CHRONQIUE / Crépuscule de la diplomatie- Teresita Dussart, FranceSoir

CHRONQIUE – Ça fait l’effet d’un marron. Un de ces titres que la presse ressort périodiquement, tant il est vrai que la fonction diplomatique pâtit de mutations de forme et de fond depuis des décennies. L’avènement de nouvelles technologies imposant le temps réel au détriment du temps de la réflexion, la difficulté générationnelle à intégrer le protocole non comme préciosité mais comme code de communication universellement admis, le service étranger dit spécialiste ou thématique confié à des missions ad hoc et non plus à des diplomates de carrière, et la politisation de la fonction, auront porté, tour à tour, leur coup de butoir.

Mais rien n’aura été aussi dévastateur pour la fonction diplomatique que les dernières évolutions de l’Union européenne et de la présidence d’Emmanuel Macron. Car ce qui est en train de disparaître, ce n’est ni plus ni moins que le service étranger de la Nation. La diplomatie souveraine s’est vue évincée progressivement à coups de traités et de directives d’un bloc régional transformé en Soviet, dirigé par une caste d’apparatchiks néfastes, usant et abusant d’une nomenklatura absconse.

Sous couvert de convergence, c’est ce Soviet qui impose la feuille de route en matière de service étranger. Un service étranger très peu diplomatique, dans lequel se diluent les intérêts spécifiques des États membres. Un bloc obèse, composé de 27 États membres (28 avec l’Ukraine, entre fils naturel et fils prodigue), se vivant dans le déni de ses irréconciliables antagonismes entre le noyau historique occidental et les nouveaux arrivants de l’ex-pacte de Varsovie. Toutes nations, beaucoup plus sensibles au clientélisme du secrétariat d’État américain que ne l’étaient traditionnellement les États fondateurs.

Le Quai d’Orsay vient de lancer un appel à la grève pour le 2 juin. C’est la deuxième fois dans l’histoire que cela se produit. Si la première, en 2003, avait trait à un aspect purement syndical, une question d’indemnité, celle-ci vise la survie même de sa mission. La réforme de la haute fonction publique voulue par Macron est perçue par les six syndicats qui la représentent comme la « mise en extinction » des deux branches opératives du corps diplomatique que sont les ministres plénipotentiaires et les conseillers des Affaires étrangères. « Le Quai d’Orsay disparaît petit à petit », s’inquiètent ces syndicats.

Ces fonctionnaires sont appelés à se fondre dans la masse de la fonction publique. La dimension érudite qui a fait de la diplomatie française la référence mondiale, à tel titre que le français a longtemps été la langue dans laquelle s’énonçaient des concepts y associés, intraduisibles autrement, se fond et disparait dans le magma du globalisme. Le temps n’est plus à la nuance, à la mise en perspective, à la compréhension illustrée du monde. Il n’y a qu’une manière de penser et l’érudition vient à parasiter la fast diplomacy.

L’expulsion récente de diplomates européens de Moscou, en riposte à l’expulsion de diplomates russes en poste dans des capitales européennes, a démontré à quel point les gouvernants avaient perdu le nord quant aux fondamentaux qui règlent les questions bilatérales, qualifiant « d’actes hostiles », ce qui était une réponse prévisible à une action disproportionnée. En fait, le préalable à la rupture des relations diplomatiques. Et c’est justement de cela qu’il s’agit : de rompre avec les codes de la diplomatie, et en même temps d’en finir d’une fois pour toute avec tout ce qui a trait à la fonction représentative. Car qui dit fonction représentative dit différence. La diplomatie consiste en la prise en compte de différences et se produit entre gouvernements distincts. Or le globalisme parie pour l’homogénéité et le gouvernement unique. 

Les résultats ne sont pas les mêmes, lorsqu’un politique parle à un politique, un fonctionnaire à un fonctionnaire et un diplomate à un diplomate. Le langage de la diplomatie est celui du messager qui fait passer et reçoit des messages dans toute une série de situation, de la plus amicale à la plus hostile. Il incarne au sens propre du terme son pays. Mais pour parler il faut disposer de coudées franches.  Il ne saurait y avoir de marge d’action lorsque les services diplomatiques nationaux sont sous la coupe du Haut représentant aux affaires étrangères de l’Union.

S’il y avait une politique européenne réelle, articulée sur des dénominateurs communs acceptables, ce ne serait pas forcément un mal. Le problème est que le Service européen à l’action étrangère (SEAE) a pris le tournant ultra-atlantiste imprimé par Ursula von der Leyen, assistée en cela par Emmanuel Macron et ses imitateurs. Dire Macron ou Von der Leyen revient à dire cabinet de conseil McKinsey, dont les préconisations vont de la santé à la défense, en passant, précisément par la politique étrangère.

Teresita Dussart

 FranceSoir

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