L’histoire de Oualata revisitée

L’histoire de Oualata revisitéeL’histoire de Oualata revisitée
Des profanes et même certains initiés ont attribué aux Soninkés la paternité de
la fondation du Ksar de Oualata, une ancienne cité du Hodh mauritanien, à la lisière
du Mali, fondée au VIIe siècle et annexée plus tard par l’empire du Ghana, lui-même
à cheval sur les deux pays. Si certaines sources soutiennent cette idée, d’autres
attribuent la naissance de Birou, comme on l’appelle en mandé, aux Guirganké, que
les Soninké considéraient comme leurs cousins.

Oualata, un carrefour ethnoculturel

Après la chute de l’empire du Ghana, Oualata s’est développée et est devenue un
centre de commerce caravanier, car elle était située sur la route transsaharienne
utilisée pour le commerce entre l’Afrique du Nord et le Soudan.
Comme d’autres villes sahélo-sahariennes telles que Tichitt, Chinguetti,
Ouadane et Tombouctou, Oualata était aussi un centre islamique et un haut lieu
culturel arabo-musulman. Selon la tradition locale, c’est même le lieu de sépulture de
l’un des compagnons du Prophète. La position de Oualata était également
stratégique, puisqu’elle se trouvait sur la route des pèlerins qui y trouvaient un gîte
d’étape avant de continuer leur long voyage vers les lieux saints de l’islam. Kankan
Moussa, le célèbre souverain du Mali, l’homme le plus riche qui ait jamais vécu et
;Seigneur des mines d’or, se serait arrêté à Oualata lors de son voyage vers La
Mecque. Ainsi, comme l’attestent les chroniqueurs, des vagues migratoires
guirganké, soninké, berbère et arabe ont eu lieu au fil des siècles:

‘Auparavant, dit le Tarikh es-Soudan au dix-septième siècle, le centre
commercial était à Birou , on y voyait affluer les caravanes de tous les
pays, et de grands savants, de pieux personnages, des gens riches, de
toutes races et de tous pays, s’y fixaient ; il y en avait de l’Egypte, d’Aoujila,
du Fezzan, de Radamès, du Touat, du Darat, de Tafilelt, de Fez, du Sous,
de Birou, etc.’(1)

Il y avait aussi d’autres tribus, encore plus anciennes, comme les Guirganké et
les Gangari.

Les Guirganké :

Les Guirganké sont une ethnie maure métissée d’origine arabo-africaine, un des
nombreux exemples des pédigrées qui font légion en Mauritanie, où de nombreuses
familles arabes sont devenues négro-africaines et vice-versa. Leur appartenance
ethnoculturelle est ainsi abordée par des études sur les tribus sahéliennes :

‘ Ils se disent arabes et même des Ansar… Les Soninké les appellent
Guirka ou Guirganké. Les Maures les dénomment Tagdaoust, ou
Tagdaouich, dans lequel on serait tenté de voir une réminiscence de la
vielle ville de d’Aoudaghost. Il serait d’autant plus possible de rattacher
nos Guirganké aux sujets de l’ancien empire d’Aoudaghost que Saadi
attribue la fondation de Chinguitti aux Azer, celle de Tichit aux Ahel
Macin, et celle de Birou-Oualata aux Ahel Taghdaost… et que nous savons
que ces trois noms désignent le fonds commun de la population de ces
trois villes, c’est-à-dire les Guirganké’.(2)

En effet, cette ancienne population, maintenant oubliée, parlait initialement
l’azer, une langue d’origine berbère et soninké, qui a été abandonnée au profit du
soninké et du hassaniya qui est la langue vernaculaire des Maures. C’est en raison de
leur hétérogénéité que les Guirganke sont associés au Soninké, une controverse qui
peut s’expliquer par le conflit entre la tradition orale et certains documents
historiques.

Les Gangari

On ne sait pas clairement qui sont les Gangari, mais il est fort probable qu’ils
soient les ancêtres des Soninké, ou du moins qu’;ils aient une relation de parenté avec
eux. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les Soninkés vivent aujourd’hui au
Guidimakha et que les Gangari y ont migré depuis la région du même nom dans le
Tagant et une partie de l’Assaba:
‘Les Gangari, chassés du Tagant vers le commencement du XVIIe siècle par
les Maures, furent contraints de se replier vers le sud. Le nom Guidimakha
s’étendit dès lors insensiblement aux régions nouvelles dans lesquelles ils se
fixèrent et où ils vivent encore et finit même par ne plus être appliqué qu’à
ces seules régions, qu’il ne désignait pas à l’origine’.(3)
La légende raconte également que Ganné Kamara, chef historique du clan
Soninké, révolté contre le roi du Mandé, Soundiata Keita, en 999 après J.-C., avait
envahi Ougadou et étendit son royaume jusqu’aux confins de l’Adrar, où vivaient à la
même époque les Gangari.

