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Contribution au débat sur la question linguistique en Mauritanie

Contribution au débat sur la question linguistique en Mauritanie| Ely Ould Sneiba

Le Congrès d’Aleg de mai 1958 était la toute première occasion politique offerte aux représentants du Fouta mauritanien d’exposer leur conception du futur État décolonisé : ils avaient exigé en plus d’un État binational le français comme langue officielle. Position réitérée quelques années plus tard lors de la constitution du Parti du Peuple Mauritanien (PPM) dorénavant l’unique formation nationale avec l’intégration en son sein de tous les autres partis, notamment le Parti du Rassemblement Mauritanien (PRM), l’Union Nationale Mauritanienne (UNM) et le parti Nahda.
La « Conférence de la table ronde » avait tenu sa réunion du 20 au 22 mai 1961 dans la crispation à cause du « problème culturel », c’est-à-dire la question de « la généralisation de l’enseignement arabe dans les établissements publics ».
Yahya Ould Abdi, membre fondateur du Parti Nahda et ancien directeur de la sûreté nationale sous Moktar Ould Daddah, qui avait pris part aux travaux du congrès qui entrera dans les annales de l’histoire comme congrès de l’unité nationale, a confirmé, dans ses Mémoires rédigés en arabe, que la rencontre avait failli échouer à cause de la position radicale des représentants de la communauté noire sur la question de l’officialisation de la langue arabe, et que Moktar avait été mandaté pour les ramener à la table des discussions, ce qu’il fit avec succès sans avoir révélé aux congressistes les termes de l’accord qu’il avait conclu avec les frondeurs sudistes. C’était certainement par souci d’efficacité : le président Moktar avait à cœur l’unité nationale et s’était hissé au-dessus des contingences pour amener tous les Mauritaniens à bord. Par rapport à ses convictions sur la question, il reconnaissait, contrairement au reproche d’Ould Abdi, l’impératif pour le peuple mauritanien de recouvrer sa personnalité culturelle propre « considérablement étouffée par la colonisation » .
A cet effet, l’année d’après « la conférence de la table ronde », la direction politique du nouveau PPM va charger une commission ad hoc d’apporter des propositions concernant « l’officialisation de la langue arabe et des garanties demandées, en échange, par la minorité » noire.
« On ne nous imposera jamais l’arabe » :
En vérité, la langue arabe, contrairement à ce que véhicule la propagande des FLAM, n’a jamais été imposée et n’a jamais était utilisée comme moyen de domination ou d’exclusion d’une partie de la population mauritanienne. Tout autrement, l’arabe était depuis le Moyen-Âge aussi bien la langue savante de Bilad Chinguitt que celle du Fouta.
Au IXème siècle, à l’époque almoravide, ce territoire était déjà bien arrosé de culture arabo-islamique par des érudits venant d’Al Ifriqiya et d’Hadramaout dont les plus illustres sont Aljasouli, Alhadrami, Ibrahim l’Omeyade, Arrakaz…
Avec l’arrivée des Banî Hassane vers le XVème siècles, c’est-à-dire cinq siècles à peu près avant l’entrée en scène timide de la langue du corse Coppolani, l’arabe était devenu la langue véhiculaire de la sous-région ouest-africaine et sa version populaire l’hassanya, la langue vernaculaire de de tout l’espace maure.
En outre, c’est grâce au rayonnement culturel des Chinguittiens que des hommes comme Cheikh Oumar Alfouti, Cheikh Souleymane Bal, Cheikh Abdel Kader Kane et Cheikh Ahmedou Bamba (il serait originaire de Bababé et avait fait ses études islamiques à Boutilimitt) étaient devenus de brillants érudits.
À présent, dans le cadre de l’État moderne, la grande majorité du peuple mauritanien a décidé que la langue arabe soit celle de la République aux termes de l’article 6 de la constitution du 20 juillet 1991, votée par référendum qui est la forme supérieure de décision et la plus démocratique aussi. Si l’officialisation du français, par exemple, avait été décrétée par le même moyen, les Nationalistes noirs n’allaient jamais s’offusquer et dire que cette langue leur avait été imposée car la mise à l’écart de l’arabe et son remplacement par le français était l’objectif qu’ils visaient et visent toujours.
Pour ce qui est de la période d’avant la démocratie, du temps du parti unique, c’était la loi n° 65. O26 du 30 janvier 1965 matérialisant « la doctrine du parti, parti de l’État » qui légitima l’officialisation de l’arabe.
