Libye : les assassins de Derna

Libye : les assassins de Derna

LETTRE DU MAGHREB. Tempête Daniel, réchauffement climatique, délitement de l’État et corruption auront tué des milliers de Libyens dans l’est du pays.

Par Benoît Delmas
Publié le 24/09/2023 à 11h00 – Point.fr

La corruption tue. Les événements de Derna, dans l’est de la Libye, en attesteront pour l’éternité. On pourra construire tous les monuments aux morts, les plus grandioses, les plus éloquents, qu’il restera ad vitam la trace avilie de la corruption humaine.

Un lourd bilan

La ville de 100 000 habitants a été rasée, au sens littéral, par les flots provoqués par la tempête Daniel qui avait déjà endeuillé sur son passage la Grèce et la Turquie. Flots furieux qui se sont démultipliés en un tsunami assassin né de la corruption. Les deux barrages censés protéger la ville en amont se sont écroulés, faute d’avoir été entretenus. L’eau est alors montée jusqu’au quatrième étage des immeubles de Derna, engloutissant infrastructures et vies humaines d’une même lame. Un bilan provisoire émanant du ministre de la Santé de l’Est, Othman Abdeljalil, compte 3 753 morts quand l’OMS (Organisation mondiale de la santé) évoque 4 014 morts et 8 500 disparus.

On a enterré de nombreuses victimes sans sépulture nominative, ce que les humanitaires déconseillaient pourtant, estimant que cela pourrait ajouter des traumatismes aux familles survivantes. La tempête Daniel, fruit du réchauffement climatique, a été l’élément déclencheur de ce carnage. Mais, sans le délitement de l’État provoqué par des cliques et des clans et sans la corruption inhérente à ces derniers, le bilan n’aurait jamais atteint un tel nombre de morts. Les alchimistes de la corruption auront transformé un désert en une mer, un drame en un carnage.

« Pendre ceux qui ont volé ou trahi »

À Derna, lorsque les habitants ont appris que les autorités n’avaient lancé aucune alerte météo, que les deux barrages n’étaient pas en état malgré plusieurs alertes, que les fonds alloués à leur entretien s’étaient évaporés, les larmes se sont transformées en colère. Le domicile du maire a été assailli et incendié, mais Abdulmonem al-Gaithi avait anticipé la fureur des survivants. Il était déjà parti. Caché, l’homme réclame « la création d’une commission internationale d’enquête pour déterminer ce qui s’est passé ». Une demande impossible dans un pays gangrené par la violence, un pays aux deux pays, l’Ouest et l’Est ayant chacun leur administration, leurs milices… Tripoli, la « capitale », conserve un léger avantage en hébergeant la Banque centrale et le siège de la NOC (National Oil Corporation ), la compagnie pétrolière qui fait vivre le pays.

Quand la foule de Derna a demandé à pleins poumons la « pendaison » pour « ceux qui ont volé ou trahi » (ou les deux), les maîtres de l’Est ont fort peu goûté la menace. Face à cette lame de fond, cette fois-ci humaine, le clan Haftar a répondu avec son attitude favorite : la brutalité. Internet s’est éteint, les téléphones ont subitement manqué de réseaux, les journalistes ont été priés d’aller voir ailleurs si le sable était plus chaud, des activistes et des voix critiques ont été arrêtés. La bonne vieille méthode. Le maréchal Haftar et ses enfants règnent dans l’Est libyen. Ce militaire se comporte comme un seigneur de guerre, affranchi de toutes règles, sinon les siennes. Ce quasi-octogénaire est sur le point d’instaurer une monarchie officieuse, un de ses garçons lui succédera dans des fonctions tout aussi officieuses.

Il est suivi depuis plusieurs années par la Cour pénale internationale qui tente de documenter ses actes. En 2019, à deux semaines d’une conférence cruciale pour l’avenir de la Libye, Haftar jetait son armée sur les faubourgs de Tripoli pour torpiller le processus de paix. Bilan ? Un millier de morts et un espoir de réunification avorté. L’homme s’épanouit dans le chaos et le sang, soutenu par l’Égypte du maréchal Al-Sissi, la Russie et les Émirats arabes unis.

L’aide internationale pour la reconstruction de Derna est censée passer par lui, via son fils Saddam « chargé » de gérer la crise humanitaire. Des milliards de dollars sur lesquels ces seigneurs de guerre risquent de prélever leur dîme en toute impunité. Les barrages ont cédé, car l’argent accordé pour leur entretien avait été kidnappé. Et l’argent destiné aux survivants risque fortement d’être accaparé par les mêmes.

Source: Point.fr

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