« Au Maghreb, la prouesse sera d’éviter une confrontation »

« Au Maghreb, la prouesse sera d’éviter une confrontation »

LE MONDE QUI VIENT. Que nous réservent le Maghreb et le Sahel, deux régions sous forte tension ? Les explications du chef du Département défense et sécurité du G5 Sahel.
Par Malick Diawara
Les tensions ravivées entre l’Algérie et le Maroc sur fond de question du Sahara, le terrorisme islamiste qui s’étend de plus en plus à l’ensemble du Sahel, le départ des troupes françaises du Mali, les coups d’État successifs – notamment au Burkina, au Mali et en Guinée –, la présence des milices Wagner au Mali, les conséquences économiques de la guerre russo-ukrainienne sur le coût de la vie de populations prises en étau dans une gouvernance qui n’est pas des plus vertueuses : les éléments avec lesquels compter quant aux perspectives du Maghreb et du Sahel sont pour le moins explosifs.

Conjugués avec les déplacements de populations liés aux conséquences du changement climatique, mais aussi aux migrations en lien avec les problèmes économiques observés ici et là, ces éléments font de ces deux régions des zones à haut risque. Il convient donc, pour en saisir les perspectives, de recueillir une analyse qui tienne compte de toutes les réalités du terrain : militaires, civiles, religieuses, cultuelles et culturelles.

Mohamed Znagui Ould Sid Ahmed ElyDu haut d’un parcours qui l’a mené de l’Académie royale de Meknès à la tête du Département défense et sécurité du G5 Sahel en passant par l’Inspection générale des forces armées et de sécurité de Mauritanie, le général mauritanien Mohamed Znagui Ould Sid Ahmed Ely a le profil idéal du militaire confronté aux défis du champ de bataille et du ressortissant du Sahel qui comprend bien son environnement. Rencontré dans le cadre de la dernière édition des Atlantic Dialogues organisés à Marrakech par le Policy Center for The New South, les 14, 15 et 16 décembre derniers autour du thème « Coopération dans un monde en mutation : opportunités du Grand Atlantique », il a confié au Point Afrique son appréciation de la situation présente et future pour ces deux régions.
Le Point Afrique : Que dire de la situation sécuritaire dans et autour du Sahel aujourd’hui ?

Général Mohamed Znagui Ould Sid Ahmed Ely : La situation sécuritaire au Sahel est préoccupante. Les attaques terroristes sont récurrentes, les populations civiles sont ciblées, les conflits interethniques apparaissent partout, les milices sont légion et le nombre de réfugiés ne cesse d’augmenter d’année en année. De vastes zones du Sahel sont des zones de non-droit. Les terroristes, les trafiquants et autres criminels y font la loi. La menace évolue inexorablement vers le sud et l’ouest.

Enfin, le désengagement et la lassitude des partenaires ne sont pas de nature à arranger les choses. Autour du Sahel, la situation n’incite pas à l’optimisme. Le conflit en Libye n’est pas résolu, le Soudan renoue avec les rébellions et l’insécurité, la Somalie demeure en déliquescence, la Centrafrique ne tient que par la présence coûteuse de milices étrangères. Au Nigeria et au Cameroun, Boko Haram cède de plus en plus la place à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), lequel gagne du terrain vers le nord et l’ouest. Ajoutez à cela que les États côtiers se sentent de plus en plus menacés…
Le Maghreb et le Sahel sont beaucoup plus liés qu’il n’y paraît. Les liens historiques, économiques, ethniques, religieux, linguistiques et civilisationnels font du désert saharien un véritable pont d’échanges plutôt qu’un obstacle. Il en a toujours été ainsi : à l’ère du chameau et encore plus, aujourd’hui, à l’ère des véhicules 4×4. Les deux régions sont comme des vases communicants à la seule différence que les États du Maghreb ont des structures plus solides, des économies plus fortes, des armées et des services de sécurité plus performants. Cela ne les met pas pour autant à l’abri de fortes secousses qui sont toujours l’origine ou le catalyseur de ce qui se passe au Sahel. L’exemple libyen est édifiant à cet égard et il n’est pas seul.
Comment voyez-vous l’évolution politique et sécuritaire du Maghreb et du Sahel en 2023 ?