Pour rappel, la langue du colonisateur fit son entrée en pays maure vers la fin XIXème siècle, et en 1960 la Mauritanie accéda à la souveraineté nationale. Une cinquantaine d’années, c’est trop court pour l’enracinement définitif d’une langue étrangère. Tout compte fait, au départ des Français, rares étaient ceux qui parlaient leur idiome, il n’y avait que quelques dizaines interprètes-traducteurs, plus interprètes que traducteurs, en plus de quelques centaines de fonctionnaires subalternes dont une bonne part venait de l’A. O.F.
Le président Moktar, quant à lui, était parmi les premiers bacheliers et l’un des premiers cadres de niveau universitaire du pays.
Au vu de ce bilan, il serait juste de dire que l’officialisation du français fut un choix strictement politique, fait selon la volonté de quelques-uns contre la volonté de la majorité. Et nos chefs d’État qui prononçaient leurs discours en français ne s’adressaient jamais à la Nation mais à l’administration et aux élèves du secondaire.
La production intellectuelle, elle aussi, n’était pas mieux lotie. Il n’y avait ni littérature mauritanienne d’expression française ni création culturelle produite en français de quelle que nature que ce soit. Un tel bilan était tout à fait normal compte tenu du caractère superficiel de l’implantation coloniale française qui s’était limitée, en tout et pour tout, à quelques rares postes administratifs plantés au sein des chefs-lieux régionaux, en plus de la faible couverture scolaire qui ne touchait que quelques rares élèves, essentiellement des fils de notables et dans quelques rares écoles éparpillées sur l’étendue du territoire national.
Au sujet de l’arabisation forcée dont parlent sans cesse les FLAM, c’est tout simplement une manière de semer la confusion dans les esprits en confondant volontairement usage de la langue, l’arabe, et l’ethnicité. Ils donnent, d’une part, l’impression que l’arabe est une langue étrangère nouvelle, enseignée depuis juste les années soixante, alors que l’arabe était la langue véhiculaire des peuples de ce territoire, y compris les Négro-Mauritaniens, depuis au moins la présence de l’Islam qui date du Xème siècle, à l’époque almoravide ; d’autre part, ils introduisent par la même l’idée selon laquelle celui qui apprend l’arabe devient automatiquement un Arabe. Dans ce cas, si l’on suit leur logique, celui qui apprend le français serait machinalement un Français, un assimilé. Par conséquent, la francophonie serait, suivant le même raisonnement, une nouvelle identité africaine à la place des identités culturelles négro-africaines.
C’était donc tout l’inverse, la Mauritanie était devenue francophone par la volonté de sa composante noire : les fonctionnaires négro-mauritaniens formés à l’école coloniale entendaient conserver leur avantage par la francisation exclusive de l’administration. Déjà pendant la période coloniale et jusqu’aux années quatre-vingt-dix, à cause « du retard de la scolarisation – en français – en Mauritanie hassanophone par rapport à la vallée… l’administration française était obligée de recruter le plus grand nombre de ses fonctionnaires et agents locaux dans le Sud mauritanien » .
Les raisons du bras de fer permanent entre les tenants de l’exclusivité francophone de l’administration et de l’enseignement, d’une part, et les partisans de l’arabe ou plus exactement du bilinguisme franco-arabe dans ces deux domaines, d’autre part, trouvent ainsi une de leurs explications. D’autres s’y ajoutent comme celui du combat contre l’assimilation présumée véhiculée par les arabo-phobes. Les pourfendeurs de « l’arabisation forcée » et choristes de la « francisation forcée » soutiennent que si les ethnies négro-mauritaniennes apprenaient l’arabe, elles cesseraient d’exister en tant que réalité ethnoculturelle.

Pourtant l’Afrique noire enseigne les langues européennes et les utilise pour les besoins de l’administration. Peut-on objectivement dire qu’elle est aliénée ?
Pas du tout, les pays négro-africains conservent toujours leurs spécificités linguistiques et culturelles et la carte ethnographique africaine est toujours au complet et l’ouverture sur l’autre n’a tué aucune ethnie.
Une deuxième thèse, non moins fallacieuse, avancée par les mêmes militants anti-Arabes prétend que si les élèves et les étudiants noirs recevaient un enseignement en langue arabe en même temps que leurs compatriotes arabes, l’avantage en connaissances serait automatiquement en faveur des derniers au détriment des premiers. Là encore, le raisonnement est tiré par les cheveux. L’aspect phonétique, c’est-à-dire la prononciation des sons que etnicistes poulo-toucouleurs présentent comme longueur d’avance et atout majeur au bénéfice des petits Maures est en vérité loin d’être un élément déterminant, et « selon les spécialistes, ce qui importe essentiellement, c’est l’intelligence et le travail de l’enfant, abstraction faite de son origine ethnique ».
