Présidentielle 2024, triste fin politique pour les leaders historiques de l’opposition

Présidentielle 2024, triste fin politique pour les leaders historiques de l’opposition

La présidentielle 2024, par-delà la ferveur des candidats en lice et les enjeux imporgtants qu’elle comporte, marque la fin d’une histoire. Il s’agit de la saga historique d’un groupe de leaders politiques qui ont toujours incarné aux yeux des Mauritaniens des symboles de lutte et de sacrifice contre les différents régimes militaro-civils qui se sont succédés depuis plus trente ans à la tête du pays. Le ralliement d’Ahmed Ould Daddah, de Messaoud Ould Boulkheïr, de Jemil Mansour, et d’autres, au camp du président sortant, Mohamed Cheikh Ghazouani, a constitué un véritable coup de massue pour ceux-là qui croyaient encore au vertu de la fidélité à certaines valeurs morales.

Notamment celles que la voix populaire pensait avoir scellé avec ceux qu’elle considérait jusqu’à hier, comme les véritables porteurs de sa délivrance, à travers un pacte qu’elle croyait immuable pour le changement du système de prédation et de gouvernance tribale contre lequel ils ont usé leurs dernières années de combat et devant lequel ils ont finalement abdiqué.

Le RFD se déchire devant une sorte de trahison

Leader historique de l’opposition des années 90, Ahmed Ould Daddah, ancien ministre des Finances dans le gouvernement de son grand frère, Mokhtar Ould Daddah, renversé en 1978, puis cadre à la Banque Mondiale durant son long exil, a incarné pendant des années l’espoir de tout un peuple.

Son emprisonnement à Boumdeid au début du processus démocratique, puis la voix de l’opposition qu’il porta sur les fonds baptismaux, allaient lui donner une aura qui dépassa les frontières.

Mais les années à venir allaient prouver que si Ahmed Ould Daddah pouvait être un excellent économiste, il était par contre un piètre connaisseur politique. Il a multiplié en effet les erreurs durant cette carrière dont il a voulu faire un sacerdoce sans en maîtriser les méandres boueux, lui, l’homme honnête de par sa nature qui comptait jouer en Saint dans un marigot fangeux où seuls les crocodiles les plus tenaces pouvaient tenir le coup.

De par ses choix stratégiques désastreux qui l’ont conduit à des boycotts hémorragiques, il a ainsi aligné les défaites électorales en trois ou quatre présidentielles. En 2007, avec la transition sous le défunt Ely Ould Mohamed Vall, il a frôlé le succès, avant de perdre toute sa crédibilité, lorsqu’il rallia Mohamed Abdel Aziz, le tombeur de son adversaire, le défunt Sidi Ould Cheikh Abdallahi en 2009 par coup d’Etat.

Certains soutiendront qu’il pensait que Mohamed Ould Abdel Aziz allait lui ouvrir le chemin vers la présidence, après qu’il ait justifié le coup d’Etat que ce dernier venait de perpétrer contre son ex-collègue de gouvernement et premier président démocratiquement élu en Mauritanie.

Pendant les dix ans de règne de Mohamed Abdel Aziz, Ahmed Ould Daddah et son parti, le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) se sont illustrés par un silence abyssal face aux souffrances que le peuple mauritanien endurait en termes de pillages de ses richesses, de contrats léonins accordés à des entreprises internationales, d’emprisonnements d’opposants politiques, d’hommes d’affaires, de journalistes, d’activistes de la société civile. Drôle de comportement d’un opposant politique.

Avec l’avènement de Mohamed Cheikh Ghazouani, Ahmed Daddah qui avait déjà un genou à terre devant Ould Abdel Aziz, mit carrément les deux genoux à terre devant Ould Ghazouani. Il eut droit à des nominations juteuses au profit de certains collaborateurs, comme Mohamed Mahmoud Ould Lematt, bombardé chargé de mission à la présidence de la République et d’autres de son entourage.

Aussi, peu de gens furent moins surpris quand Ahmed Ould Daddah annonça son soutien à la candidature de Ghazouani pour un second mandat. Un choix qui allait provoquer la dissension de plus des deux tiers du bureau exécutif du RFD. Ces dissidents ont estimé que Ahmed Ould Daddah et la poignée d’opportunistes qui l’entourait avaient trahi la ligne directrice du parti, historiquement ancré dans l’opposition au pouvoir en place.