L’année 2023 ne promet pas de grands changements en perspective au Maghreb. La Libye semble se figer dans le statu quo, la Tunisie cherche toujours un point d’équilibre politique sans menace majeure sur la sécurité à moins d’une dégradation encore plus forte de la situation économique…

Plus à l’Ouest, le conflit du Sahara occidental a de beaux jours devant lui accentuant la tension entre le Maroc et l’Algérie, qui relance la course aux armements et aux partenariats étrangers. Cette tension aura obligatoirement des répercussions sur la sécurité et la stabilité de la Mauritanie. Quant au Sahel, je crains qu’on y soit témoin, en 2023, d’une dégradation majeure de la situation sécuritaire avec l’avancée de l’EIGS, le développement de la menace vers le Sud et l’Ouest ainsi qu’une aggravation des conflits communautaires, sans compter l’exode des populations.

L’origine de la violence au Sahel, comme au Maghreb, réside dans l’injustice, l’inégalité et la mal gouvernance. Pour les terroristes, la religion n’est qu’un alibi fédérateur auquel ils ne comprennent souvent pas grand-chose. Ils sont mus essentiellement par la recherche de la moto, de la mitraillette et du groupe libérateur.

Le déviationnisme et la violence religieuse reculeront au fur et à mesure que la gouvernance s’améliorera, que les jeunes auront des perspectives dans leurs pays, que les populations se sentiront concernées par la gestion de leurs affaires, que la justice sera pour tous et l’égalité rétablie entre tous. L’État, dans ces contrées, ne doit pas se désintéresser de la gestion de la chose religieuse car, en terre d’islam, le spirituel et le temporel sont intimement liés.
Au regard de votre observation du terrain, quelles voies pourraient être empruntées pour en réduire le développement ?

Il s’agit de réduire le déviationnisme religieux et, partant, la violence et le terrorisme. Par ordre d’importance, je dirais qu’aucun État du Sahel ne peut, à lui seul, faire face au développement du terrorisme et de l’insécurité, d’où l’importance de la solidarité régionale et internationale. À cet égard, le renforcement et la redynamisation du G5 Sahel me paraissent d’une importance capitale, car il s’agit, jusqu’à présent, de la seule initiative crédible et couvrant les aspects sécuritaires et de développement. Malheureusement, cela ne semble pas être l’orientation actuelle des événements.

Ensuite, une gestion judicieuse des alliances et des partenariats me paraît nécessaire pour préserver la souveraineté des États, les intérêts des populations, et pour éviter à la région d’être un champ de confrontation entre puissances étrangères.

Il faut également allier un effort sécuritaire collectif, solidaire et soutenu, à l’amélioration de la gouvernance par des réformes de fond, un dialogue permanent et une décentralisation réelle, respectant la diversité et les spécificités. Enfin, cela doit être soutenu par un développement harmonieux équitablement réparti faisant un effort sur les infrastructures de base, la santé et l’enseignement adapté aux besoins de l’économie.

Comment pourraient évoluer, sur le plan sécuritaire, les alliances entre pays maghrébins et sahéliens, entre ceux-ci et l’Europe et les États-Unis, et avec des pays comme la Chine, l’Inde et la Russie ?

D’abord, au niveau du Maghreb, la situation actuelle ne laisse espérer aucune alliance sécuritaire dans la région. Au mieux pouvons-nous espérer des cas de coopération bilatérale ponctuelle. La prouesse serait d’éviter une confrontation directe ou indirecte.

Ensuite, entre pays sahéliens, le G5 Sahel est une initiative pertinente. Malheureusement, les contingences politiques et les appétits extérieurs, l’accueil froid par les institutions africaines préexistantes et le manque d’empressement de la solidarité internationale semblent le condamner à l’inaction. À défaut d’un regain d’intérêt et d’une volonté politique renouvelée au plus haut niveau, il risque tout simplement de disparaître dans les méandres de l’histoire.
Enfin, en ce qui concerne les liens entre pays sahéliens et diverses puissances mondiales, votre question me conforte dans ma vision d’un monde multipolaire qui se dessine sous nos yeux. L’Afrique, et particulièrement le Sahel, sont en marge, sinon à la périphérie de cette configuration. La richesse en matières premières, la faiblesse des États et les conflits larvés font de la région une terre de prédilection pour les convoitises et les affrontements entre puissances étrangères.

Mon souhait, en tant qu’Africain et Sahélien, est que nous en soyons suffisamment conscients pour tirer le maximum de profits des partenariats sans transformer notre région et notre continent en champ de bataille pour éléphants…

Source: Point.fr

 

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