C’est exact, les Africains et les Arabes parlent le français avec accent et roulent les ’r’, et ce n’est pas un handicap scolaire. Cette prétendue incapacité n’a pas empêché le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Libanais Amin Maalouf de faire leur entrée à l’Académie française.
Les Peuls et les Toucouleurs ne connaissent pas le pulaar.
Les Flamistes exagèrent. Ils font croire aux autres que tous les Pulaars ont une parfaite connaissance du peul, parce que c’est leur langue maternelle ; un peu comme si tous les Arabes prétendaient être des Al-Khalil ibn Ahmad al-Farahidi ou Sibawayh .
Certes, la langue maternelle est celle que l’enfant comprend avant d’aller à l’école sans efforts et sans intervention pédagogique, mais elle ne lui enseigne pas la lecture et l’écriture, et encore moins, les connaissances livresques. Pour connaître et éventuellement avoir une bonne maîtrise d’une langue, il faut l’étudier, ce qui n’est pas le cas des locuteurs des langues orales qui demandent d’abord d’être codifiées avant de pouvoir passer à la phase suivante, celle de langues d’enseignement.
En Mauritanie seuls quelques rares chercheurs en linguistique et en didactique des langues ayant planché sur l’étude théorique du pulaar comprennent son fonctionnement ; tout le reste des locuteurs du parler peul est encore au niveau du langage, encore très loin de sa bonne maîtrise, car la langue même gestuelle est un système de signes bien élaboré qu’il faut apprendre du moment que la mère ne le transmet pas. Pour illustrer ce propos, l’anecdote suivante nous semble édifiante : lors de la cérémonie funéraire organisée pour rendre un dernier hommage à Nelson Mandala, un jeune homme se présenta au podium à l’improviste, sans être sollicité, afin d’assurer l’interprétation en langage des signes des discours prononcés à cette occasion. Dès ses premiers gestes, les sourds-muets présents comprirent vite que l’homme était incompétent et demandèrent à ce qu’il soit remplacé. Un expert sollicité pour analyser la contre-performance conclut que l’homme était un imposteur, il parlait sans grammaire et répétait des gestes insensés et parfois choquants à l’adresse de l’honorable audience, des insanités du genre : « vous êtes des cons (les chefs d’État et le public) » …
C’est dire en toute simplicité qu’une langue ça s’apprend sinon on n’y connait rien !
Une langue qui attend les subventions de l’État est une langue en péril :
La langue peule tout comme la plupart des langues africaines sont en transition, elles ne sont plus au stade de l’oralité mais pas encore tout à fait au point pour être inscrites aux programmes scolaires ou consacrées langues d’enseignement, de travail et de science. C’est leur cas en Guinée, au Mali et au Sénégal pour ne citer que les pays voisins de la Mauritanie.
En Mauritanie, l’Institut des Langues Nationales de Nouakchott créé en 1981 aux fins de développer le pulaar, le soninké et le wolof a déjà fait une partie du chemin, et l’État a reconnu ces langues dans la constitution du 20 juillet 1991 comme langues nationales. En outre, les médias publics sont ouverts devant toutes les communautés ethnoculturelles nationales qui, par ailleurs, prennent part « pleinement à tous les aspects de la société » sans ingérence ni discrimination quelconque conformément au droit international et aux conventions en matière de respect de la diversité culturelle et des minorités ethniques.
Il est néanmoins vrai que le pulaar, le soninké et le wolof ne sont pas encore élevés au rang de langues officielles en Mauritanie, mais c’est le cas aussi en Guinée, au Mali et au Sénégal et partout en Afrique. Alors pourquoi cette revendication en Mauritanie de manière singulière ?
Aussi, il n’y a pas que le côté officiel, une langue peut bien faire preuve de dynamisme autrement : on peut bien s’exprimer, créer, produire et publier dans une langue même n’étant pas celle de l’administration.
Les Arabes palestiniens, par exemple, même sous occupation israélienne, ont produit une littérature abondante et une poésie militante profuse dont le porte-étendard est Mahmoud Darwich.
Les Turcs aussi avaient dominé les Arabes à l’époque ottomane mais les Arabes avaient fortement influencé les Turcs par la force de leur culture et celle de leur langue. À propos, ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir de Mustafa Kemal Atatürk que l’alphabet arabe fut remplacé en Turquie par l’alphabet latin.
