsabilité dans les administrations, même quand leurs compétences et leur intégrité sont reconnues; les médias publics ne sont que très insuffisamment ouverts aux formations de l’opposition et à la société civile et l’ouverture politique n’a pas été concrétisée par le dialogue national inclusif auquel l’opposition n’a cessé d’appeler.

On assiste depuis quelque temps à la mise en place d’une coordination entre les partis de la majorité et de l’opposition représentés au Parlement. A votre avis, à quoi servira cette structure ?

Les partis d’opposition ont établi une  coordination avec les partis de la majorité représentés au Parlement dans le cadre de la lutte contre la pandémie  du Covid 19; c’est un problème national d’une gravité particulière et nous considérons que toutes  les forces vives de la Nation ont le devoir de conjuguer leurs efforts pour l’affronter.
Il faut noter cependant que les partis de la majorité, habitués à l’unilatéralisme hégémonique, ne se sont pas comportés en l’occurrence comme ils auraient dû avec leurs partenaires de l’Opposition.
Nous avons en ce qui nous concerne accompli notre devoir et pris acte de l’attitude de l’autre partie.

Depuis quatre mois que la Mauritanie fait face à la pandémie du coronavirus. Quelle appréciation vous faites de son plan de riposte ?

La pandémie du Covid 19 s’est propagée dans le monde entier, prenant au dépourvu les Etats, les systèmes médicaux et les organismes internationaux de santé publique qui passaient jusque -là pour être solides et efficaces.
Elle a fortement et durablement désorganisé les économies les plus prospères et les mieux protégées.
Ici en Mauritanie, nous considérons que le gouvernement a pris un ensemble de mesures préventives qui ont eu pour effet de retarder la propagation de la pandémie dans le pays. D’autres mesures ont été prises et ont contribué dans une moindre mesure à limiter les effets dévastateurs de la pandémie au niveau local. Un vieux dicton donne ce conseil: »N’oublie pas la longueur de ta camisole lorsque tu veux étendre tes jambes. » Je pense que nous nous sommes conformés à cette vielle sagesse populaire ; les mesures prises ne dépassaient pas les dimensions de notre camisole. Mais il est certain que les autorités se sont souciées de la santé des populations, des répercussions de la pandémie sur l’économie et de ses conséquences désastreuses pour les groupes sociaux les plus  défavorisés ; autant de choses qui tranchent avec le passé, même si dans  la mise en œuvre de ces mesures, il y a eu des lacunes et des insuffisances.
Et puis je pense qu’Allah dans son infinie bonté nous a aidés à notre insu. Qu’il en soit loué.

Le gouvernement a décidé de lever les mesures de restrictions décidées lors de l’apparition des premiers cas de COVID 19 dans le pays. Qu’en pensez-vous ?

Le gouvernement a décidé de mettre fin aux mesures de confinement pour des raisons d’ordre économique essentiellement; cette décision s’explique par le fait que le secteur informel qui fait vivre la majorité des citoyens ne peut supporter le confinement sur une longue période; il y a aussi que la maladie semble avoir atteint son pic et qu’elle commence à refluer. Il faut espérer que ce début de reflux aboutira à sa disparition complète.
Et de toute façon le monde dont nous faisons partie a choisi l’option qui consiste à déconfiner tout en s’adaptant aux conditions créées par la pandémie, en attendant de pouvoir la juguler.
« Je ne suis qu’un fils de la tribu Ghouzeya:
Si Ghouzeya se fourvoie// je me fourvoie,
et si Ghouzeya voit juste, je vois juste aussi « ,
disait un  poète.
 

Il y a une année que le président Ghazwani a été élu président de la République. Quelle évaluation vous faites de ces 12 mois ?

La situation dont a hérité le Président Ghazouani était, tout monde le sait, catastrophique. Le pays se trouvait dans une situation de faillite généralisée ; les trésoreries étaient vides et l’endettement énorme ; puis la pandémie du Covid 19 est venue s’ajouter à ce sombre tableau. Tout observateur compréhensif ne peut que prendre en compte ces réalités pour une évaluation objective de la situation.
Et puis le Président a donné l’impression d’être un homme calme et pondéré ; c’est toujours ça de gagné.
Cette première année a d’ores et déjà été celle de la lutte contre le Covid 19 et de l’enquête parlementaire. Si elle apporte la restitution des biens publics pillés, le châtiment des pillards et la victoire sur le Covid19, alors elle aura été une année vraiment faste.

Propos recueillis par Dalay Lam

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