Interview: Mohamed Maouloud, président de l’UFP

M. Mohamed Maouloud, président de l’Union des Forces du Progrès (UFP) : ‘’Sur les 10 points de l’accord avec le ministère de l’Intérieur, seul celui relatif à la CENI a été appliqué’’

Le Calame : Dans votre conférence de presse tenue, le 21 décembre vous laissez croire que les conditions d’élections apaisées et inclusives ne sont pas réunies. Qu’est-ce qui fonde ce pessimisme ?

Mohamed Maouloud : Le contexte de crise sociale et la prolifération des discours identitaires, tribaux, raciaux, l’enracinement des traditions de fraude et de corruption électorale ne sont pas pour rassurer, surtout après tant de tentatives avortées par le passé. Cependant l’espoir est à nouveau permis après le récent accord conclu solennellement entre le pouvoir (représenté par le ministère de l’intérieur) et les partis politiques. Son objectif déclaré est précisément de créer les conditions pour des élections réellement « transparentes, honnêtes, convaincantes et acceptables par tous ».

-Votre communiqué ne regrette-t-il pas aussi la signature au forceps de l’accord intervenu entre les partis politiques et le ministère de l’intérieur, il y a quelques mois déjà, et dont l’objectif était de préparer des élections consensuelles, inclusives et apaisées?

-Au contraire, nous réclamons son application diligente. Sur les 10 points de l’accord, un seul (la mise sur pied d’une nouvelle CENI) est déjà appliqué. Des concertations sont en cours depuis quelques jours sur des projets de lois relatifs à d’autres points. Mais la tendance perceptible chez la majorité, et à sa suite, la Ceni, de précipiter les élections risque de bâcler la mise en œuvre de l’accord et transformer l’espoir en déception.

-L’opposition est très fragmentée, la majorité est fortement engagée dans les préparatifs des prochaines élections. Quelle chance pourrait avoir votre appel aux uns et autres pour que tous se ressaisissent et reprennent les concertations, voire repousser la date des élections?

-Notre appel vise à rappeler à tous que les élections prochaines ne se dérouleront pas entre les partis en vase clos. Mais dans un contexte national non exempt de risques pour l’unité nationale et la stabilité. On peut s’en convaincre, rien qu’à voir ces jours-ci, la prolifération des rassemblements tribaux et des discours identitaires. Et cela dans un climat de grande frustration en raison de la détérioration accélérée de la vie quotidienne des populations et des échecs de la gouvernance. En somme les ingrédients qui ont fait ailleurs en Afrique, dans un contexte électoral, tout le mal que l’on sait. Nous appelons à devancer les événements, à mettre en place une parade salvatrice, en réalisant une entente nationale sur les questions nationales prioritaires par leur sensibilité et leur urgence. Et peu importe la forme que prendra cette entente. L’important est dans le climat de confiance dans l’avenir et l’apaisement qu’elle instaurerait avant les élections. Ce faisant la classe politique mauritanienne ferait montre de maturité politique et de patriotisme.

-En dépit de ses divisions pensez-vous que l’opposition pourrait tout de même créer un sursaut et donc mettre en place des alliances robustes pour éviter sa déconvenue ? Ne devrait-elle pas s’inspirer de l’expérience de l’opposition sénégalaise qui a réussi, grâce à des alliances à mettre à rude épreuve la majorité présidentielle ?

– C’est vrai, l’opposition est malheureusement très morcelée. Et nous avons été et restons de chauds partisans de ces alliances. Pour se ressaisir, elle doit d’abord identifier les causes des échecs répétées de ses multiples coalitions passées. Ce faisant elle évitera de retomber toujours dans l’éclatement au moment critique.

-Vous êtes sur l’arène politique depuis des décennies. Pourriez-vous nous dire pourquoi l’opposition mauritanienne est dans cet état de divisions permanentes? C’est une guerre d’égos et/ou d’idéologie ?

-Cela relève plutôt de la nature même de la chose politique. Elle est le point de rencontre, de symbiose ou de choc entre intérêts de groupes sociaux ou d’individus, d’idéologies et d’égos, différents. L’existence même de plusieurs partis d’opposition suppose des différences, voire des divergences comme vous dites « permanentes » et souvent des agendas différents. Rien de plus normal dans une démocratie saine. Mais chacun est comptable de ses choix devant le peuple. En fait, il y a plusieurs oppositions aujourd’hui. Rien ne peut unir l’opposition rétrograde qui revendique un pouvoir perdu et le retour en arrière à la décennie de la gabegie avec l’opposition démocratique qui se bat depuis des décennies contre le despotisme et pour un nouvel ordre de progrès politique et social.

-La CENI dont la constitution a été laborieuse a rendu public le chronogramme des prochaines élections, validé par le Conseil des ministres du 21 décembre 2022. Le compte à rebours a donc commencé. Qu’attendez-vous de la CENI dans laquelle vous disposez d’un représentant?

-D’observer l’impartialité et de veiller au respect de la transparence et de l’honnêteté des élections.

Mais personne ne comprend pourquoi elle propose, avec l’Insaf, des élections anticipées en mai, période des grandes chaleurs, malgré les recommandations de l’accord politique précité. Avec les autres partis d’opposition et trois partis de la majorité, nous avons exprimé notre rejet formel de cette proposition lors de la récente concertation avec la Ceni à ce sujet. Nous espérons qu’elle en tiendra compte. Les raisons sont multiples: période de grande chaleur exclue par l’accord politique, de déplacements massifs des agriculteurs vers les villes et des éleveurs à la recherche de l’eau et des pâturages, mois du parachèvement du programme d’enseignement dans les établissements du primaire et du secondaire et enfin et ce n’est pas le moindre des arguments, la question de l’état-civil prévue dans l’accord n’aura pas eu le temps de trouver une solution. Le recensement pour la liste électorale (Ravel) doit commencer le 27 janvier prochain pour un ou deux mois selon le chronogramme de la Ceni. A l’évidence, la liste électorale risque d’être clôturée sans les centaines de milliers de citoyens qui attendent la mise en œuvre de nouvelles dispositions pour avoir enfin leurs papiers d’état-civil.

