Discours d’Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, à l’occasion des cités du patrimoine
Discours d’Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, à l’occasion des cités du patrimoine
Vendredi 13 décembre 2024 — Chinguetti, Mauritanie
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Monsieur le président de la République de la Mauritanie, Son Excellence
Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les membres du Corps diplomatique,
Monsieur le Maire de Chinguetti,
Mesdames et Messieurs les Élus,
Mesdames et Messieurs les directrices et directeurs d’institutions culturelles,
Chers amis,
C’est un grand plaisir pour moi d’être avec vous pour l’ouverture de cette 13e
édition du Festival des villes anciennes, ici, aux côtés des Mauritaniens dont je
veux saluer l’engagement pour la culture, l’éducation, les sciences – en
Mauritanie comme à l’UNESCO.
Nous venons d’en avoir encore une belle illustration il y a quelques jours
seulement, avec l’inscription sur la Liste du Patrimoine immatériel de
l’UNESCO de l’« Épopée de Samba Guéladio » — touche de plus dans la
mosaïque unique de diversité, d’influence, de tradition que représente la culture
mauritanienne.
Ces traditions sont mises à l’honneur dans le festival que nous ouvrons ce
matin — autant de pratiques inséparables du ksar de Chinguetti. Ici se mêlent
traditions vivantes et monuments, savoir-faire et édifices, qui racontent
ensemble l’histoire des communautés de Mauritanie.
Chinguetti, 7e ville sainte de l’islam, foyer intellectuel du monde musulman et
exceptionnel lieu de science, inscrite avec les ksour de Tichitt, Ouadane et
Oualata au Patrimoine mondial de l’UNESCO il y a presque 30 ans. Quatre
villes historiques qui viennent d’ailleurs de bénéficier d’un nouveau soutien de
l’UNESCO pour accompagner leur adaptation aux risques contemporains, en
particulier celui du dérèglement climatique.
Ce patrimoine, il faut l’entretenir, le chérir — lui qui fait la fierté des Mauritaniens
et constitue aussi un lieu d’inspiration pour le monde entier.
Les bibliothèques de Chinguetti incarnent cet héritage indissolublement
matériel et vivant, transmis de génération en génération.
Ses murs en terre sont depuis des siècles les gardiens de manuscrits, legs de
générations d’étudiants et de pèlerins : traités de mathématiques, poèmes,
écrits coraniques ou documents juridiques, rédigés sur du papier de Chine ou
de la peau de gazelle.
À l’image d’un traité de médecine d’Avicenne du XIe
siècle, conservé depuis
des générations au cœur de la bibliothèque El Habott, riche de ses quelques
1400 manuscrits.
Une richesse culturelle transmise notamment grâce à la Mahadra, ce système
éducatif séculaire au cœur des communautés, « l’université du désert »,
reconnue elle aussi comme Patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO
l’an dernier.
L’UNESCO s’engage à protéger ces patrimoines, à vos côtés.
Cette année, treize de ces bibliothèques ont été marquées de l’emblème
distinctif de la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels —
une première dans la région du Maghreb.
Cette année aussi, l’UNESCO a pu soutenir l’acquisition de matériel pour ces
bibliothèques (boîtes de conservation sans acide, étagères, climatiseurs
portables, ordinateurs, scanners, disques durs) destiné à protéger et à
transmettre cet héritage inestimable.
En soutenant le patrimoine mauritanien et ses trésors, c’est un héritage riche
de sa diversité que nous entendons protéger, valoriser et transmettre, dans ce
pays né de la rencontre du monde arabo-amazigh et de l’Afrique
subsaharienne.
Diversité linguistique, bien sûr, qu’attestent ses quatre langues nationales :
l’arabe, le pulaar, le soninké — célébré pour la première fois cette année à
l’UNESCO à l’occasion d’une journée internationale — et le wolof.
Diversité, aussi, des grands courants civilisationnels qui traversent la
Mauritanie et qui en font ce lieu unique, au long des routes du commerce et du
savoir.
Routes qui ont conduit le prospère empire du Ghana à installer en Mauritanie
sa capitale ; où prirent leur essor les Almoravides, ces grands nomades
chameliers originaires de l’Adrar.
N’oublions pas, dans cette célébration du patrimoine mauritanien, son
patrimoine naturel. Il explique aussi cet héritage, lui qui est parfois difficile et
dur, surtout à l’heure du dérèglement climatique, mais qui a façonné la
résilience, l’identité, les coutumes, les pratiques nées sur cette terre.
Une terre qui est aussi l’objet de nos recherches scientifiques, notamment
celles qui sont menées par l’UNESCO dans le Parc National du Banc d’Arguin,
inscrit en 1989 au Patrimoine mondial — et l’un des rares trésors naturels
préservés pour la biodiversité sur le continent.
Face au dérèglement climatique, aux conflits et aux fractures sociales, il nous
faut investir ce pouvoir de la culture pour répondre aux défis contemporains.
Ce dialogue entre nature et culture dont Chinguetti, dans sa splendeur
pierreuse, en osmose avec le désert, nous ouvre la voie de façon si grandiose.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je souhaite conclure avec les vers du poète mauritanien Ousmane Moussa
Diagana, qui fut longtemps expert aux Nations Unies, dans ses Notules de
rêves pour une symphonie amoureuse.
Il nous présentait ainsi son pays :
« Mon pays est une perle discrète
Telle des traces dans le sable
Mon pays est une perle discrète
Telle des murmures des vagues
Sous un bruissement vespéral
Mon pays est un palimpseste
Où s’usent mes yeux insomniaques
Pour traquer la mémoire.
Je vous remercie
Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO