Canaries–Sahel : Une stratégie innovante pour une coopération euro-africaine durable
Les Canaries proposent une politique d’État tournée vers le Sahel, fondée sur la coopération, le développement humain et un nouveau rôle géopolitique.
À l’heure où le Sahel s’enfonce dans une spirale de crises multiples, les îles Canaries se positionnent en pont stratégique entre l’Afrique et l’Europe. Dans une tribune vibrante et prospective, José Segura Clavell, directeur de Casa África, appelle à une politique d’État ambitieuse et structurée à partir de l’archipel. Un changement de paradigme s’esquisse.
Un pont entre deux mondes, plus qu’une frontière.
C’est ainsi que José Segura Clavell résume la vocation géopolitique des îles Canaries dans une tribune publiée ce 14 juillet 2025 dans Diario de Avisos. Pour cet ancien responsable politique, aujourd’hui à la tête de Casa África, l’heure est venue pour l’Espagne – et à travers elle, pour l’Europe – de concevoir une politique ambitieuse à destination du Sahel, construite non plus sur des logiques de réaction sécuritaire, mais sur des piliers de coopération stratégique, d’écoute et de co-développement.
Le Sahel : un voisin proche, un enjeu global
De la Mauritanie au Tchad, le Sahel cristallise les tensions contemporaines : instabilité politique, changements climatiques, crises humanitaires, radicalisation violente, exode migratoire. Autant de défis qui, selon Segura, ne doivent plus être perçus comme des menaces éloignées mais comme des réalités interconnectées aux rives européennes.
L’archipel canarien, situé à moins de 100 kilomètres des côtes africaines, est en première ligne. Non pas comme simple rempart face aux flux migratoires, mais comme acteur de terrain, doté d’une expertise institutionnelle, logistique et humaine qui en fait un véritable laboratoire pour une politique extérieure renouvelée.
Une initiative politique portée par les Canaries
La vision exposée par Segura s’inscrit dans un contexte de mobilisation croissante des autorités canariennes. Le président Fernando Clavijo a récemment proposé que l’archipel joue un rôle central dans la politique européenne envers le Sahel. Cette orientation trouve un écho dans les nouvelles stratégies africaines de l’Espagne (2025-2028), mais aussi dans la Stratégie canarienne pour l’Afrique (ECA), présentée en début d’année.
Cette stratégie vise à faire des Canaries un hub humanitaire, logistique, scientifique et éducatif pour les initiatives européennes vers le continent. Le tout, dans un esprit de partenariat d’égal à égal.
Au-delà des mots : des actions concrètes
Déjà, des projets pilotes comme Tierra Firme montrent la voie : des centaines de jeunes Sénégalais ont été formés et insérés dans des circuits d’emploi grâce à la coopération canarienne. Une réussite qui, selon Segura, prouve que l’on peut passer d’une logique d’endiguement à une logique d’enracinement.
D’autres initiatives phares sont en gestation :
- Renforcement de Casa África comme centre stratégique de formation, d’analyse et de dialogue entre Europe, Afrique et Sahel.
- Promotion de l’entrepreneuriat jeune et de l’innovation sociale, notamment dans les domaines de l’agriculture durable, de la gestion de l’eau, du tourisme écologique ou des énergies renouvelables.
- Formation du capital humain africain aux Canaries, avec des partenariats académiques ciblant des domaines clés : santé publique, gouvernance, cybersécurité.
- Déploiement d’une diplomatie locale, à travers des réseaux de coopération entre collectivités canariennes et africaines sur des thématiques comme le changement climatique ou la sécurité alimentaire.
- Création d’un Forum Atlantique Canaries–Sahel, plateforme permanente de dialogue politique et universitaire.
De la périphérie au centre : une vision géopolitique
Les îles Canaries, classées Région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne, ont longtemps été perçues comme un poste avancé, parfois un bouclier. Pour Segura, ce regard doit changer : « Nous ne sommes pas une frontière, mais un pont », insiste-t-il, en écho au professeur Dagauh Komenan, spécialiste des dynamiques sahéliennes. Cette position de « territoire-laboratoire » doit être reconnue et pleinement utilisée.
La route atlantique, devenue la plus meurtrière des routes migratoires vers l’Europe, est le symptôme d’un dérèglement régional profond. Le Sahel concentre plus de la moitié des décès liés au terrorisme dans le monde (Indice mondial du terrorisme 2024). Ne pas agir reviendrait à attendre que la crise frappe plus fort.
Leadership solidaire et partenariat durable
L’appel lancé par Segura est clair : il faut substituer à la politique de containment une stratégie d’engagement durable, fondée sur la solidarité, le leadership intelligent et l’initiative partagée. Il ne s’agit pas de supplanter l’action de l’État, mais d’y contribuer activement, en cohérence et avec conviction.
Comme le souligne le journaliste José Naranjo, souvent cité par Segura : « Il est temps que les Canaries cessent d’être une frontière pour devenir une connexion. »
Conclusion : Une chance pour tous
Dans ce panorama parfois sombre, le Sahel représente aussi une formidable opportunité : celle de penser un nouveau rapport entre l’Europe et l’Afrique, fondé sur le respect, la co-construction et la vision à long terme. Les îles Canaries, fortes de leur position géographique, de leur expérience et de leur vocation européenne, ont une carte historique à jouer.
À condition d’agir maintenant.
Auteur : Rédaction Rapide Info, d’après une tribune de José Segura Clavell, directeur général de Casa África
Source originale : Diario de Avisos / El Español, 14 juillet 2025