Rétrograder une langue ce n’est pas simple. La colonisation française, malgré un travail de sape énorme, n’avait pas pu détourner la population algérienne de la langue arabe. Et malgré la longue nuit coloniale sur l’ensemble du monde arabe, leur langue résiste toujours et occupe aujourd’hui une place de choix dans le concert linguistique mondial.
Le dynamisme et la création intellectuelles ne se décrètent pas, ils peuvent se produisent sans assistance administrative et étatique, tout spontanément. C’est pourquoi, quand les Maures étaient bédouins leur production intellectuelle littéraire et religieuse n’avait pas décrue. Ils n’avaient pas attendu la naissance de l’État pour cultiver leur langue arabe et publier sur différents sujets, religieux, linguistique et autres. Ces bédouins apprenaient en marchant, à dos de chameaux, sous la tente, sur la dune, partout pour cultiver le savoir. Dans les bibliothèques de leurs villes anciennes Ouadane, Chinguitti, Tichitt et Oualata les manuscrits dorment depuis des siècles comme l’atteste ce correspondant du journal l’Express, il écrit : « Dans de petites maisons en torchis, 6 000 livres sont conservés. Intacts depuis le XIIe siècle, date présumée, mais jamais expertisée. Ils sont la propriété de huit familles. Mohammed Habbott veille sur la collection la plus importante : 1 600 ouvrages conservés dans des armoires en fer avec, pour seule protection, des classeurs en carton. »
Bien sûr, au désert, il y avait des bibliothèques, résultat de l’enracinement à Bilad Chinguitt de l’enseignement originel qui avait précédé l’école coloniale de quelques siècles et avait formé ulémas et poètes en grand nombre. Les Mahdras, les écoles coraniques ou universités du désert avaient incontestablement joué un rôle important dans sa propagation du savoir en Mauritanie et partout dans la sous-région ouest-africaine, leur efficacité n’est plus à démontrer comme en témoignent les deux récits suivants :
Dans les années soixante un correspondant de la revue koweitienne « Alarabi » effectua un séjour de découverte en Mauritanie. Venant du Golfe avant que cette région ne connaisse son essor économique et culturel actuel, il crut que les Chinguittiens étaient eux aussi passablement doués en langue et littérature arabes. Après la fin de sa mission, il rédigea un reportage détaillé sur Bilad Chinguitt et lui attribua le titre de « pays du million de poètes ».
Une deuxième bonne surprise attendait dans les années soixante-dix Mohamed Cherif, le ministre libyen de l’enseignement. Son pays dota la Mauritanie du premier lycée d’enseignement général en langue arabe et envoya avec une délégation de professeurs chargés d’y dispenser des cours y compris en langue arabe. C’était méconnaître les jeunes chinguittiens.
Les élèves mauritaniens, en plus du coran qu’ils récitaient par cœur, avaient une bonne connaissance de la poésie antéislamique et ses Suspendues (Al-Mu allaqât), des poètes classiques Imrou al-Qays, Abou Nouwas, Al-Mutanabbi, des poètes modernes Ahmed Chawqi, Hafedh Ibrahim, Maaruf Arassafi. Ils connaissaient aussi l’Alfiyya d’Ibn Malek (le poème aux mille vers) renfermant toutes les règles de la grammaire arabe, le traité de grammaire de Sibewah intitulé « Alkitab », de quoi impressionner leurs professeurs libyens qui décidèrent de plier bagage et de ne plus revenir en Mauritanie en tout cas pas pour enseigner l’arabe à ses enfants.
Quoiqu’il en soit, crier au racisme ne dispense pas de l’effort intellectuel et scientifique. C’est un mauvais alibi pour masquer tant d’insuffisances. Les Poulo-Toucouleurs doivent absolument se mettre au travail académique pour relever le défi linguistique.
Pour que les milliers de langues de l’Afrique noire connaissent un essor satisfaisant, il faut encore du temps et beaucoup de labeur scientifique, ce qui n’est fait nulle part en Afrique, surtout pas en Mauritanie où ce ne sont que quelques instituteurs politiquement motivés qui s’emploient à codifier le pulaar, le soninké et le wolof et souvent sans moyens conséquents.
A vrai dire, les cadres du Sud ne s’occupent que du français tout en prétendant vouloir assurer la promotion de leurs langues propres.
En ce début du XXIème siècle, les bibliothèques, les librairies et les kiosques sont toujours vides de livres en langues nationales : encyclopédies, dictionnaires, anthologies, romans, recueils de poésie, journaux scientifiques, annales de droit et d’économie, chroniques d’Histoire, manuels didactiques scolaires, bref des références académiques sur tous les sujets de connaissances. Il n’existe pas non plus d’académie pulaar ou soninké ou wolof, ou toutes autres institutions scientifiques de référence en la matière.