Il convient ici de noter que Oualata était aussi le point de convergence d’un
certain nombre d’anciennes tribus maures. Il s’agit des Mhajib, des Messoufa, des
Kountas, des Chorfa, des Bareteil, des Nmadi, des Peuls d’origine idouaich appelés
les Benays (Id Ou Aich, Oulad Yich), et des Sénégues. Ces derniers sont une tribu
Sanhaja. Ils ont donné leur nom au Sénégal actuel.(4) Il y a ensuite les Banu Hassan,
en particulier les Oulad Bella et les Oulad Daoud. Jean l’Africain nous apprend par
Modat qu’au début du XVIe siècle, les Oudaia, tribus descendantes de Oudei ben
Hassan, prélevaient un impôt sur la population de Ouadane et de Oualata.(5)

Les sources de l’histoire de Oualata

Il existe deux types de littérature historique sur le Ksar de Oualata : la tradition
orale et les publications de voyageurs, d’historiens et d’anthropologues, comme les
chroniques de Oualata et de Néma de Paul Marty, écrites sur la base de la culture
locale transmise par les familles lettrées oualatiennes, et dont la partie relative aux
événements d’intérêt est consignée dans des kanânîch, c’est-à-dire des cahiers
historiques contenant des documents juridiques, des actes de vente, d’achat, de
mariage, d’héritage, des échanges épistolaires, etc. , une tradition écrite qui remonte
aux invasions arabes de la région, c’est-à-dire aussi loin que le début du
XVIe siècle.(6) Il s’agit d’un fonds de 11 archives dont 8 sont inventoriées. (7)
La société soninké, par contre, est de tradition orale : un mode de mémorisation
et de transmission caractéristique de certaines sociétés à langues non écrites. En
d’autres termes, le récit des événements du passé de la société soninké, y compris sa
généalogie et ses jours de gloire, ont été transmis oralement de génération en
génération par les griots qui sont les conteurs de la culture ouest-africaine, chargés
de raconter l’histoire et de garder le passé vivant.
l’Histoire et l’idéologie, une frontière poreuse.
Si l’on rappelle la spécificité du mode de communication de l’histoire chez les
Soninkés, on constate que ce ne sont pas des historiens ou des géographes qui ont
transmis des monographies et des études sur leur société, mais plutôt des aèdes, des
poésies épiques et des légendes glorifiant le monde mandingue, qui ont servi de
réceptacle à leur histoire. Et ce, même si, avec l’islamisation de la région par les
Almoravides, une classe de lettrés soninké arabophones a émergé, plus préoccupée

par les études islamiques et l’exégèse musulmane que par la rédaction de livres
d’Histoire.
D’ailleurs, les premières études sur les sociétés sahéliennes proviennent des
récits des voyageurs arabes et européens Ibn Battuta, Al Bakri , Al Saadi , Mungo
Park, Leon l’Africain, Rene Caillé, entre autres, qui ont collecté et analysé les
informations d’une manière qui se voulait scientifique, sans glorification de clans ou
autres visées identitaires ou nationalistes. C’est pourquoi il est toujours difficile de
distinguer le mythe du réel. Dans ce contexte, certaines voix discordantes ont
critiqué le professeur Cheikh Anta Diop, qui est considéré comme l’un des plus
grands historiens africains, pour son orientation idéologique. Il a lui-même admis
cette critique, car il se présentait comme un historien engagé. Mais, comme on le
sait, engagement et neutralité ne vont pas de pair – à moins de se contenter d’une
neutralité engagée ! Le fait que l’égyptologue Anta Diop ait fondé un parti politique
panafricain dans la lignée des théories des penseurs noirs américains suffit à illustrer
son militantisme.

Protection et sauvegarde du patrimoine historique

En 1996, l’UNESCO a inscrit le Ksar de Oualata sur la liste des sites du
patrimoine mondial. Conformément à l’esprit de la Convention internationale pour
la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, ce trésor matériel et
immatériel doit être préservé pour les générations futures des défis du temps, des
aléas de la vie et des vicissitudes de l’histoire.
L’État mauritanien, conscient de la nécessité de protéger ses villes anciennes et
son patrimoine culturel dans son ensemble, s’est engagé dans un processus positif
dans lequel des efforts louables sont déployés, tels que le festival annuel célébrant le
passé glorieux de Chinguitti, Ouadane, Oualata et Tichit, organisé par le Ministère de
la Culture sous le patronage du Président de la République.
Ce sont de bonnes initiatives qui ont le mérite de garder le passé vivant, de
contribuer à la connaissance de notre pays et d’améliorer notre visibilité sur l’avenir.
Enfin, selon la légende grecque, les Athéniens auraient un jour sauvé l’Acropole
de la destruction en offrant des balles à un ennemi assiégé qui, à court de munitions,
voulait utiliser les matériaux du temple. Le jeu en vaut la chandelle, pour ainsi dire.

Ely Ould Sneiba

Références bibliographiques
1. Marty, Paul. Etudes sur l’Islam et les Tribus du Soudan. Tome III. Paris :
Ernest Leroux, 1921. PP324-25
2. Marty, Paul. Études sur l’Islam et les tribus du Soudan, Tome IV, La
région Khayes, le pays bambara- Le Sahel de Nioro. Paris : Ernest Leroux,
1920. PP128-29
3. Delafosse, Maurice. Chroniques du Futa Sénégalais. Traduction des
manuscrits de Sireh-Abass-Soh. Paris : Ernest Leroux, 1913. PP133.
4. Marty, Paul. Études sur l’Islam et les tribus du Soudan, Tome IV, La
région Khayes, le pays bambara- Le Sahel de Nioro. Paris : Ernest Leroux,
1920. PP328
5. Modat. Portugais, Arabes et Français dans l’Adrar mauritanien. Bulletin
du Comité d’Etudes Historiques et Scientifiques.1922, Tome V. P559.
6. Marty, Paul. Études sur l’Islam et les tribus du Soudan, Tome IV, La
région Khayes, le pays bambara- Le Sahel de Nioro. Paris : Ernest Leroux,
1920. PP328
7. Eida ELHILAL, Ahmed Maouloud “ Kanach Oualata : inventaire des
archives familiales “ In. Massadir: Cahiers des sources de l’histoire de la
Mauritanie, revue de LERH ,FLSH, Université de Nouakchott, n°5, p.p.131-
191.

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