Chapitre 8 : Rester ou partir ?
Chapitre 8 : Rester ou partir ?
Il n’y a pas de décision simple quand chaque option ressemble à une impasse.
Rester ou partir.
Deux mots qui reviennent sans cesse, au détour d’un repas, d’un thé, d’un silence.
Mais ici, ce n’est pas un débat philosophique.
C’est une question de survie.
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Rester, c’est choisir la lenteur.
Faire face à l’imprévu, chaque jour.
Regarder les prix monter, les emplois se raréfier, les écoles s’effondrer.
C’est vivre avec un salaire qui fond avant la fin du mois.
Avec une dignité qui s’use.
Rester, c’est continuer à être là sans être sûr d’en tirer quelque chose, sinon la fidélité à un lieu, à un nom, à un souffle.
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Dans les quartiers périphériques de Nouakchott — Riyad, Tarhil, Dar Naim — les témoignages se ressemblent.
Fatimata, mère de cinq enfants :
— « Mon mari est malade. Je travaille comme femme de ménage dans deux maisons. Si je pars, je les abandonne. Si je reste, je les affame. »
Hamoud, diplômé sans emploi :
— « Je n’ai jamais quitté la ville. Mais parfois, j’ai l’impression de ne plus être ici non plus. C’est comme si la vie passait à côté. »
Ils ne partent pas.
Mais ils ne vivent plus vraiment.
Ils attendent.
—
À l’inverse, partir, c’est prendre le risque de disparaître.
D’échouer, d’être renvoyé, exploité, oublié.
Mais c’est aussi espérer une brèche. Une possibilité.
Même minuscule. Même illusoire.
Moussa, qui s’apprête à quitter le pays pour la troisième fois, résume :
— « Ici, je suis pauvre. Là-bas, je serai peut-être exploité. Mais au moins, j’aurai choisi ma douleur. »
—
Zein regarde ce déchirement comme on observe un séisme depuis un balcon.
Il entend les cris, il sent la secousse, mais il ne sait pas quoi faire.
Il est trop ancien pour partir, trop lucide pour espérer comme avant.
Il lit. Il prie. Il attend ses enfants.
Mais les dimanches sont vides.
Un jour, il trouve une lettre oubliée dans la chambre de son petit-fils :
« Grand-père, je t’écris sans savoir si je vais réussir. J’ai économisé pendant six mois. Ne sois pas fâché. Je t’aime, mais je ne peux plus rester ici à ne rien faire. J’ai besoin d’essayer. »
Zein pleure.
Pas parce qu’il est en colère.
Mais parce qu’il comprend.
Il comprend que partir n’est plus une fuite, c’est un droit revendiqué.
—
À l’autre bout de la ville, un petit groupe de femmes s’organise.
Elles ont perdu un fils, un mari, une sœur.
Elles ne veulent pas partir.
Elles veulent changer ce qui peut l’être, ici.
Elles distribuent des repas. Elles montent un atelier de couture. Elles apprennent à lire à d’autres.
Ce n’est pas un miracle. Ce n’est même pas un début.
C’est un refus de s’éteindre.
Et ce refus, c’est déjà une forme de résistance.
—
La ville est partagée.
Il y a ceux qui font leurs valises.
Ceux qui attendent un visa.
Ceux qui dormiront encore ici demain, les yeux ouverts dans le noir.
Et au milieu, une question suspendue, que personne ne peut trancher :
« Où est-ce qu’on habite vraiment ? Dans un lieu ? Ou dans une possibilité ? »
—
Un soir, Zein ouvre sa maison à un voisin.
Un vieil homme silencieux, dont le fils est parti six mois plus tôt.
Ils s’assoient, boivent du thé, ne parlent presque pas.
Puis, au bout de la troisième théière, l’homme dit :
— « Moi, je ne veux ni partir, ni rester. Je veux juste que ce pays me regarde à nouveau. »
Zein acquiesce.
Et dans ce regard partagé, quelque chose recommence à vivre.
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