Étape cruciale pour la lutte contre les djihadistes en Afrique de l’Ouest

Par Frank Gardner – Correspondant en sécurité de la BBC

AFP- Les troupes françaises mènent la lutte contre les djihadistes en Afrique de l’Ouest

Les efforts multinationaux déployés pour empêcher les extrémistes de prendre le pouvoir dans la partie de l’Afrique connue sous le nom de Sahel sont confrontés à de graves difficultés.

Le Mali, où environ 400 soldats britanniques sont actuellement déployés, vient de connaître son deuxième coup d’État en neuf mois, largement condamné par les dirigeants régionaux.

Le président Emmanuel Macron a menacé de retirer les 5 100 soldats français présents sur place si les putschistes mettent à exécution leur proposition de conclure un accord avec les insurgés islamistes que les troupes combattent.

D’ailleurs pour donner un signal fort à la junte militaire en place, la France vient de suspendre « à titre conservatoire et temporaire » sa coopération bilatérale militaire avec le Mali.

Cette décision entraine l’arrêt immédiat des opérations de la force « Barkhane » avec les Forces armées maliennes (FAMA).

Plus au nord, l’Espagne s’est retirée des jeux de guerre multinationaux dirigés par les États-Unis, baptisés « African Lion » (le lion africain), en raison d’un différend avec le Maroc.

Cette situation est importante pour l’Afrique de l’Ouest et la région, mais elle pourrait également avoir des répercussions sur d’autres parties du monde.

Cette partie de l’Afrique, le Sahel, est la voie de transit d’un grand nombre de migrants qui se dirigent vers l’Europe. C’est également une voie de transit majeure pour les drogues illicites, les armes et les djihadistes.

Tant le groupe État islamique que ses rivaux d’Al-Qaïda ont pris la décision stratégique de faire de l’Afrique leur nouvelle priorité après avoir subi des revers au Moyen-Orient.

Si le chaos, l’extrémisme violent et l’insécurité deviennent la norme dans les pays du Sahel comme le Mali, nous risquons de voir deux choses émerger : premièrement, une nouvelle base géographique à partir de laquelle les djihadistes peuvent préparer des attentats dans le monde entier et, deuxièmement, un flux accru de migrants et de réfugiés faisant le périlleux voyage vers le nord de l’Europe pour échapper à leur propre pays.

La stratégie actuelle n’est effectivement qu’une stratégie d’endiguement, qui consiste à essayer de limiter la portée des insurgés djihadistes et à les empêcher de s’emparer et de tenir des pans entiers de territoire.

Abus des forces de sécurité

Les problèmes du Sahel – sécheresse, corruption, pauvreté, chômage et frictions ethniques – sont bien plus profonds que cela. Julie Coleman, chargée de recherche au Centre international de lutte contre le terrorisme de La Haye, estime que l’approche principalement axée sur la sécurité a été contre-productive car elle n’a pas permis de s’attaquer aux problèmes sous-jacents qui ont poussé tant de jeunes Maliens à rejoindre des groupes extrémistes.

« Depuis que la communauté internationale est intervenue au Mali il y a huit ans, la situation n’a fait qu’empirer », explique Mme Coleman. Le nombre de Maliens qui rejoignent les groupes insurgés a augmenté, tout comme le nombre d’attaques. »

Elle attribue cette situation en partie aux « violations flagrantes des droits de l’homme » par les forces de sécurité, notamment les exécutions extrajudiciaires et les arrestations fondées sur l’appartenance ethnique.

Mais même le fait de contenir et d’endiguer la menace des insurgés djihadistes présente d’énormes défis.

Le Sahel, une région qui s’étend sur la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, est vaste – près de trois millions de kilomètres carrés – et les attaques djihadistes débordent sur le Nigéria voisin. Elle est peu peuplée, largement appauvrie et mal contrôlée, avec des frontières poreuses exploitées par les trafiquants de drogue, les passeurs de migrants et les groupes terroristes transnationaux.

