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85e Session Ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : Esclavage par Ascendance et Terrorisme dans le Sahel, un lien méconnu

Lors de la 85e Session Ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples à Banjul, un événement parallèle a exploré un sujet crucial : le lien entre l’esclavage par ascendance et le terrorisme dans le Sahel. Un diagnostic alarmant sur les discriminations structurelles qui nourrissent la radicalisation.

85e Session Ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples , Banjul 21 octobre 2025
Quel est le lien entre l’Esclavage par Ascendance et le Terrorisme dans le Sahel ?
Événement parallèle organisé par le Forum Global des Communautés Discriminées sur la base du Travail et de l’Ascendance et Avocat sans Frontière Canada.
Par Cheikh Sidati Hamady
Expert Senior en droits des CDWD ( Gfod ), Chercheur associé Spécialiste des Discriminations Structurelles , Analyste et Essayiste
Lien entre l’Esclavage par ascendance et terroriste dans le Sahel : le cas du sud du Mali et d’autres zones sahéliennes.
Dans la région de Kayes, au sud-ouest du Mali, à la frontière avec la Mauritanie, un phénomène inquiétant se dessine : la vulnérabilité des communautés issues de l’esclavage par ascendance face au recrutement des groupes jihadistes. Longtemps réduits au silence par des hiérarchies sociales rigides, notamment dans certaines communautés soninké où les descendants d’esclaves étaient exclus des cercles décisionnels, ces groupes marginalisés deviennent aujourd’hui des cibles privilégiées pour la propagande extrémiste.
Les jihadistes exploitent à la fois le ressentiment social, la pauvreté, et l’humiliation historique. Dans certaines zones rurales de Kayes, des jeunes issus de familles anciennement serviles, privés d’accès à la terre, à la justice ou à l’éducation, trouvent dans les groupes armés une revanche symbolique et économique. Ces mouvements se présentent comme des pourfendeurs de l’ordre « injuste » imposé par les élites locales, tout en imposant à leur tour un nouvel ordre de domination idéologique et militaire. Les observateurs sur le terrain rapportent que plusieurs recruteurs jihadistes opèrent dans les villages frontaliers, notamment entre Diéma, Nioro et Yélimané, en profitant du vide sécuritaire et de la faiblesse des institutions locales (ISS Africa, 2023).

Une dynamique partagée dans tout le Sahel

Ce schéma se retrouve à travers le Sahel, où la fracture entre communautés dominantes et groupes subalternes nourrit le terreau du recrutement armé :
Au Niger, dans les zones de Tillabéri et Tahoua, les descendants d’esclaves peuls ou zarma, souvent exclus des structures coutumières, sont davantage exposés à la propagande des groupes liés à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), qui se présentent comme des vecteurs de justice sociale et religieuse (International Crisis Group, 2022).

Au Burkina Faso, plusieurs enquêtes de terrain montrent que les groupes armés exploitent les tensions intra-communautaires dans les zones rurales : les jeunes issus des castes inférieures ou d’anciens groupes serviles rejoignent les jihadistes par désespoir ou par vengeance (Timbuktu Institute – Bakary Sambe, 2023).

En Mauritanie, bien que la situation soit sous contrôle militaire, la marginalisation économique et sociale des communautés discriminées sur la base de l’ascendance dans les zones frontalières (comme le Guidimagha et le Hodh Gharbi et Chergui ) constitue un risque latent d’embrasement et d’infiltration idéologique (Africa DioM Center, 2024).

Le parallèle soudanais : les milices et l’exploitation des castes serviles

Au Soudan, notamment dans les régions du Kordofan et du Darfour, la guerre civile et la fragmentation ethnique ont aussi entraîné une instrumentalisation des hiérarchies sociales héritées de l’esclavage. Des milices ont été accusées d’utiliser les descendants d’esclaves ou de groupes serviles comme chair à canon, souvent sous prétexte de défendre la foi ou l’identité arabe. Les milices Janjawid et plus récemment les Forces de Soutien Rapide (FSR) ont reproduit des logiques de domination raciale et servile tout en se livrant à des pratiques assimilables à l’esclavage moderne, enrôlement forcé, travail contraint, exploitation sexuelle (UN Human Rights Council, 2023).
Le African Centre for Justice and Peace Studies (ACJPS) confirme dans son étude Militias, Slavery, and Identity in Sudan (2023) que la guerre a réactivé les logiques sociales issues de l’esclavage, montrant que les rapports de domination persistent à travers les conflits armés contemporains.

Une intersection entre mémoire servile et violences contemporaines

Le lien entre terrorisme et esclavage par ascendance est donc double :
Structurel , car les descendants d’esclaves sont historiquement exclus de la propriété foncière, de l’éducation et de la reconnaissance civique, créant des conditions de désespoir que les groupes armés exploitent.
Instrumental , car les organisations terroristes réutilisent les logiques esclavagistes : appropriation des corps, soumission par la peur, et marchandisation des individus à des fins militaires, sexuelles ou économiques (African Center for Strategic Studies, 2022).

Conclusion

La persistance de l’esclavage par ascendance dans le Sahel n’est pas seulement une question de mémoire historique, mais une faille sécuritaire et sociétale majeure. Tant que les inégalités héritées de ces structures hiérarchiques demeureront, les groupes extrémistes disposeront d’un vivier d’individus marginalisés prêts à se tourner vers la violence pour retrouver une dignité niée. La lutte contre le terrorisme doit donc intégrer une approche holistique, combinant justice sociale, inclusion économique et reconnaissance des victimes de l’esclavage historique.

Recommandations

Reconnaissance politique et juridique de la discrimination basée sur l’ascendance dans les législations nationales des pays sahéliens.
Programmes de réinsertion socio-économique ciblant les jeunes issus de communautés anciennement serviles, notamment dans les zones rurales marginalisées.
Renforcement des politiques éducatives et foncières pour corriger les inégalités structurelles.
Intégration des acteurs religieux et communautaires dans des campagnes de sensibilisation contre les discours extrémistes et esclavagistes.
Soutien accru aux think tanks africains tels que le Timbuktu Institute et l’Africa DioM Center, qui documentent et déconstruisent les logiques sociopolitiques de ces radicalisations.

Références

– ISS Africa, Conflict and Social Inequality in the Sahel, 2023.
International Crisis Group, Mali, Niger, Burkina Faso: Repenser la Lutte contre le Terrorisme au Sahel, 2022.
Timbuktu Institute – Bakary Sambe, Esclavage, hiérarchies sociales et radicalisation dans le Sahel, 2023.
Africa DioM Center, Justice sociale et inclusion dans le Sahel, 2024.
UN Human Rights Council, Report on Modern Forms of Slavery in Sudan and the Sahel, 2023.
African Center for Strategic Studies, Violence, Marginalisation and Radicalisation in the Sahel, 2022.

Cheikh Sidati Hamady – Expert Senior en droits des CDWD (GFOD), chercheur associé, analyste et essayiste

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