Un tel travail et de telles structures sont indispensables avant le passage au statut de langue administrative, d’enseignement et de science.
Presque tous les pays d’Afrique noire avaient compris cette réalité, avaient vu que les efforts à consentir afin de promouvoir leurs langues étaient énormes et demandaient du temps et des moyens humains et matériels. Au lendemain des indépendances, ces États avaient opté pour les langues coloniales. C’est donc une question tranchée depuis longtemps sauf en Mauritanie où les militants négro-ethnicistes pensent encore pouvoir déplacer les montagnes. Avec des langues aux balbutiements de l’écriture, ils veulent aller vite et loin et rivaliser avec les plus grandes langues de la planète : l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe. C’est trop !
La confusion linguistique :
Il existe une règle presque universelle, que toutes les grandes puissances planétaires ont mise en œuvre suivies de l’écrasante majorité des autres pays, qui est le monolinguisme officiel ou administratif, en vigueur partout à quelques rares exceptions.
En France, malgré la présence séculaire du breton, du corse, de l’occitan, du tahitien, du martiniquais, du guyanais et du réunionnais, le français reste l’unique langue officielle. La Constitution française du 4 octobre 1958, en son article 2, stipule : la langue de la République est le français.
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et la Fédération de Russie n’ont qu’une seule langue officielle chacun. La République populaire de Chine avec 1 milliard 400 millions d’habitants et 81 langues n’a que le mandarin standard comme langue officielle. Les États-Unis d’Amérique n’ont pas spécifié dans leur constitution que l’anglais est la langue officielle de l’État fédéral américain mais c’est tout comme, il est la langue administrative exclusive.
Dans la pratique, c’est la langue du groupe dominant qui devient officielle, sauf en Afrique, à cause du retard des langues nationales africaines ; néanmoins certaines d’entre elles s’étaient imposées comme langues de communication assurant l’intercompréhension entre différentes ethnies, dans des pays parfois en situation de trop-plein ethnique.
Ceux qui sont contre le monolinguisme officiel évoquent toujours les exceptions et citent les exemples du Canada, de la Suisse et de la Belgique. Dans ces quelques cas, il s’agit de populations linguistiquement et culturellement homogènes fixées sur des territoires autonomes de manière exclusive et forment des fédérations avec d’autres du même type, alors que la Mauritanie est un État unitaire et les ressortissants de la vallée sont principalement ailleurs, éparpillés sur le sol national. Ils n’ont pas de villes à eux, même s’ils ont des villages autonomes.
Uniformisation linguistique :
L’Afrique noire parle plus de deux mille langues. On dénombre 520 langues codifiées au Nigeria, une vingtaine au Sénégal, autant au Mali et en Guinée contre quatre en Mauritanie, le pays d’Afrique où il y a le moins d’ethnies et de langues. Selon une étude réalisée par Radio France Internationale, le pulaar ne figure pas parmi les langues les plus parlées d’Afrique et l’arabe se trouve en tête de liste :
« Plus de 2 000 langues sont dénombrées en Afrique, dont une centaine serait maîtrisée par plus d’un million de locuteurs. Les langues les plus parlées seraient, selon des sources très variables et parfois divergentes, dans cet ordre : l’arabe (plus de 150 millions de locuteurs), le kiswahili (plus de 100 millions), l’amharique (entre 28 et 50 millions), le haoussa (entre 18 et 50 millions), le yorouba (30 millions), l’oromo (25 millions) et l’ibo (24 millions), avant le lingala (entre 2 et 25 millions, selon les sources) puis le kinyarwanda et le kirundi (entre 15 et 20 millions), deux langues cousines qui partagent avec l’isizoulou et l’isixhosa (respectivement, 10 et 8 millions de locuteurs) leur appartenance au grand sous-groupe des langues bantoues ».
Certains panafricanistes comme Senghor, l’inventeur du concept de la négritude, Modibo Keïta, Sékou Touré, Nkrumah et Nyerere, et d’autres, ne perdaient pas de vue que sans autonomie en matière de langue, l’indépendance de l’Afrique restera inachevée. Dans le fond, ils avaient raison, mais sur le terrain pratique cette question était un véritable casse-tête chinois. Que peut-on faire avec plus de deux mille langues répertoriées, toutes encore au stade de l’oralité ou presque ?
D’autres avaient proposé pour pallier l’émiettement linguistique de réduire toutes les langues africaines au nombre de cinq correspondant au cinq grandes familles de langues du continent ; d’autres préconisèrent plutôt de laisser les langues africaines les plus dynamiques s’imposer d’elles-mêmes.
