Chronique d’une ville qui s’efface : quand les jeunes regardent vers l’Atlantique et les femmes vers Nouakchott
Chronique d’une ville qui s’efface : quand les jeunes regardent vers l’Atlantique et les femmes vers Nouakchott
Dans cette petite ville de l’intérieur mauritanien, le silence a pris des allures de bande sonore. Les rues, autrefois animées par les éclats des jeunes jouant au football sur le sable ou par les cris des marchands de légumes, résonnent désormais d’une absence. Les garçons, à peine majeurs, n’y rêvent plus de commerce ni de travail local. Leurs horizons sont ailleurs, brouillés par les vagues et les promesses, du côté des Canaries. Là-bas, au-delà de la mer, ils imaginent des vies meilleures, loin de la routine étouffante et des frustrations accumulées.
Les femmes, elles, prennent un autre chemin. Divorcées, souvent jeunes mères, elles partent vers Nouakchott. La capitale devient pour elles un refuge et une prison à la fois : refuge parce qu’elle offre des opportunités – commerce de proximité, travail domestique, petits métiers informels – mais prison, car elle concentre aussi la précarité, l’isolement et la lutte quotidienne pour la survie.
Un pays sous respiration artificielle
Si cette ville se vide de sa jeunesse et de ses femmes, c’est parce que la Mauritanie vit sous respiration artificielle. Son économie est suspendue à des piliers fragiles : le fer, le gaz, la pêche. Des ressources qui nourrissent les caisses de l’État mais pas forcément les foyers. La manne minière et halieutique s’exporte, se compte en devises, mais elle laisse les quartiers populaires dans la poussière.
À ces fragilités structurelles s’ajoutent les coups de boutoir du climat. Sécheresses, pluies imprévisibles, sols appauvris : l’agriculture et l’élevage, qui devraient être des moteurs de stabilité et d’emploi, végètent faute d’investissements et de politiques audacieuses. Les jeunes, exclus de ces secteurs, n’ont plus que l’océan comme ultime horizon.
Un pays jeune, mais sans avenir ?
Près de sept Mauritaniens sur dix ont moins de 30 ans. Mais ce capital démographique se transforme en fardeau quand l’État ne parvient pas à offrir des perspectives. Les inégalités de richesse, la dette extérieure qui bride les marges budgétaires, la faiblesse de la collecte fiscale – gangrenée par l’économie informelle – composent un cocktail explosif. Résultat : une jeunesse sans emploi, sans revenu, sans projet.
« Ici, soit tu attends un contrat de pêche qui ne viendra jamais, soit tu prends la pirogue », lâche sèchement un jeune du quartier. Son regard s’accroche à l’horizon marin, déjà ailleurs.
Chronique d’un effacement
Cette ville raconte en creux l’histoire d’un pays pris entre l’illusion de la rente extractive et l’urgence de diversifier son avenir. Elle raconte aussi la lassitude de ses habitants, partagés entre l’exil maritime et l’exil intérieur. Les Canaries et Nouakchott deviennent les pôles aimantés de deux trajectoires parallèles : celle des jeunes hommes en quête d’ailleurs, celle des femmes en quête d’autonomie.
La chronique, au fond, est celle d’une lente disparition : disparition d’une génération qui ne croit plus aux promesses politiques, disparition d’un tissu social qui se délite, disparition d’une ville qui se vide.
Et pourtant, derrière les regards fatigués et les rêves fracassés, persiste une question obsédante : combien de temps un pays peut-il survivre en regardant ses enfants s’en aller ?
Rapide info