Messaoud Oud Boulkheïr, une cohabitation bien conservée

Depuis qu’il a été coopté président de l’Assemblée Nationale, aux lendemains de la victoire du camp de Feu Sidi Ould Cheikh Abdallahi qu’il soutint lors de son deuxième tour face à Ahmed Ould Daddah lors de la présidentielle de 2007, Messaoud Ould Boulkheïr s’est assagi, alors que sa voix de stentor au sein de l’opposition démocratique résonnait sur l’arène politique depuis les années 90. Premier hartani gouverneur en 1981 puis ministre du Développement Rural en 1984 sous Maaouiya, Messaoud avait à ses débuts politiques la rudesse des cowboys du Nevada, franchise, courage, engagement et abnégation
Messaoud Ould Boulkheïr incarnait la lutte contre les injustices et contre l’esclavage, devenant en quelques années l’espoir de milliers de déshérités et de laissés pour compte. Il fut farouchement combattu par le régime de Maaouiya qui lui interdira coup sur coup deux formations politiques qu’il dirigeait pour l’écarter définitivement de toute compétition électorale, tellement la masse populaire qu’il drainait menaçait son pouvoir.

Débouté de ses deux partis, Action pour le Changement (AC) dissout, puis Coalition pour le Changement (CC), non reconnu, Messaoud et ses compagnons sont poussés vers une formation politique d’obédience nassériste, l’Alliance Populaire Progressiste (APP) pour tuer son combat. Autant le parti APP qui n’avait aucune audience ni aucun élu avait besoin de Messaoud pour engranger des sièges, autant Messaoud avait besoin de l’APP pour trouver une couverture politique qui lui permettra de se présenter à des élections.

Depuis lors, Messaoud a baissé de ton, devint moins virulent, sauf à de rares occasions, avant de finir dans l’escarcelle des militaires qui lui promirent la présidence de l’Assemblée nationale en contrepartie de son soutien à Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Celui-ci faisait face à Ahmed Ould Daddah, dans un deuxième tour fatidique, lors d’une présidentielle de 2007 cruciale pour le maintien du système militaro-civil, d’autant qu’il s’agissait d’une élection réellement libre et transparente, sans possibilité de gagner autrement que par les urnes.

Messaoud s’illustrera notamment durant la courte vacance du pouvoir suite à la blessure et l’hospitalisation de Mohamed Abdel Aziz à Paris en 2012. Il contribua au maintien des institutions, alors que des remous de coup d’Etat couraient les rues. Il organisa une conférence de presse pour informer l’opinion qu’il avait parlé au président qui se porte mieux et que « rien ne doit lézarder le front intérieur dans un contexte sous-régional agité et incertain »

Puis, après sept années président de la chambre basse, Messaoud Ould Boulkheir fut recasé président du Conseil économique et social. Une sinécure qu’il conserve à nos jours. Ce qui en fait un pion du pouvoir avec un budget de plus de 300 millions d’ouguiyas qu’il gère librement.
Rien d’étonnant alors s’il juge que pour garder ses privilèges, le soutien au pouvoir de Mohamed Cheikh Ghazouani est pour lui la meilleure garantie.

Seulement, le parti APP est aujourd’hui disloqué par les dissensions, avec le départ de plusieurs vieux compagnons de lutte, à l’image de Ladji Traoré, qui tiennent à leur ligne de conduite ancrée dans l’opposition pure et dure.

Mohamed Jemil Mansour, l’islamiste embourgeoisé

Il fut au summum de son aura politique lorsqu’il présida aux destinées du parti islamiste, Tewassoul. Mohamed Jemil Mansour fut un charismatique leader dont la tumultueuse vie politique a connu des hauts et des bas, avant qu’il ne rallie avec armes et bagages le pouvoir de Mohamed Ould Cheikh Ghazouani. Il paraît que dans ses ultimes gestes de survie, il ait succombé aux sirènes du pouvoir par affinité idéologique d’abord, parce que Ould Ghazouani aurait des penchants islamistes et secundo, son fils enfin casé au sein des institutions publiques.

Pourtant, Mohamed Jemil Mansour a caracolé pendant plusieurs décennies au sein du groupe de tête des opposants radicaux et endurcis. Il connut la prison, et l’exil politique. Il fut surtout l’icône de la jeunesse islamiste mauritanienne. Ses discours en ont enflammé plus d’un quant au triomphe de l’islamisme politique dans le pays.

Mohamed Jemil Mansour qui a quitté il y a plusieurs années la présidence de Tawassoul après deux mandats consécutifs conformément aux statuts du parti, cherche aujourd’hui à se relancer sur la scène politique à travers une formation en gestation, quitte à affaiblir selon certains le camp islamiste. Mais aussi celui de l’opposition, tout court.

Cheikh Aïdara

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