En Tanzanie, le président Nyerere dit Mualimou a fait de son pays une des rares exceptions sur le continent. Il comprit vite que dans un pays où l’on parle une centaine de langues, l’urgence était l’institution d’une langue commune : le swahili, une langue bantoue parente de la langue arabe (de l’arabe fortement créolisé). Lui-même est zanaki, une ethnie minoritaire, mais au moment de l’indépendance, il proclama le swahili comme langue officielle à côté de l’anglais. Aujourd’hui, le swahili prédomine en Tanzanie et devient la langue la plus parlée d’Afrique subsaharienne.
Ainsi, Nyerere avait fait mieux que Nelson Mandela et Paul Kagamé.
Mandela a fait tomber l’apartheid mais l’anglais continue toujours sa marche triomphale en Afrique du Sud. Kagamé, pour sa part, a enregistré d’énormes progrès dans tous les domaines de la vie au Rwanda à l’exception de la renaissance linguistique. Le kinyarwanda, une autre langue bantoue, est relégué au second plan au profit de la langue anglaise.
Nos deux hommes d’exception, ci-haut, au patriotisme singulier, avaient-ils réellement le choix ?
Certaines Nations africaines avaient décidé l’adoption d’une langue africaine commune : le bambara au Mali et le wolof au Sénégal tout en choisissant le français pour le niveau officiel et pour l’enseignement.
En Mauritanie avec quatre langues nationales, l’arabe littéral ou l’hassanya populaire n’arrivent pas à fédérer la population à cause des rivalités interethniques. Le Nationaliste négo-mauritanien, à la question est-ce que la Mauritanie est un pays francophone, il répond, avec le sourire, oui bien évidemment ; et est-ce qu’elle est arabophone, sa réponse, c’est oui mais, il y a aussi le pulaar, le soninké et le wolof, en d’autres termes, ou toutes les langues nationales à la fois ou le français en solo !
Et pour se donner bonne conscience, le Négro-nationaliste proclame à tout vent que le français est sa langue-refuge – de quoi se réfugie-t-il et qui le poursuit ! – ; qu’elle est sa langue-arbitre – y a-t-il match ? – ; sa langue d’ouverture, l’arabe n’est-il pas la quatrième ou la cinquième langue la plus parlée dans le monde ?, etc.
Si par hypothèse, on admettait que les langues nationales mauritaniennes etaient suffisamment développées pour être langues d’enseignement et langues administratives, et que l’État ait accédé à cette revendication, ne serait-il pas à ce moment-là légitime que le cursus scolaire et universitaire soit effectué dans ces mêmes langues au profit des élèves et étudiants de leurs communautés linguistiques respectives. Et une fois diplômés, ne serait-il pas tout aussi légitime que l’État les insère dans la vie professionnelle ?
La question qui s’impose ici, c’est comment tous ces cadres pourraient-ils se comprendre et comment l’administration pourrait-t-elle fonctionner dans la cacophonie ?
Le plurilinguisme est logiquement synonyme de confusion linguistique dans la mesure où chacun parle sa langue maternelle et ignore celle de l’autre.
Au niveau populaire le choix est libre et une langue de communication commune finira par s’imposer, cependant au niveau public, l’État doit réguler et trancher.
Il doit décider l’une des options suivantes et pas toutes à la fois :
– Le monolinguisme officiel arabe ; les Nationalistes noirs refusent cette option ; pour eux, utiliser l’arabe équivaudrait à reconnaître l’arabité exclusive du territoire de leurs ancêtres, spolié par les Sanhadja depuis un millénaire. À cet égard, ils considèrent l’article 6 de la constitution officialisant la langue arabe comme discriminatoire, les reléguant au statut de citoyens de seconde zone, parce que leurs langues maternelles ne sont pas officialisées. Qui en fait en Afrique ?
Aucun ou presque !
– Le bilinguisme arabo-français, c’est un échec patent, les Noirs choisissent le français et les Arabes s’accrochent à la langue de leurs ancêtres ;
– l’institution d’une langue commune neutre, en l’occurrence le français, c’est exclure la majorité culturelle, les Arabophones, qui ne voudrait pas être l’illustration vivante de Gribouille qui se jette dans la rivière par crainte de se mouiller : par excès d’orgueil ethnique conduisant au blocage sur la question linguistique, il serait absurde d’écarter toutes les langues du pays pour se jeter dans les bras d’une langue étrangère, celle de l’ancienne puissance coloniale.
Traduire, c’est trahir la cohésion nationale !
