La politique internationale hybride de l’Occident Colonial et Impérial en Afrique

La politique internationale hybride de l’Occident Colonial et Impérial en Afrique
Editorial du 28 juillet 2022 Mediapart

Commençons par une définition. L’action politique internationale hybride consiste à combiner des moyens étatiques, donc officiels, avec des moyens non-étatiques, dont officieux, afin d’augmenter l’emprise d’une puissance sur un territoire étranger. IL s’agit donc d’un interventionnisme à double visage: lumineux et attractif quand il est officiel; ténébreux, rusé et violent quand il est officieux. C’est la diplomatie de la carotte et du bâton, du froid et du chaud, du soft-power et du hard-power alternant des moyens publics et des moyens privés. Depuis quand les puissances occidentales négrières, colonialistes et impérialistes ont-elles donc pratiqué ce double jeu en Afrique?

Incontestablement, au moins depuis la Traite Négrière dès le 15ème siècle, car celle-ci ne fut possible que grâce à l’association des Etats négriers, des Explorateurs espions notamment financés par ces Etats occidentaux et des Compagnies commerciales occidentales. L’Explorateur, le Négrier, le Marchand et le Militaire occidentaux sont le quatuor gagnant de la tragédie de la déportation de 20 millions de Noirs en Esclavage des 16è au 19ème siècles.

On n’ignorera pas non plus que la pénétration coloniale occidentale hors d’Europe à partir notamment du 18ème siècle, fut une action politique hybride, puisque ce fut à travers la coopération savante des Missionnaires, des Marchands et des Militaires, que la conquête coloniale occidentale fut opérée en Afrique, en Asie et aux Amériques. C’est la fameuse dialectique des 3 M, que le premier président du Kenya, Jomo Kenyatta, illustra par une boutade: « Quand les occidentaux sont arrivés chez nous, ils avaient la Bible et nous possédions nos terres; ils nous ont appris à prier les yeux fermés; et quand nous les avons ouverts, les Occidentaux possédaient nos terres et nous nous avions la Bible. » Les accords de protectorats de la fin du 19ème siècle, habilement et violemment transformés en pactes coloniaux par les puissances occidentales couleront, on le sait, dans le marbre, cette odieuse mystification.

Enfin, dans la période néocoloniale, après le cycle des indépendances de façade octroyées par la France du général de Gaulle et de son homme de main jacques Foccart, il importe au plus haut point de rappeler que l’action politique hybride (mixte d’interventionnisme officiel et officieux) de l’Occident en Afrique n’a point cessé. C’est le principe même de l’organisation mafieuse de la Françafrique, qui associe des élites politiques, économiques, intellectuelles et spirituelles corrompues de France et d’Afrique dans le pillage éhonté de l’Afrique noire et la persécution des peuples embrigadés.

Voici ce qu’observe à cet égard, un analyste français, Laurent Ribadeau-Dumas, de la Rédaction Afrique de France-Télévisions, dans un article publié le 20 décembre 2019 que nous citerons longuement pour édifier l’opinion francophone mondiale:

« La « tradition » des mercenaires en Afrique

A la suite de la décolonisation, à partir des années 1960, le continent a vu de nombreux mercenaires, notamment européens, agir sur son sol. Au Katanga (RDC) entre 1960 et 1963. Entre 1967 et 1970, lors de la sécession du Biafra, aujourd’hui province du Nigeria, où se sont notamment battus des Français. Dans les guerres (contre le Portugal) au Mozambique et en Angola, toujours dans les années 1960-1970. « Il y a également eu les ‘faiseurs de rois’, comme le Français Bob Denard, impliqué dans deux coups d’Etat successifs aux Comores (1975 et 1978) », rappelle Sciences Humaines. Mort en 2007, Bob Denard a multiplié les actions sur le continent pendant une quarantaine d’années. »

Les Russes du groupe Wagner

Des activités de mercenaires russes ont été signalées depuis 2018 en Centrafrique, pays où l’influence de la France a longtemps été incontestée. Ces derniers ont même été vus patrouillant en armes dans les rues de Bangui. Ils se sont faits plus discrets ces derniers mois, rapporte l’AFP. Ils sont soupçonnés d’être engagés par Wagner, entreprise militaire qu’on dit financée par Evgueni Prigojine, proche de Vladimir Poutine.

Des consultants du groupe Wagner ont été vus au Mali. La société serait aussi « présente dans au moins quatre autres pays – Libye, Madagascar, Soudan et Mozambique », croit savoir Le Monde. « En Libye, jusqu’à trente-cinq hommes de Wagner seraient morts au mois de septembre, fauchés par une frappe aérienne alors qu’ils combattaient au côté du maréchal Haftar », précise le quotidien français. Au Soudan, selon le site middleasteye.net, Wagner aurait protégé « les exploitations minières d’or, de diamant et d’uranium » pour le compte du président déchu Omar el-Béchir.