Fixer l’échéance en mai sous prétexte d’éviter l’hivernage, c’est aussi instaurer pour l’avenir, la règle d’élections anticipées pour chaque législature (débute constitutionnellement, le premier jour ouvrable d’octobre). La Ceni doit respecter le délai légal du scrutin (entre le 2 août et le 1er octobre). Sinon parvenir avec la classe politique à une date consensuelle. Le mieux serait une légère modification constitutionnelle pour placer le début de toute nouvelle législature en novembre et permettre ainsi des élections en dehors de l’hivernage.

-Dans votre communiqué, vous décrivez une situation politique économique et sociale difficile des populations du pays, alors que le gouvernement vend des réalisations importantes du règne du président Ghazwani. N’avez-vous pas accordé un délai de grâce trop long au président Ghazwani ? Ne vous êtes-vous pas trompés sur la personne ?

-Je ne crois pas. Quant au délai de grâce, la question est surtout de savoir s’il a été bien exploité. Je crois qu’il a offert au pouvoir une réelle occasion de rupture avec le système décrié de la décennie de la gabegie. Mais, malheureusement les forces obscures de ce système continuent de l’entraver. Les réalisations qui comptent sont avant tout celles qui améliorent les conditions de vie de la majorité de la population, des plus pauvres aux couches moyennes, et qui souffrent d’une chute vertigineuse du pouvoir d’achat. Elle écoute aujourd’hui avec scepticisme tout autre discours sur les réalisations du pouvoir, malgré les explications fondées sur l’impact des crises mondiales.

-Quelle appréciation vous avez faites du discours à la Nation, à l’occasion de la fête du 28 novembre ?

-On peut noter le souci du Président de signifier aux fonctionnaires qu’il est sensible à la détérioration de leur pouvoir d’achat, à travers le relèvement du Smic et autres augmentations du revenu salarial, bien venues, bien sûr. Le problème est qu’elles sont loin de rattraper la hausse des prix dont les salariés et autres populations souffrent.

Pour des questions de survie de nos populations, le gouvernement ne doit pas continuer à s’enfermer dans les consignes du FMI. Il doit avoir le courage d’opter pour la subvention des produits alimentaires et autres mesures nécessaire.

La paupérisation aujourd’hui est telle que ce ne sont plus les très pauvres qui ont besoin des « boutiques Emel » mais la majorité de la population.

-Le gouvernement vient d’approuver, en conseil des ministres, la création de l’institut des langues Nationales (Pulaar, Soninké et Oulof) lequel devra engager une nouvelle expérience devant conduire à leur introduction dans le système éducatif. Votre réaction? Pensez-vous que cette décision contribuera à renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale ?

– C’est une décision à saluer vivement. Elle vient réparer un tort énorme fait aux acquis de l’unité nationale et de l’école mauritanienne par la malencontreuse réforme de 1999. Notre parti, le seul à l’époque à ma connaissance, s’était élevé contre cette réforme qui abandonnait l’option d’un enseignement basé sur les langues nationales et dans ce cadre, préconisait la suppression de l’Institut des langues nationales, soit une expérience réussie de deux décennies de promotions des langues pular, soninké et wolof dans l’enseignement.

-La coordination des partis UFP, RFD et UNAD pourrait-elle créer des listes communes lors des prochaines élections? Pourrait-elle accepter en son sein des partis politiques non reconnus ? Et comment se prépare l’UFP en conséquence ?

-Les partis de notre coalition iront ensemble à la bataille électorale selon les formules de leurs choix. De plus nous sommes ouverts à d’autres formes d’alliances ou de compromis électoraux avec d’autres partis reconnus ou en attente, des groupes ou courants et même avec des candidats indépendants qui partagent avec nous les mêmes projets électoraux.

L’UFP bien sûr est à pied d’œuvre pour se préparer à la bataille électorale, à l’instar de tous les autres partis. Peut-être que nous nous préoccupons en même temps avec nos amis de la Coalition de la situation du pays et du contexte national et sous-régional inquiétant. C’est le sens de notre dernier appel, parce que l’intérêt du pays doit passer avant les élections.

-Que répondez-vous à ceux qui considèrent l’octroi par le gouvernement de terrains aux députés comme étant une forme de corruption ?

-Pensez-vous que le pouvoir a besoin de corrompre la majorité parlementaire pour avoir son assentiment. Arrêtons de stigmatiser tous et chacun. Sans s’en apercevoir, on est en train d’un côté de banaliser le crime de corruption et de l’autre de faire le lit de l’anarchie. Pour cet octroi de terrain, j’ignore qui a pris l’initiative de la demande et quand. Mais elle est dans l’air du temps, tous les corps de l’Etat demandent l’attribution de terrains. Il faut dire que sur ce plan, il y a un manque de transparence et surtout de justice envers les moins lotis. Mais à y regarder de près, la spéculation foncière est devenu le mal premier de l’Etat, désormais en butte à des lobbies mafieux, qui jouissent de l’impunité et contrôlent de plus en plus la gestion du domaine public. Au train où ces groupes mènent la politique ou plus exactement l’absence de politique, la mégalopole de Nouakchott, en expansion débridée, tel un monstre en viendrait à avaler tout le pays et en fait à le détruire.

Propos recueillis par Dalay Lam
Source: le Calame

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