En porte-à-faux avec les Nationalistes négro-africains, ceux de la Mauritanie se battent depuis l’indépendance de leur pays pour imposer le contraire de la clairvoyance de Nyerere, c’est-à-dire qu’ils veulent l’institution d’une exception mauritanienne : la bantoustanisation linguistique. L’uniformité et l’homogénéité étant contraires à leurs objectifs ethniques, ils invoquent le principe du respect de la diversité culturelle et condamnent leur communauté nationale au cloisonnement sous-tendu par un pluralisme linguistique sourd-muet.
Pour une exception c’en est une, au Sénégal voisin le nombre de langues nationales fait cinq ou six fois celui de la Mauritanie, et avec autant de diversité, le peuple sénégalais se comprend, sans complexe et sans heurt, dans une seule langue nationale commune qui est le wolof. Et aucun citoyen de ce pays, fût-il d’origine arabe, mauritanienne, libanaise ou marocaine ne peut penser transgresser cette loi.
Il faut vraiment être communautariste têtu pour ne pas se plier à cette règle.
Au cours de la dernière campagne présidentielle de 2019, les Mauritaniens ont pu voir les cadres politiques peuls et toucouleurs battre campagne dans la vallée en s’exprimant en wolof. Le Président Macky Sall, lui-même, toucouleur d’origine, n’a pas dérogé à la règle, et en général, quand il s’adresse à son peuple, il le fait en wolof. Mieux, au parlement, la représentation nationale du peuple multiethnique et multiculturel sénégalais, il est impossible de voir un député casqué ou une voix discordante exigeant l’interprétation.
Par contre, de ce côté du fleuve, la majorité des cadres du Sud se dit exclue dès que leurs compatriotes du Nord s’expriment en arabe ou même en hassanya populaire.
Sans traduction dans chaque administration, à chaque réunion ou meeting, à tous les niveaux, c’est le dialogue des sourds. Le Parlement et le Conseil des ministres ne sont pas épargnés, non plus ; en effet les députés de la vallée, à quelques rares exceptions, sont munis de casques de traduction simultanée et les ministres de la même région ont toujours, c’est la règle, une version en français des communications à passer au Conseil des ministres ; sur les plateaux de télévision, les cadres et les hommes politiques du Sud s’expriment le plus souvent en français…
Il s’ensuit que celui qui demande la traduction de simples propos politiques demandera aussi à ce que les sermons du vendredi qui sont dits en Arabe lui soient traduits, logiquement.
Bizarrement, le Négro-ethniciste à « l’oreille blanche » feint toujours d’ignorer l’arabe littéral ou populaire. L’incident ci-après en est la preuve :
Un jour, un cadre politique de haut rang ressortissant de la vallée partit faire le pèlerinage à la Mecque. Ce dirigeant a toujours revendiqué ne rien comprendre au parler hassani et exigeait la traduction. Un de ses collègues, un Maure, avait lui aussi, décidé d’accomplir son hadj. Arrivé le dernier aux lieux saints, le Maure surprit son compatriote noir en pleine conversation avec des Marocains, engagée en arabe populaire !

 

Le cas de l’UFP :
Ils étaient des jeunes cadres nationalistes arabes, avec eux d’autres Nationalistes noirs et quelques gauchistes ; ensemble ils avaient fondé le Mouvement National Démocratique, devenu avec la démocratisation un parti politique dénommé : Union des Forces de Progrès (UFP). Ces hommes et ces femmes patriotes ambitionnaient de mettre leur société en mouvement et en ordre serré.
Aujourd’hui, après plus de quarante ans de lutte commune et de vie politique commune, les cadres et militants de l’UFP ne se comprennent toujours qu’à travers la traduction. Aucun segment ethnique de ce parti n’est prêt à faire des concessions et développer avec les autres militants une langue de communication commune, à eux d’abord, pour servir ensuite de ciment à leur peuple multilingue. De la sorte, l’UFP est devenue une école de traduction grandeur nature, convaincue que la confusion linguistique est une vertu nationale !
Et si les Maures refusaient de jouer « les nègres de service », arrêtaient de traduire de l’arabe vers le français et du français vers l’arabe, quelle communication possible entre Mauritaniens ?
La traduction est inappropriée dans la vie d’une Nation, entre elle et les autres, c’est oui, mais entre ses propres composantes sociales, c’est un échec d’intégration fatal.
Le chauvin, c’est qui ?
Le chauvin se dit de tout Malien mûr qui refuse de parler le bambara parce que les Bambaras ne parlent pas sa langue maternelle à lui, et voudrait imposer une langue-arbitre étrangère.