Aucun pays ne peut s’attaquer seul à ce problème. Ainsi, même si c’est la France qui est intervenue à la vitesse de l’éclair en 2013 pour empêcher une filiale d’Al-Qaïda de prendre le contrôle de la capitale malienne, Bamako, il a été convenu par la suite qu’un effort collectif était essentiel. Deux missions militaires sont désormais menées de front :

•           Il y a la mission de maintien de la paix de l’ONU, qui comprend 56 nations et plus de 14 000 soldats. Certaines de ces troupes sont actuellement engagées, aux côtés des forces maliennes, dans des patrouilles de reconnaissance à longue distance dans le désert, à la rencontre des communautés éloignées, afin de les rassurer sur la présence d’une sécurité soutenue par le gouvernement.

•           Il y a ensuite la mission antiterroriste distincte, dirigée par la France, l’opération Barkhane. À l’aide de drones, d’hélicoptères et d’une base au Niger, les Français, soutenus par les services de renseignement américains, traquent les cellules djihadistes qui opèrent à travers les frontières de la région.

Mais comme l’expérience en Afghanistan ne l’a que trop bien montré, même une intervention occidentale bien armée et bien ciblée ne peut aller plus loin. Pour que la contre-insurrection réussisse à long terme, il faut deux choses : des forces locales compétentes et le soutien de la population locale.

•           Quelles sont les conséquences de la suspension de la CEDEAO sur le Mali ?

Au Mali, ce problème est particulièrement aigu. Dans de nombreuses régions du pays, la population n’a pas confiance dans les forces locales, qui sont dispersées de manière excessive, et avec deux coups d’État en moins d’un an, la situation politique est extrêmement fragile.

Plusieurs politiciens locaux ont demandé par le passé le départ des forces françaises et étrangères et, avec plus de 50 militaires français ayant perdu la vie dans le pays depuis 2013, cette campagne n’est pas populaire dans le pays.

Après le dernier coup d’État, le président Macron a été cité cette semaine comme ayant déclaré : « La France ne se tiendrait pas aux côtés d’un pays où il n’y a pas de légitimité démocratique. »

« Le problème avec un terrain aussi vaste et hostile, dit un expert occidental en sécurité qui a demandé à ne pas être nommé, c’est qu’il faut investir énormément de ressources pour avoir le moindre impact. Ajoutez à cela la mauvaise qualité des forces locales et vous avez un problème. »

Les États-Unis reconnaissent depuis longtemps le danger de voir des groupes terroristes transnationaux s’enraciner au Sahel, mais ici, la politique a rendu la vie plus difficile aux personnes engagées dans la lutte contre le terrorisme.

L’un des derniers actes de l’administration du président Donald Trump était de reconnaître la souveraineté du Maroc sur l’ancienne colonie espagnole contestée du Sahara occidental, que le Maroc a occupée en 1975.

L’Espagne s’y oppose, insistant sur le fait que le peuple sahraoui du territoire a le droit à l’autodétermination. En avril, elle a autorisé le chef du groupe de résistance sahraoui, le Polisario, à être traité pour le Covid dans un hôpital espagnol.

En représailles, le Maroc a laissé jusqu’à 10 000 migrants se ruer sur la frontière espagnole à Ceuta avant que la plupart ne soient renvoyés. Aujourd’hui, l’Espagne s’est retirée d’African Lion, la plus grande manœuvre militaire annuelle organisée par le commandement américain pour l’Afrique, qui devait avoir lieu ce mois-ci au Sahara occidental et à laquelle participent 7 000 soldats de neuf pays.

Les coups d’État, la corruption et la désunion entre alliés sont autant de cadeaux aux groupes d’insurgés. Ils détournent l’attention des opérations antiterroristes, ce qui permet aux insurgés de se regrouper, de se réarmer et de préparer de nouvelles attaques.

La situation au Sahel est précaire, mais les enjeux sont suffisamment importants pour que les pays déjà engagés le restent dans un avenir proche. Mais à moins que l’assistance militaire ne s’étende à un programme complet pour une meilleure gouvernance de la population, cette opération risque d’être sans fin perceptible.

BBC

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