Coup de projecteurs sur la Déclaration du Ministre des Finances
La déclaration du ministre des Finances sur un "boom économique imminent" peine à convaincre une jeunesse mauritanienne confrontée au chômage, à l’exclusion sociale et au manque de perspectives. Analyse critique d’un discours politique en décalage avec la réalité.
Alors que le ministre des Finances promet dans sa declaration un avenir économique radieux et exhorte les jeunes à y croire plutôt qu’à l’exil, une autre réalité s’impose : celle d’une jeunesse marginalisée, confrontée à l’injustice sociale, au chômage de masse et à l’oubli politique. Dans cette tribune, Cheikh Sidati Hamadi, chercheur associé et expert senior en droits des CDWD, décrypte le décalage criant entre promesses officielles et quotidien désenchanté, interrogeant la crédibilité d’un modèle de développement qui peine à inclure tous les citoyens.
Le mirage du boom économique : quand la parole politique se heurte aux fractures d’une jeunesse oubliée
Par Cheikh Sidati Hamadi
Chercheur associé, Expert Senior en Droits des CDWD, Analyste, Essayiste
Il est des mots qui frappent par ileur assurance, mais résonnent douloureusement quand on gratte la surface. Lorsque le ministre des Finances annonce un « prochain boom économique » et exhorte la jeunesse à s’y préparer en renonçant à l’immigration, il s’inscrit dans une rhétorique trop connue en Mauritanie : celle des lendemains radieux toujours promis, mais sans cesse différés. Cette déclaration, au-delà de sa dimension symbolique, révèle surtout la profondeur du fossé entre le discours politique et la réalité sociale vécue, notamment par les jeunes issus des communautés discriminées sur la base du travail et de l’ascendance (CDWD). Car la jeunesse n’émigre pas par caprice : elle s’exile faute d’horizons. Et ce qui lui manque, ce n’est pas la foi dans l’avenir, mais la confiance dans un système qui tarde à tenir ses promesses, malgré les cadres stratégiques et plans nationaux élaborés depuis deux décennies.
Des chiffres qui parlent plus fort que les slogans :
Les données de l’ANSADE (2024) sont implacables : le chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans atteint 31,8 %, et dépasse 40 % dans certaines régions rurales ou quartiers périphériques[^1]. Près de 45 % des jeunes actifs se trouvent dans l’informel ou le sous-emploi, sans protection sociale ni perspectives d’évolution[^2]. Ces chiffres reflètent un échec collectif, mais surtout l’incapacité des politiques publiques, y compris du cadre phare qu’est la SCAPP (Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée, 2016-2030), à traduire les ambitions affichées en résultats tangibles. Conçu pour réduire la pauvreté et promouvoir l’inclusion, la SCAPP avait fixé des objectifs ambitieux : croissance inclusive, diversification de l’économie, justice sociale. Pourtant, huit ans après son lancement, la pauvreté monétaire stagne autour de 28,2 % selon l’ANSADE[^1], et les inégalités territoriales et sociales demeurent criantes, comme le confirment les rapports du HCDH[^3].
Une croissance sans redistribution :
Certes, la Mauritanie mise aujourd’hui sur l’exploitation du gaz offshore Grand Tortue Ahmeyim. Le FMI projette une croissance pouvant dépasser +6 % à l’horizon 2025-2026[^4]. Mais l’histoire économique du pays enseigne que ces rentes minières et gazières, sans mécanismes clairs de redistribution et d’investissement productif, alimentent d’abord les circuits fermés de l’économie de rente, profitant à une minorité connectée et laissant la majorité en marge. Le Rapport sur le développement humain du PNUD (2023) classe la Mauritanie au 158ᵉ rang mondial, avec un indice de développement humain de 0,546[^5]. Ces chiffres ne traduisent pas seulement un retard, mais surtout l’incapacité à transformer la croissance en progrès partagé, objectif même de la SCAPP.
L’émigration comme symptôme d’un échec systémique :
Entre 2018 et 2022, environ 8 000 jeunes Mauritaniens ont été recensés par l’OIM et Frontex sur les routes migratoires vers l’Europe[^6]. Ces départs massifs ne sont pas motivés par l’attrait d’un ailleurs idéalisé, mais par la conviction que les voies nationales de promotion sociale sont verrouillées. La Mauritanie est classée 130ᵉ sur 180 à l’Indice de perception de la corruption (Transparency International, 2023)[^7]. Cette réalité nourrit l’idée, largement partagée chez les jeunes, que le mérite ne suffit pas, et que la réussite dépend d’abord des réseaux familiaux et des clientélismes.
Ce que réclame la jeunesse : des réformes concrètes
La jeunesse ne demande pas un discours plus optimiste, mais un système plus juste et plus efficace. Cela suppose :
Réformer le système éducatif et la formation professionnelle, pour les aligner aux besoins du marché et corriger les inégalités territoriales et sociales, comme prévu mais non réalisé par la SCAPP ;
Mettre en place des mesures spécifiques et vérifiables d’inclusion des jeunes CDWD et des régions marginalisées (quotas transparents, accès au crédit, soutien ciblé aux PME) ;
Lutter efficacement contre la corruption et le népotisme, en instaurant la transparence des concours publics et des marchés ;
Diversifier réellement l’économie pour réduire la dépendance aux matières premières et développer les secteurs créateurs d’emplois, notamment l’agriculture, l’artisanat, la pêche, et les services qui emploient déjà plus de 60 % des jeunes actifs[^8] ;
Promouvoir l’épanouissement culturel, sportif et citoyen des jeunes, indispensable pour reconstruire confiance et sentiment d’appartenance ;
Évaluer de manière indépendante et publique la mise en œuvre de la SCAPP, pour identifier ses limites et adapter ses objectifs.
Conclusion :
reconstruire la confiance, pas seulement annoncer des chiffres
Promettre un avenir meilleur est légitime et nécessaire, mais cela n’a de sens que si l’on commence par reconnaître l’échec partiel ou total de ce qui était prévu hier, comme la SCAPP, et par en tirer des leçons claires. La jeunesse mauritanienne n’a pas besoin qu’on lui demande de patienter encore ; elle attend des signes de rupture : une gouvernance plus transparente, des politiques inclusives, des espaces pour s’épanouir, et un présent plus juste. Car la prospérité partagée ne doit plus rester une formule bureaucratique, mais devenir une réalité perceptible pour ceux qui, aujourd’hui, hésitent entre rester et partir.
📊 Références
[^1]: ANSADE, Enquête nationale sur l’emploi et le chômage des jeunes, Nouakchott, 2024.
[^2]: PNUD, Rapport sur l’emploi des jeunes en Afrique du Nord, 2023.
[^3]: HCDH, Rapport A/HRC/48/58, 2021.
[^4]: FMI, Rapport Article IV Mauritanie, 2023.
[^5]: PNUD, Rapport sur le développement humain, 2023.
[^6]: OIM & Frontex, Statistiques migratoires Mauritanie 2018-2022.
[^7]: Transparency International, Indice de perception de la corruption, 2023.
[^8]: Banque africaine de développement, Stratégie pour l’emploi des jeunes en Afrique, 2023.