Le chauvin est aussi tout Sénégalais mûr qui rejette le wolof pour les mêmes raisons. Le chauvin est également tout Mauritanien mûr qui se comporte de la même façon au mépris de la constitution de son pays, de son Histoire et de la réalité ambiante. Contrairement aux Bambaras et aux Wolofs, presque tous les Mauritaniens vont à l’école coranique en bas âge pour apprendre l’arabe et continuent avec dans un système éducatif officiellement franco-arabe.
Même si l’école n’était pas ainsi, celui qui vit ou séjourne longuement en Chine, finit toujours par parler le mandarin sans aller à l’école, parce que l’immersion est une école.
Comment ne pas réussir son apprentissage linguistique quand l’ambiance s’y prête ? La rue, le souk, la presse, la radio, la télévision, tout invite à apprendre la langue ambiante pour comprendre, communiquer et interagir avec la majorité de la population.
Une Nation qui évolue avec un corps d’interprètes et traducteurs en interposition aura du mal à évoluer ensemble. Après soixante ans d’État, on marque toujours le pas sur la clivante question linguistique.

Officialisez l’hassanya ! Nouveau slogan des FLAM :
Contrer l’influence de la langue arabe, tel est l’objectif des Nationalistes poulo-toucouleurs. Ils usent de tous les moyens possibles et imaginables. Apres l’arme génétique répétant en boucle que les Maures ne sont que des Arabo-berbères donc illégitimement accrochés à une langue qui n’est pas la leur ; argument qui s’est retourné contre eux, parce qu’eux-mêmes, les Halpulaars, sont un mélange de sang peul, toucouleur, mandingue, sérère, wolof, etc. ; ils passent à une nouvelle parade encore plus saugrenue.
La toute dernière corde dans leur arc est la revendication de l’enseignement et l’officialisation du hassanya. C’est un peu comme si les militants noirs-américains du Bronx ou de Harlem réclamaient une place au soleil pour le slang (argot dans les pays anglo-saxons) pour gêner l’anglais standard ; ou comme si l’on mettait en opposition le « colloquial English » et le « formal English ».
Peut-on imaginer qu’il échapperait au simple profane « que l’arabe classique n’est pas un parler populaire, mais se décline en autant de dialectes que de régions arabes » ?
C’est bien normal, « toute langue naturelle d’une certaine extension démographique et géographique possède des dialectes ». Alors, l’hassanya n’est qu’un dialecte arabe propre aux Maures de la Mauritanie, du Sahara, d’une partie de l’Azawad et quelques autres poches en Afrique du Nord et de l’Ouest, mais il n’est pas une langue à part entière tout comme l’arabe dialectal au Maroc, en Irak, en Egypte, au Golf, en Syrie, etc.
Autrement dit, l’hassanya est une forme simplifiée et « tropicalisée » de l’arabe standard, et parce que c’est ainsi, il permet tout de même de communiquer avec les 400 millions de locuteurs de la langue arabe.
Jamais un hassanophone sillonnant le monde arabe ne sera amené à louer les services d’un interprète-traducteur pour communiquer ; jamais un arabophone en visite en Mauritanie ne se verra obligé de recourir à l’interprétation pour comprendre et se faire comprendre.
Si tous les Négro-Mauritaniens avaient appris sans complexe l’hassanya, la traduction, le seul moyen par lequel les Mauritaniens se comprennent, serait disparue de la vie publique.
Et si par hypothèse, on abandonnait l’arabe standard pour ses formes dialectales ?
Là, il faudrait aussi inventer de nouvelles transcriptions, de nouvelles grammaires, une nouvelle orthographe… D’accord, mais pourquoi ?
Pour reproduire l’émiettement linguistique de l’Afrique noire !
La revendication insistante d’officialiser l’hassanya contre la volonté des Maures ne serait-elle pas une fausse manœuvre visant à la fois, la mise à l’écart de l’arabe et le nivellement linguistique, c’est-à-dire permettre aux locuteurs des langues africaines d’arguer qu’aucune de leurs langues nationales n’est prête pour être langue d’enseignement et langue d’État et qu’il faut donc se contenter du seul français !
L’idée de l’hassanya comme langue à part entière à côté de la langue arabe est un doublon futile et absurde. Et quoi qu’il en soit la Mauritanie ne se détachera jamais de son ancrage arabe et de sa culture millénaire à cause d’une acrobatie pareille.
Selon que l’on regarde les choses par le petit ou par le gros bout de la lorgnette, la question linguistique en Mauritanie n’est que « la transcription d’un conflit ethnique ».

Ely Ould Sneiba
Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ? PP 73-102

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