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Quand les frontières trahissent la fraternité

Une frontière qui divise des peuples frères : plaidoyer pour la justice, la dignité et la mémoire entre la Mauritanie et le Sénégal.

Imposer des barrières administratives entre la Mauritanie et le Sénégal revient à fracturer une fraternité historique. À travers ce plaidoyer poignant, Djeynaba Dramane Kamara dénonce les humiliations subies par les populations noires et appelle à un sursaut de justice, de respect et d’humanité entre deux peuples unis par le sang, la culture et l’histoire.
Quand les frontières trahissent la fraternité
Plaidoyer pour la dignité, la mémoire et la justice

Jamais notre peuple n’a connu une blessure aussi profonde.
Imposer la carte de séjour des deux côtés de la frontière, c’est ériger une barrière dans les entrailles d’une communauté qui partage la même langue, la même histoire, le même sang. C’est séparer des frères nés d’une même mère. C’est déchirer un tissu social ancestral, séculaire, bâti bien avant l’existence des États modernes.
Le fleuve Sénégal n’a jamais divisé, il a uni. Il fut et reste un pont entre les peuples, un carrefour d’échanges, un berceau commun pour les Soninkés, les Peuls, les Wolofs, les Halpulaar, les Bambara, les Maures, les Haratines… Pourtant, aujourd’hui, certains veulent faire de cette frontière naturelle un mur d’exclusion, une barrière identitaire.
Le Sénégal, pour la Mauritanie, n’est pas une terre étrangère, mais une terre sœur. Il fait partie de notre histoire, de notre culture, de nos racines les plus profondes. Et dans cette rupture imposée, c’est la Mauritanie qui perd le plus :
Nos enfants partent au Sénégal pour étudier, car l’enseignement y est accessible, structuré, et plus ouvert.
Nos malades y cherchent soin et guérison, car nos structures sanitaires manquent cruellement de moyens et d’humanité.
Nos familles y retrouvent les leurs, nos artistes s’y expriment librement, nos commerçantes s’y approvisionnent, surtout en période de fête.
Nos grands commerçants y prospèrent, dans un climat d’affaires plus stable, plus juste.
Mais au-delà de ces échanges concrets, il faut rappeler une vérité que l’on tait trop souvent : la Mauritanie moderne ne fonctionnerait pas sans la main-d’œuvre sénégalaise. De Nouakchott à Rosso, de Kaédi à Sélibaby, ce sont des Sénégalais qui posent les briques, qui tracent les routes, qui cuisinent, qui soignent, qui enseignent. Plombiers, maçons, tailleurs, aides-ménagères, chauffeurs, agriculteurs… leur présence est vitale.
Et pourtant, ils sont maltraités.
Le système mauritanien ne cherche pas à sécuriser son territoire, mais à humilier, à dominer, à effacer ceux qu’il ne veut pas voir : les Noirs, les Subsahariens. La carte de séjour devient un outil de contrôle, d’exclusion, et parfois de chantage. Derrière cette façade légale, c’est un mépris profond qui s’exprime.
Le noir mauritanien, quand il rêve d’avenir pour son enfant, ne peut compter ni sur son État, ni sur sa société. C’est au Sénégal qu’il trouve un espoir. Une université, une formation, une porte ouverte, même modeste. Car le Sénégal n’a jamais érigé son hospitalité en privilège réservé à certains.
La haine que subissent les Noirs dans certaines sphères de pouvoir mauritaniennes n’est pas seulement un problème interne. Elle s’exporte, se manifeste dans les rues, dans les commissariats, dans les décisions administratives. Pendant ce temps, les ressortissants syriens, maghrébins, libanais, ou même européens jouissent de privilèges et de respect. Deux poids, deux mesures.
Le Sénégal a enfin pris une décision courageuse : répondre par la réciprocité. Mais cette décision, aussi symbolique soit-elle, ne changera pas fondamentalement les comportements racistes ancrés dans les mentalités et les institutions mauritaniennes.
Car ce n’est pas d’un papier que le peuple sénégalais a besoin, mais de respect.
Ce n’est pas d’un visa, mais d’une reconnaissance mutuelle de la dignité humaine.
Le Sénégal devrait aller plus loin :
Exiger un accord bilatéral clair sur le respect des droits humains et la protection des ressortissants.
Condamner officiellement les exactions et humiliations subies par ses citoyens sur le sol mauritanien.
Suspendre les privilèges et facilités offertes aux dirigeants et commerçants mauritaniens tant que le respect n’est pas réciproque.
Et surtout, créer un observatoire indépendant des droits des Africains en Mauritanie, avec l’appui d’organisations panafricaines et internationales.
Car au Sénégal, tous les Mauritaniens sont accueillis sans distinction. On n’y demande pas l’ethnie avant d’ouvrir une porte, on n’y interdit pas un commerce parce qu’on est Haratine ou Peul, on n’y brutalise pas pour un simple contrôle.
Le Sénégal, c’est la Teranga.
Une terre de paix, d’hospitalité, d’humanité.
C’est ce qui attire des centaines de milliers de visiteurs, d’étudiants, de réfugiés, de commerçants.
Mais la Teranga n’est pas synonyme de naïveté.
Elle doit aujourd’hui se dresser, s’affirmer, se protéger.
Car la dignité d’un peuple n’est pas négociable.
Et la fraternité, elle, ne se déclare pas par décret : elle se vit, ou elle se trahit.
Berlin, le 27 juillet 2025
Djeynaba Dramane Kamara.

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