Le coronavirus, fabriqué à partir du virus du sida ? La thèse très contestée du professeur Montagnier

Le Prix Nobel de médecine 2008 a repris à son compte une étude indienne déjugée, qui affirme que le SARS-CoV-2 a été manipulé en laboratoire.

Par William Audureau Publié hier à 19h25, mis à jour hier à 21h29

Le professeur Luc Montagnier, prix Nobel 2008 pour sa participation à la découverte du virus du sida, voit dans le SARS-CoV-2 une manipulation génétique, explique-t-il le 17 avril, sur CNews.
Le professeur Luc Montagnier, prix Nobel 2008 pour sa participation à la découverte du virus du sida, voit dans le SARS-CoV-2 une manipulation génétique, explique-t-il le 17 avril, sur CNews.

L’argument paraît imparable : le virus SARS-CoV-2 aurait été fabriqué en laboratoire à partir du virus du sida (VIH), c’est un Prix Nobel de médecine qui l’affirme. Jeudi 16 avril, le professeur Luc Montagnier, qui a reçu cette grande distinction scientifique en 2008 pour sa participation

à la découverte du virus responsable du sida, affirme dans un entretien au site Pourquoidocteur.fr que le SARS-CoV-2 est une fabrication humaine, et « l’histoire du marché aux poissons (…) une belle légende ».

Une thèse choc qu’il résume le 17 avril sur le plateau de Pascal Praud, sur Cnews :

« Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il y a eu une manipulation sur ce virus. Une partie, je ne dis pas le total. il y a un modèle qui est le virus classique, venant surtout de la chauve-souris, mais auquel on a ajouté par-dessus des séquences du VIH. »

« Ce n’est pas naturel, c’est un travail de professionnel, de biologiste moléculaire, d’horloger des séquences. Dans quel but ? Je ne sais pas (…). Une de mes hypothèses est qu’ils ont voulu faire un vaccin contre le sida. »Lire notre enquête : le SARS-CoV-2 est-il sorti d’un laboratoire ?

POURQUOI C’EST HAUTEMENT IMPROBABLE

Une séquence commune à plusieurs virus

La thèse du Pr Montagnier est loin de convaincre la communauté scientifique. Celui-ci cite en effet dans les grandes lignes les conclusions d’une étude publiée fin janvier sur un site de prépublications (et non dans une revue scientifique) par des chercheurs de l’Indian Institute of Technology de New Delhi et très contestée par les spécialistes. Celle-ci évoquait déjà « une similarité étrange »« qui a peu de chances d’être fortuite », dans les séquences d’acides aminés d’une protéine du SARS-CoV-2, virus responsable du Covid-19, et celui du VIH-1, principal responsable du sida.

Cette étude a été presque immédiatement reprise par les sites complotistes et sensationnalistes, avant d’être retirée par ses auteurs eux-mêmes. En effet, lesdites séquences d’acides aminés – définies par le patrimoine génétique du virus – sont en réalité banales chez de nombreuses souches, ce qui a valu à cette thèse d’une proximité entre les deux virus les critiques des spécialistes.Lire aussi  Non, le Covid-19 n’est pas une « combinaison du SRAS et du sida »

« Il y a trop peu de similarité avec la séquence du virus du HIV pour conclure à un échange significatif du matériel génétique », écarte ainsi Gaëtan Burgio, généticien et chef de groupe à l’Australian National University. En janvier, la communauté scientifique Massive Science listait une quinzaine de virus différents présentant la même séquence commune au VIH et au SARS-CoV-2. Parmi ceux-ci : un virus de la patate douce, un virus de la nectarine ou encore un virus de guêpe.

Cette liste est d’autant moins significative que la séquence commune est courte. « S’il y avait de réelles insertions de séquences VIH, les fragments auraient été bien plus grands et plus spécifiques, abonde le Dr Burgio. C’est plutôt du registre de la coïncidence. »

Une manipulation humaine peu probable

L’idée même que le SARS-CoV-2 puisse avoir été le produit de manipulations génétiques est également loin de faire l’unanimité. Les virus de fabrication humaine existent mais sont des combinaisons souvent spectaculaires de virus existants, ce qui les rend en général faciles à reconnaître pour les microbiologistes. Or le SARS-CoV-2 n’a pas les caractéristiques d’un virus artificiel et aucun emprunt génétique suspect ne permet de dire qu’il y aurait eu intervention humaine.Lire notre enquête : le SARS-CoV-2 est-il sorti d’un laboratoire ?

