Afrique de l’Ouest: la migration des poissons affaiblit la filière pèche dans la région
Afrique de l’Ouest: la migration des poissons affaiblit la filière pèche dans la région
Dakar — Une étude réalisée par des chercheurs du Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye (CRODT-ISRA) et de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), montre que les ressources halieutiques en Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal et en Mauritanie migrent vers le Nord sous l’effet pervers du réchauffement climatique.
Selon Abdoulaye SARR du CRODT-ISRA, principal auteur de l’étude, il s’est agi « de comprendre la dynamique des petits pélagiques qui sont d’une importance capitale dans la région. On sait qu’au Sénégal par exemple, les sardinelles rondes contribuent énormément à la sécurité alimentaire car, elles sont très liées au plat principal qu’est le thiebou dieune ».
Interrogé par SciDev.Net, Abdoulaye Sarr affirme que les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu’il y a « un réchauffement exceptionnel au niveau de la région, le réchauffement le plus important parmi toutes les régions tropicales du monde. »
Il faudrait trouver des mesures de reconversion qui vont pousser les acteurs de la pêche vers d’autres métiers. Si la pêche n’est plus rentable et que les pêcheurs continuent à racler le fond marin, c’est la sécurité alimentaire qui peut être menacée – Abdoulaye Ndiaye, pêcheur, CoNaPeD, Sénégal
Selon ce dernier, l’étude a ainsi permis de constater un déplacement du centre de gravité des biomasses de sardinelles rondes et de plusieurs autres petits pélagiques qui, d’après les chercheurs, constituent jusqu’à 80% de la production en Afrique de l’Ouest.
Cela se combine, renchérit Patrice Brehmer, écologue des pêches et chercheur à l’IRD, à « des problèmes de gouvernance, à des problèmes de surexploitation récurrente, ce qui fait que maintenant, la ressource halieutique est confrontée à une situation extrêmement préoccupante ».
En clair, les espèces de poissons telles que les sardinelles rondes ou encore les petits pélagiques deviennent de plus en plus rares sur les côtes sénégalaises et mauritaniennes parce qu’elles migrent vers d’autres zones plus favorables.
« Dans les profondeurs d’eau où on trouvait certains poissons, maintenant tu peux y aller et tu ne trouves même pas ces espèces. On trouve d’autres espèces qu’on ne retrouvait pas dans ces profondeurs d’eau », témoigne Abdoulaye Ndiaye, pêcheur artisan sénégalais et secrétaire national de la Coalition nationale pour une pêche durable (CoNaPeD).
« Cela montre effectivement qu’on a un changement même dans le comportement de ces poissons, dans leur façon de se déplacer depuis quelques années. Certains poissons qu’on ne voyait que pendant l’hivernage, maintenant on peut les voir dans la période sèche et vice versa », ajoute l’intéressé.
Bara Dème est chercheur au Centre de gouvernance Blue de l’université de Portsmouth (Angleterre) et n’a pas pris part à l’étude. Fort de ses dizaines d’années d’expérience en matière de gouvernance durable des pêcheries artisanales en Afrique de l’Ouest, il précise que « cette migration-là est particulièrement observée chez les petits pélagiques qui sont les espèces les plus sensibles aux changements de température de l’eau ».
Conséquences
A en croire ce dernier, le changement climatique altère les écosystèmes de mangrove et les écosystèmes d’herbiers marins qui jouent le rôle de zone d’alimentation pour ces poissons pélagiques.
En général, fait savoir la même source, « ces écosystèmes constituent les corridors migratoires et lorsque ces habitats sont altérés également, comme moyens de résilience, les espèces pélagiques essayent d’aller vers des zones qui présentent des habitats et des écosystèmes en meilleure santé ».
Le pêcheur Abdoulaye Ndiaye affirme que cette situation a d’ores et déjà des conséquences sur les communautés côtières et en particulier sur les pêcheurs. « Il y a beaucoup de désagréments qu’on a pu constater avec ces changements qui ont eu lieu ces dernières années », dit-il. Précisant que les zones de pêches sont devenues très éloignées et que la taille des poissons n’est plus comme elle était auparavant.
En outre, « lorsque ces espèces se raréfient sur le marché, cela compromet la disponibilité de la matière première pour les femmes transformatrices », se désole Bara Dème.
Inutile de préciser que cette situation entraîne des conséquences socioéconomiques à ne pas négliger, à l’instar de la baisse des revenus de l’ensemble des acteurs de cette filière.
Pour Patrice Brehmer cette étude se justifie aussi par l’existence de peu de travaux scientifiques sur l’impact des changements climatiques sur les organismes marins. « On a donc une première étude qui met tout d’abord en exergue ce réchauffement climatique jamais vu par ailleurs, et puis ses impacts », explique-t-il.
Face à ce problème, les auteurs de l’étude préconisent la lutte contre le réchauffement climatique. Patrice Brehmer souligne ainsi la nécessité pour les États de respecter les engagements pris lors des COP[1], en particulier les Contributions déterminées au niveau national (NDC).
Audit
De plus, il recommande d’harmoniser les mesures de gestion de la pêche, en les rendant plus explicites et co-construites avec les pêcheurs, afin de résoudre les problèmes liés à l’effondrement des stocks de petits pélagiques en Mauritanie et au Sénégal, pays au coeur de l’étude.
Bara Dème pour sa part pense que dans un contexte de surexploitation des ressources halieutiques, il faudra essayer de stopper la transformation des petits pélagiques en farine de poisson pour que l’essentiel de la production alimente le marché local.
A cela, il ajoute la nécessité de prendre des mesures pour réduire les pertes post-capture et de travailler à l’harmonisation des es législations nationales pour qu’elles prennent en compte les aspects liés à la pêche migrante.
« Un audit de la pêche sénégalaise s’impose! » Lance pour sa part Abdoulaye Ndiaye de la CoNaPeD qui estime que l’État doit mettre en oeuvre des mesures d’atténuations des effets du changement climatique.
« Il faudrait trouver des mesures de reconversion qui vont pousser les acteurs de la pêche vers d’autres métiers. Si la pêche n’est plus rentable et que les pêcheurs continuent à racler le fond marin, c’est la sécurité alimentaire qui peut être menacée », analyse-t-il.
Dans un communiqué daté du 25 juillet 2024, le ministère sénégalais de la Pêche, des infrastructures maritimes et portuaires a annoncé qu’il commencera à publier les chiffres relatives à sa lutte contre la pêche Illicite pour protéger les ressources halieutiques des eaux sénégalaises. En mai 2024 déjà, la liste des navires autorisés à pêcher dans les eaux sénégalaises avait été publiée…
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SourceURL: allafrica