Lettre ouverte aux futurs candidats de l’opposition

Lettre ouverte aux futurs candidats de l’opposition
Mes chers futurs candidats, dans quelques semaines vous aurez à prendre la lourde responsabilité de solliciter les voix de vos concitoyens, avec l’espoir de gagner leur confiance et réaliser le changement tant attendu par l’écrasante majorité du peuple mauritanien. Au-delà de l’intérêt que revêt votre candidature pour vos propres personnes, vous devez toujours avoir présent à l’esprit que l’issue de votre engagement ambitieux et courageux sera historique et salvatrice en cas de victoire… ou décevante et désespérante en cas de défaite…parce qu’elle serait une frustration de trop. Lapalissade, me diriez-vous ! Certes mais permettez-moi de vous interpeller sur le fait que vous gagneriez dans tous les cas, si vos candidatures étaient également préparées et conçues dans l’objectif de relancer et redynamiser l’opposition dont l’avenir est incertain. Au regard de sa faiblesse actuelle, son renforcement s’impose pour toute candidature issue de ses rangs. C’est un objectif crucial et pertinent, autour duquel doivent se former des coalitions fiables et efficientes pour soutenir une candidature donnée. Ce faisant, et quelle que soit l’issue de l’élection, l’opposition en sortirait plus crédible etforte ; en somme, plus porteuse d’espoir pour l’avènement du changement.

À mon humble avis et au-delà de l’enjeu principal de l’élection, cette ambition pour l’avenir de l’opposition doit figurer parmi les raisons de toute candidature visant le changement. C’est en cet objectif que s’inscrit ma lettre, avant que vous ne procédiez à cet acte de grande responsabilité. J’espère, en toute modestie, qu’elle attire votre attention sur diverses subtilités de notre code électoral et vous propose des recommandations susceptibles de rendre vos candidatures plus efficientes.

La proportionnelle, une manœuvre du pouvoir

Lors des élections municipales, législatives et régionales passées, l’opposition accepta, après des concertations expéditives, le principe de la représentation proportionnelle au plus fort reste. C’était, en fait, une manœuvre politique du pouvoir en place qui visait à se placer à la tête de tous les conseils régionaux et municipaux, sûr qu’il était de sa large suprématie sur les forces de l’opposition prises individuellement et de la difficulté pour ces dernières de composer des coalitions fiables. Le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation sut habilement faire accepter par l’opposition cette option qu’elle avalisa donc, la jugeant avantageuse et pragmatique compte-tenu de sa faiblesse, en ce sens qu’elle lui permettait d’obtenir des députés dans les listes nationales, des conseillers régionaux et municipaux et lui évitait de tout perdre. L’objectif principal du pouvoir était d’éviter tout risque de perdre la présidence des conseils régionaux et les mairies des capitales départementales où l’opposition est plus présente, les bureaux de vote moins étiquetés et le suivi des consignes de vote moins contraignant.

En Mauritanie rurale, le pouvoir est beaucoup plus à l’aise car, depuis Maawiya ould Sid’Ahmed Taya, le système politique a enraciné chez les populations une propagande de chantage visant à leur faire croire que leurs bureaux de vote sont mis sur leur compte et qu’ils seront par conséquent traités à la mesure de leur degré de loyauté, estimée au vu des résultats des listes du pouvoir dans ces bureaux. Cette politique d’intimidation réussit le plus souvent à imposer des consignes de vote tribales, villageoises, claniques et communautaires à des populations désespérées et à la merci de l’exclusion et de la marginalisation.

C’est dire que dans les élections à la représentation proportionnelle au plus fort reste, les chances de l’opposition de façon globale sont dans tous les cas plus grandes… si elle parvient à réunir de fortes coalitions dans les circonscriptions électorales où elle peut espérer gagner. Fiables, de telles coalitions peuvent donner l’espoir de gagner dans les grandes villes et susciter ainsi un enjeu électoral mobilisateur pour une opposition trop souvent léthargique. Cette option est d’ailleurs beaucoup plus pertinente pour la prochaine élection présidentielle : il y aura moins de déplacement de populations, ce qui pourrait avantager l’opposition… à la condition encore qu’elle capitalise le vote des villes par de fortes coalitions autour de deux candidats au maximum et puisse ainsi imposer un second tour. Ce faisant, l’opposition gagnerait en palliant à ses insuffisances matérielles et humaines en réduisant ses besoins et en rationalisant ses moyens, d’une part, et, d’autre part, en suscitant un engouement et un espoir qui se répercuteront à son avantage à l’intérieur du pays.

Il me semble malheureusement que vous risquiez aller aux braises plutôt en ordre dispersé, comme d’habitude, et vous cogner ainsi à la même place, au même mur de l’égoïsme, de l’opportunisme et de la fantaisie, pour revenir, après une énième défaite, dénoncer la fraude dont vous connaissez à l’avance l’existence mais qui ne vous a cependant pas empêché de vous présenter. J’espère vivement et de tout cœur me tromper cette fois-ci !

Candidatures vouées à l’échec

Permettez-moi donc de vous interpeler sur un devoir évident : vous n’ avez pas le droit de légitimer, en faisant cavalier seul par des candidatures vouées à l’échec, la continuité d’un système politique qui n’a que trop duré, avec, d’un côté, l’injustice, l’exclusion, la marginalisation, la privation, l’iniquité, la paupérisation, une accablante fracture sociale, une cohésion populaire malmenée, la faillite de tous les services publics et, de l’autre côté, la gabegie, la corruption, le népotisme, le tribalisme, le favoritisme, l’enrichissement illicite et exponentiel d’une minorité d’intouchables qui imposent le statu quo.

Vous n’avez également pas le droit de remuer le couteau dans les plaies de nos amertumes, de nos frustrations, de nos privations, de nos injustices et de nos déceptions, par des candidatures vouées à l’échec parce que mal préparées, mal engagées, mal coordonnées. Si réellement vos candidatures ont pour objectif l’avènement du changement, vous le réussirez mieux en vous alliant, en coordonnant et en planifiant ensemble cet avènement.

De grâce, si vous n’êtes pas capables de sacrifier vos ambitions personnelles pour l’intérêt de ce peuple meurtri par plus de trois décennies de mauvaise gouvernance, ne vous engagez pas dans une aventure dont le résultat ne serait que la consolidation du statu quo et la persistance du désespoir, du défaitisme voire de la résignation. En ce cas, il vous serait plus honorable de laisser Ghazwani assumer seul le discrédit de son deuxième quinquennat, sans lui donner l’occasion de se donner bonne conscience par votre participation qui lui servirait de caution morale à une élection qu’il gagnera de toute façon et, comme d’habitude, par la fraude ou par les armes.

Mohamed Daoud Imigine

Source: Le calame

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