« Cela ressemble beaucoup trop à quelque chose de naturel pour qu’il y ait un doute que ce soit quelque chose d’artificiel », estime Etienne Simon-Loriere, chercheur à l’Institut Pasteur, interrogé par Le Monde, sur la possibilité que le virus ait été issu d’un laboratoire :

« Pour récréer un virus aussi grand, il faudrait des connaissances techniques que peu de labos dans le monde possèdent – sans doute moins d’une dizaine – et il paraît peu plausible que des scientifiques aient pu créer un virus qui interagisse aussi bien avec le récepteur ACE2 [par lequel il s’installe dans le corps humain], alors que ce mécanisme n’avait jamais été observé avant. »

La plupart des scientifiques s’accordent sur le fait que le virus responsable du Covid-19 est d’origine animale – chauve-souris et/ou pangolin – comme l’ont encore reconfirmé récemment des études chinoises, britannico-australo-américaine et américano-suisseSelon l’université de Pensylvannie, le SARS-CoV-2 aurait très précisément muté à partir d’un coronavirus de chauve-souris adepte des recombinaisons, le RaTG13, entre 1948 et 1982.

Et si des éditeurs de virus ultraprécis existent, comme le désormais célèbre outil Crispr-Cas9, cette possibilité ne convainc pas plus les spécialistes. « On me l’a demandé de multiples fois et ma réponse est clairement “non”, résume Gaëtan Burgio, qui en est un utilisateur. Il y a tellement de divergence au niveau génétique qu’il en serait pratiquement impossible au niveau pratique de les trafiquer avec Crispr. Cette hypothèse est totalement absurde. » A peu près autant que celle de soigner le virus avec des ondes magnétiques, une des propositions loufoques de Luc Montagnier.

Le prisme déformant de la découverte du VIH

Ce n’est pas la première fois qu’en dépit du prestige dû à son titre, le Prix Nobel 2008 est déjugé par d’autres scientifiques. Il faut dire que s’il a été récompensé pour ses travaux du début des années 1980, il s’est démarqué dans les années 2010 par des thèses de plus en plus iconoclastes, aujourd’hui en rupture avec le reste de la communauté scientifique.

Il soutient, par exemple, la très controversée thèse de la « mémoire de l’eau » de Jacques Benveniste, défend une origine microbienne de l’autisme, a proposé de guérir la maladie de Parkinson du pape avec du jus de papaye et est parti en croisade contre les vaccins. Une prise de position qui lui a valu, en 2017, de faire l’objet d’une pétition de plus de cent médecins, dénonçant des propos « dangereux ». Plusieurs experts joints par Le Monde sur la question du Covid-19 ont d’ailleurs refusé de commenter publiquement ses « sottises », les jugeant peu dignes d’intérêt.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Luc Montagnier, le virus de la controverse

« On peut faire une longue liste de prix Nobel de science qui ont déraillé, soit dans l’idéologie (comme les prix Nobel de physique devenus nazis, Lenard, Stark), soit dans la fausse science (Watson et ses propos racistes en 2007, Montagnier) », rappelle l’historien des sciences à l’université de Paris Alexandre Moatti, auteur de Alterscience : postures, dogmes, idéologies (Odile Jacob, 2013). Et de faire remarquer que l’expertise du VIH de Luc Montagnier a pu constituer un prisme déformant. « L’esprit scientifique essaie d’embrasser un certain nombre de données, parfois contradictoires, surtout dans le cas du Covid-19, de raisonner à partir de faits, dans une certaine discrétion ; l’alterscientifique ramènera tout à son sujet de prédilection, et en sus voudra se faire mousser ainsi. »

Si le code génétique du virus est aujourd’hui bien connu et son origine synthétique écartée, il reste de nombreuses zones d’ombre sur la manière dont il est apparu. Deux thèses sont aujourd’hui privilégiées : celle, avancée par les épidémiologistes, d’une transmission naturelle qui aurait transité par le marché aux animaux sauvages de Wuhan et un animal hôte, possiblement le pangolin ; l’autre, relancée le 16 avril par les Etats-Unis dans un contexte de bras de fer diplomatique avec la Chine, d’une contamination accidentelle dans un laboratoire de virologie de Wuhan réputé pour ses recherches sur la chauve-souris.

SourceURL:https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/04/17/le-coronavirus-fabrique-a-partir-du-virus-du-sida-la-these-tres-contestee-du-pr-luc-montagnier_6036972_4355770.html

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