Accueil |

« L’Union européenne change d’époque et de ton », selon Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe

« L’Union européenne change d’époque et de ton », selon Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe

INTERVIEW – Pour contrer le plan de subventions américain, l’UE mise sur un cadre offensif de politique industrielle. Avivées par la guerre en Ukraine, les dissensions entre les vingt-sept se cristallisent sur l’énergie.
Bruna Basini, Marie-Pierre Gröndahl 11/02/2023 à 23:02

Laurence Boone a longtemps théorisé sur les moyens de faire de l’Europe un espace-puissance. L’ex-conseillère en économie de François Hollande est arrivée à point nommé aux affaires européennes en juillet. Face aux plans de transformation massifs des États-Unis, dont l’« Inflation Reduction Act » (IRA), elle défend avec force le modèle européen.

Après le « pacte vert industriel » de la Commission européenne pour contrer l’IRA, quelle a été la réponse du Conseil européen réuni jeudi ?
Nous avons donné une grande force d’impulsion à la politique industrielle de l’Union européenne en fixant un cadre qui repense le sujet de la compétitivité face à la hausse des prix de l’énergie, à l’enjeu majeur de la transition écologique et aux subventions chinoises ou américaines. Nous allons simplifier le cadre des aides d’État, abaisser les seuils, simplifier le dispositif et donner de la flexibilité dans l’utilisation des fonds européens de cohésion et de résilience. Nous voulons aussi promouvoir des outils de défense imposant la réciprocité dans les appels d’offres et des mesures à l’égard des entreprises qui seraient subventionnées par leur État d’origine. Un troisième volet concerne la mobilisation autour des talents et des compétences sur un marché mondial en tension.

Le fonds de souveraineté fait-il partie du cadre ?

C’est le quatrième pilier. La Commission nous fera des propositions précises d’ici juin. Il pourrait financer les secteurs où nous voulons être plus forts et plus autonomes comme les batteries électriques, l’hydrogène ou les microprocesseurs. Je peux vous assurer que le consensus était au rendez-vous du Conseil sur ce sujet.

Le ministre de l’Économie italien [Giancarlo Giorgetti], interviewé vendredi, pointait les dissensions continuelles entre États membres…
Nous sommes unis sur l’essentiel et nous échangeons beaucoup avec Rome. L’Italie a un grand intérêt à défendre la flexibilité sur l’utilisation des fonds de cohésion et nous avons trouvé un équilibre sur ce point.

Pourtant, jeudi, la France s’opposait à l’Espagne et à l’Allemagne sur la production de l’hydrogène à base de nucléaire. Unis, vraiment ?
Nous n’avons pas le même mix-énergétique de départ et le sujet relève de la souveraineté nationale de chaque pays. Et par rapport au nucléaire, les États de l’Union européenne ne sont pas sur le même modèle. Ne perdons pas de vue notre objectif commun, qui est la décarbonation, et pour l’atteindre le nucléaire fait évidemment partie des solutions.

Quand et comment va-t-on sortir des blocages persistants autour
de la fixation des prix de l’énergie ?
Nous avons déjà beaucoup avancé au cours du second semestre 2022 en prenant des mesures destinées à amortir le surcoût énergétique pour les consommateurs et en prévoyant un cadre européen pour des achats conjoints. Nous n’allons pas manquer d’énergie cet hiver, malgré la guerre en Ukraine, et les entreprises et les ménages ont été protégés grâce aux boucliers tarifaires. Concernant la réforme du marché de l’électricité, nous sommes d’accord sur une chose au sein du Conseil européen : nous voulons aboutir avant la fin de l’année pour faire baisser les prix. Sur le fond, l’objectif est clair : mettre en place des règles et instruments pour garantir que le prix de l’électricité payé par le consommateur soit cohérent avec le coût de production.

Les premiers à dévaloriser l’Union européenne sont les Européens eux-mêmes
Laurence Boone

Face aux montants colossaux du plan de Washington et à la vitesse de son déploiement, ne redoutez-vous pas que la réponse européenne soit inadéquate ?
Les premiers à dévaloriser l’Union européenne sont les Européens eux-mêmes. Là où, à l’inverse, les Américains de tous bords sont capables de taire leurs différends pour défendre d’une seule voix les États-Unis et mettre en valeur leur pays. À nous, d’abord, de changer d’attitude et de reconnaître les progrès accomplis. Entre les deux derniers Conseils européens, un pas énorme a été franchi. Les financements décidés pour défendre la compétitivité européenne, de l’ordre de 400 milliards d’euros sur trois ans, n’ont pas à souffrir de la comparaison avec ceux du plan anti-inflation de 430 milliards de dollars sur dix ans outre-Atlantique. Et nos financements sont orientés à 40 % vers la transition écologique. Nous avons aussi lancé des investissements massifs avec le plan de relance et France 2030, qui vont permettre d’investir 54 milliards d’euros dans les prochaines années.

Avez-vous quantifié la part d’activités perdues par l’UE du fait de l’IRA ?
C’est très difficile à chiffrer. La meilleure réponse que nous pouvons apporter aux entreprises, c’est de leur donner une prévisibilité. Nous avons encore de nombreuses discussions sur des projets d’investissements massifs qu’il convient de poursuivre. Et nous avons des instruments pour rétablir les conditions d’une concurrence équitable.

Prise en étau entre les États-Unis et la Chine, l’Europe ne reste-t-elle pas vulnérable ?
Avec 450 millions d’habitants au pouvoir d’achat élevé, nous disposons d’une force considérable dans les négociations. Gardons à l’esprit que le premier facteur d’écart de compétitivité avec les États-Unis vient du différentiel des prix de l’énergie, et non d’une quelconque faiblesse européenne. Nous ne sommes pas non plus dépourvus de moyens d’action contre la concurrence déloyale des acteurs extra-européens, notamment avec les dispositifs anti-subvention qui pourraient être utilisés un jour, par exemple sur les véhicules électriques subventionnés par la Chine. Nous, Européens, avons été longtemps naïfs. L’Union européenne change d’époque et de ton.

En faisons-nous assez pour agir avec moins de lenteur et de complexité ?
Depuis la pandémie et le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne a su démontrer au contraire une agilité et une flexibilité inédites. Mais certaines mesures peuvent encore accélérer les processus, comme la possibilité de crédits d’impôt, très efficace pour les entreprises ou la diminution des seuils d’aide d’État pour les PME. Et, bien sûr, la simplification des procédures dans leur ensemble. Les Vingt-Sept se sont accordés au regard des aides d’État pour un accès au financement plus rapide au profit des entreprises. Les projets importants d’intérêt européen commun [PIIEC], qui associent des sociétés de plusieurs États membres, seront également accélérés et facilités.

Alors que de multiples secteurs peinent à recruter, craignez-vous une concurrence des États-Unis qui sont en plein-emploi ?
Nous formons en Europe autant de scientifiques, si ce n’est plus, que les États-Unis, mais il est vrai qu’un certain nombre d’entre eux s’expatrient. Nous devons être plus attractifs. Les Vingt-Sept progressent en matière de reconnaissance mutuelle des compétences et des diplômes, y compris à tous les niveaux de l’apprentissage, ce qui favorise la mobilité et l’emploi. Bref, nous travaillons à créer les bases d’une saine compétition avec les États-Unis.

Source: le JDD

Articles similaires