Des Occidentaux à la manœuvre

En 2004, le président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang, avait déjà failli être renversé par près d’une centaine d’hommes arrêtés au Zimbabwe et en Guinée même. Ces « chiens de guerre » (de l’anglais war dogs) étaient Africains (Namibiens, Angolais, Congolais de RDC…). Le Zimbabwe avait alors accusé les services secrets américains, britanniques et espagnols (la Guinée Equatoriale étant une ex-colonie espagnole). Chevilles ouvrières du complot, selon Courrier International : un Britannique, Simon Mann, et un Sud-Africain, Nick du Toit. « Des célébrités sur le marché des mercenaires en Afrique (qui) ont des liens avec les services secrets britanniques et américains », dixit le journal sud-africain Mail & Guardian cité par l’hebdomadaire français. Les deux hommes ont effectué respectivement quatre et cinq ans de prison. « De nos jours, plus personne n’accepte ces dangereux perturbateurs. Les mercenaires sont une espèce en voie de disparition », commentait en 2004 l’hebdomadaire zimbabwéen Standard, cité par Courrier International. Les mercenaires, une espèce en voie de disparition ? Pas si simple… Car depuis une vingtaine d’années, on assiste à une évolution dans ce secteur. La « guerre contre la terreur » (voulue par George W. Bush) en Irak et en Afghanistan dans les années 2000 a vu les armées américaine et britannique sous-traiter « une part de plus en plus importante de leurs activités à des sociétés militaires privées (SMP) ». Ce que d’aucuns ont appelé la « privatisation de la guerre ». « C’est aujourd’hui devenu la norme, les Etats et les sociétés refusant d’assumer la responsabilité de l’usage de la violence et de la force », commente l’ONG britannique War on Want, cité par RFI.

Par la suite, le nombre de ces entreprises s’est multiplié, notamment Outre-Manche. « Dans les années 1990 et le début des années 2000, des mercenaires prenaient part aux combats », explique Walter Bruyère-Ostells, maître de conférence à Sciences-Po Aix (cité par RFI). « Aujourd’hui, on a surtout affaire à (des) ‘contractors’, des employés de SMP, qui s’occupent de formation, de logistique et de conseil pour des opérations statiques. Ils ne combattent pas. »

Parmi ces « gros » contractants privés, qui ont « pignon sur rue », on trouve des entreprises comme Aegis Defence Services, G4S , Control Risks. Certaines d’entre elles pèsent « plusieurs milliards de dollars », observe RFI. Aegis Defence Services aurait des bureaux en Libye, Somalie et Mozambique. De son côté, Control Risks, qui se définit aussi comme « une société de conseil mondial spécialisé dans le risque et qui aide les organisations à réussir dans un monde instable », s’intéresse beaucoup à l’Afrique. Son site propose un « index risque-rendement » pour le continent et consacre un chapitre au « paysage de l’enlèvement contre rançon, et de l’extortion » en Afrique du Sud.

Aujourd’hui, on distingue deux types de structures sur ce créneau, observe le chercheur Walter Bruyère-Ostells. D’un côté, les « contractors » des « grandes entreprises occidentales qui font un effort éthique et déontologique ». De l’autre, les mercenaires des « petites sociétés, notamment sud-africaines, où des gens s’affranchissent parfois de certaines règles, avec des pratiques de barbouzes à l’ancienne »…

Des Ukrainiens au Sahel

La société ukrainienne Omega Consulting Group, qui se définit elle-même comme une « entreprise ukrainienne de Services de Sécurité et Défense (ESSD) spécialisée dans le management des risques liés à la sûreté », serait particulièrement active dans la région. Elle reconnaît être implantée à Bamako (Mali), Dakar (Sénégal), Nouakchott (Mauritanie), Conakry (Guinée), Ouagadougou (Burkina Faso), Niamey (Niger). En Afrique, elle est également présente à Rabat (Maroc), au Caire (Egypte), à Harare (Zimbabwe). Selon le site middleasteye, elle a, un temps, recruté « des ‘opérateurs’ francophones ayant une solide expérience du combat ».

D’autres acteurs ukrainiens travaillent dans la région, apparemment plus dans l’humanitaire. « Au Mali, la compagnie Ukrainian Helicopters fournit des moyens d’évacuations médicalisés aéroportés à la Minusma depuis deux ans. On les retrouve aussi au Soudan, au Congo et en Côte d’Ivoire », affirme middleasteye.net. La firme explique également qu’elle mène des campagnes humanitaires pour le compte de l’ONU en Ethiopie, Somalie, Kenya, Ouganda et au Mozambique.

Côte d’Ivoire, entre Biélorusses et Libériens

En 2004, le bombardement de la force française Licorne sur la base de Bouaké (centre) avait « été effectué par un avion de l’armée ivoirienne, un Sukhoï-25 (de fabrication russe), piloté par un mercenaire biélorusse flanqué d’un copilote ivoirien », raconte Libération. De son côté, Le Monde évoque deux Sukhoï. Dix personnes (neuf Français, un Américain) avaient été tuées. A en croire Libération, l’affaire est assez étrange. « La France a eu à sa disposition les pilotes et techniciens slaves (biélorusses, russes et ukrainiens) chargés des Sukhoï, fournis clés en main à Gbagbo (le président ivoirien, NDLR) par une entreprise biélorusse, via un intermédiaire français : Robert Montoya – un ancien gendarme de l’Elysée sous Mitterrand. Capturés sur l’aéroport d’Abidjan, une quinzaine d’entre eux ont été détenus durant quatre jours et ‘débriefés’ par les services français. Mais leur interrogatoire est toujours classé ‘secret défense' », rapportait le journal français en 2014. »(1)

Au regard de ce passif lourd et tragique d’action politique internationale hybride en Afrique, où des centaines de millions de vies africaines furent prématurément fauchées, existe-t-il une seule ancienne puissance coloniale occidentale qui soit en mesure de donner des leçons de moralité politique au monde entier, encore moins à l’Afrique? Notre démonstration dans cette analyse prouve à suffisance que c’est inconcevable. À moins qu’on ne veuille s’embourber dans l’imposture et la pure et simple propagande.

Dr Franklin Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika

Le 28 juillet 2022
Mediapart

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