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La larme d’Aïssata : quand l’émotion devient héritage national

À Abidjan, la larme d’Aïssata incarne l’accomplissement historique et la mémoire collective mauritanienne dans un geste aussi intime que symbolique.

La larme d’Aïssata à Abidjan : symbole d’accomplissement et mémoire collective.
À Abidjan, alors que Sidi Ould Tah atteignait le sommet de la Banque africaine de développement, Aïssata versa une larme. Mais cette larme n’était pas de douleur : elle portait toute une histoire. Celle d’un peuple, d’un combat, et d’une dignité retrouvée. Une émotion pure devenue langage de la mémoire. Découvrez l’article de Mohamed Ould Echriv Echriv.

Aïssata laissa couler une larme à Abidjan, alors que Sidi Ould Tah accédait au sommet de la Banque Africaine de Développement, ce ne fut pas seulement l’émotion d’un moment qui s’exprima, mais la réactivation d’un archétype ancestral : celui du bukāʾ ʿala al-ṭalāl, le pleur sur les ruines, transfiguré ici en pleur d’accomplissement.
Dans l’univers hassanien, la larme est un langage, une inscription et une liturgie. Qu’elle soit versée sur la poussière d’un campement déserté, sur les pierres d’un lieu hanté par l’absence, ou sur le souvenir d’un regard entrevu, la larme est toujours plus que liquide : elle est signification.
Mais il arrive, rarement, que la larme ne soit ni de peine ni de perte. Celle d’Aïssata appartient à cette catégorie que la rhétorique arabe appelle damʿat al-intisār — la larme de l’accomplissement. C’est une larme verticale, qui ne descend pas du cœur vers le sol, mais remonte des profondeurs de l’Histoire vers le ciel de la dignité.
Ce fut cela, la larme d’Abidjan. Elle ne disait pas seulement la joie d’un instant. Elle pleurait le long chemin parcouru. Elle saluait tous ceux qui n’avaient pas vu ce jour.
Les anciens poètes hassaniens ont codifié les larmes. Tantôt prélude nostalgique aux poèmes de guerre ; tantôt lamentation subtile sur l’aimée absente ; tantôt plainte mystique sur l’éloignement. Aïssata, par son geste muet, inscrit son émotion dans cette grammaire antique, mais elle y ajoute une modulation contemporaine : la larme de la victoire partagée.
En ce sens, cette goutte salée contient la Mauritanie entière. Elle est nationale, non parce qu’elle serait institutionnelle, mais parce qu’elle épouse la respiration collective du peuple. Elle ne pleure pas une perte, elle célèbre un seuil franchi.
Aïssata n’est pas une fonctionnaire du symbole. Elle n’a pas attendu les caméras pour verser cette larme. Elle l’a laissée naître au bord des yeux. Cette sincérité confère à son geste une autorité symbolique que même les grands discours ne sauraient atteindre.
Sa larme est héritage. Un legs immatériel que chaque citoyen peut recueillir, non pour le conserver dans le formol du souvenir, mais pour en faire un levain d’engagement. Car servir, nous disait Ousmane Mamoudou Kane, n’est pas une posture, mais une dette. Et Aïssata, en pleurant, a soldé une part de la dette de mémoire contractée par des décennies d’attente, de sacrifices et d’espérances tenaces.
On a trop souvent réduit l’histoire à des discours, des dates et des bilans. Pourtant, ce sont des gestes minuscules, comme celui-ci, qui la constituent dans son intensité humaine. Cette larme n’est pas un fait divers émotionnel. C’est une structure narrative en soi. Elle appelle à être dite, chantée, commentée. Les poètes hassaniens ne s’y tromperont pas : il leur appartient désormais de faire de cette larme un ṭalāl inverse – non la ruine abandonnée, mais la pierre d’angle d’un édifice éthique nouveau.
Dans cette époque saturée de bruit, de bruitage et de brouhaha, la larme d’Aïssata nous rappelle que l’émotion authentique, quand elle est ancrée dans l’histoire, devient transmission.
Elle appartient désormais à tous. Elle est notre larme. Elle s’est déposée sur l’étoffe invisible qui unit les vivants aux disparus, les vainqueurs aux rêveurs, les anciens aux enfants.
Et si l’on devait un jour écrire l’histoire intime de notre diplomatie, de notre patience nationale, de nos fidélités, cette larme en serait la préface

Mohamed Ould Echriv Echriv

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