Unité nationale en Mauritanie : unité, diversité ethnique et impasse identitaire
Entre unité nationale et reconnaissance de la diversité, la Mauritanie fait face à une crise identitaire profonde. Analyse des thèses opposées et voie de sortie réaliste.

Unité nationale en Mauritanie
Mauritanie : entre unité introuvable et pluralité refusée – pour une voie mauritanienne de la cohésion nationale
Par-delà les anathèmes, relire l’histoire pour éviter l’avenir du pire.
La Mauritanie traverse, une fois encore, l’un de ces débats cycliques qui surgissent lorsque l’identité nationale, mal digérée, revient frapper à la porte de l’État. La confrontation intellectuelle récente entre Ely Ould Sneiba et ses contradicteurs – notamment Gourmo Lô – ne relève pas d’un simple échange d’opinions. Elle met à nu une fracture ancienne, structurelle, que ni l’autoritarisme d’hier ni les dialogues politiques d’aujourd’hui n’ont su résorber.
Deux visions s’affrontent, irréconciliables en apparence, mais également incomplètes lorsqu’elles se prétendent exclusives.
La thèse de l’État unitaire assimilationniste : une peur du morcellement
Pour Ely Ould Sneiba, la question est claire : la Mauritanie ne survivra que comme État unitaire, linguistiquement et symboliquement structuré autour de l’arabité et de l’islam, à l’image du modèle républicain français. À ses yeux, le multilinguisme institutionnalisé, les revendications identitaires négro-mauritaniennes et le discours sur l’État multinational constituent une pente dangereuse vers la fragmentation ethnique, à la rwandaise ou à la yougoslave.
Cette thèse repose sur plusieurs piliers :
- la langue arabe comme socle unificateur et non simple outil de communication ;
- l’islam comme référent civilisationnel commun, même s’il dépasse les frontières mauritaniennes ;
- la conviction que le particularisme pulaar, nourri par des relais sénégalais, entrave l’intégration nationale ;
- le rejet du communautarisme comme poison lent de l’État.
Cette vision a une cohérence interne. Elle exprime une angoisse légitime de la dislocation, nourrie par les traumatismes de 1966, 1986, 1989 et par l’effondrement de plusieurs États africains bâtis sur des compromis identitaires mal stabilisés.
Mais elle pèche par un aveuglement majeur.
La thèse pluraliste : la négation du réel comme suicide politique
La réponse de Gourmo Lô et d’autres intellectuels négro-mauritaniens s’appuie sur un rappel fondamental : la Mauritanie n’a jamais été mono-ethnique, ni dans son histoire longue, ni dans la pensée de son fondateur.
Les mots de Mokhtar Ould Daddah sont sans ambiguïté :
« Aucun dirigeant mauritanien ne peut ignorer la composition bi-ethnique du pays sans mettre en cause son existence même. »
Cette thèse insiste sur plusieurs évidences historiques et géopolitiques :
- les Peuls, Soninkés et Wolofs ne sont pas des “flux étrangers”, mais des cohéritiers des empires sahéliens ;
- l’unité nationale ne peut être fondée sur la négation culturelle d’une partie de la population ;
- l’intégration ne signifie pas l’effacement ;
- la Mauritanie doit assumer son rôle de trait d’union arabo-africain, sous peine de perdre son ancrage stratégique dans le Sahel.
Cette vision est, elle aussi, fondée. Elle rappelle que l’unité imposée sans reconnaissance mène à la violence, et que l’assimilation forcée n’est jamais une solution durable.
Mais elle comporte également ses zones d’ombre.
Le piège commun : confondre reconnaissance et partage ethnique de l’État
Là où les deux camps se rejoignent dans l’erreur, c’est lorsqu’ils laissent croire que l’alternative se réduit à un choix binaire :
- soit l’uniformité arabo-islamique,
- soit un État multinational structuré sur des bases ethno-linguistiques.
Or, la Mauritanie ne peut survivre ni comme État monolithique ni comme fédération ethnique.
L’expérience africaine est sans appel :
les États qui ont institutionnalisé l’ethnie comme principe de gouvernance ont souvent préparé leur propre implosion.
De même, l’illusion assimilationniste, lorsqu’elle ignore les réalités sociolinguistiques, fabrique de la frustration, de l’humiliation symbolique et, à terme, de la radicalisation.
Pour une position juste : la voie mauritanienne
La seule issue viable réside dans une troisième voie, spécifiquement mauritanienne, qui repose sur quatre principes clairs :
1. Un État unitaire, non ethnique
La Mauritanie ne doit pas devenir un État multinational, binational ou racialement paritaire.
L’État doit rester neutre ethniquement, indivisible et souverain.
2. Une langue officielle forte, mais une politique linguistique inclusive
L’arabe peut rester la langue officielle et de souveraineté, sans être une arme de domination culturelle.
Cela implique :
- un effort massif de traduction, de pédagogie et d’enseignement multilingue de transition ;
- la reconnaissance réelle (et non symbolique) des langues nationales comme patrimoine vivant.
3. L’islam comme socle éthique, non comme instrument identitaire
L’islam ne peut être brandi comme substitut à une politique nationale cohérente.
Il unit spirituellement, mais ne résout pas à lui seul les fractures sociales, linguistiques et mémorielles.
4. Une mémoire nationale partagée
Sans reconnaissance officielle des injustices passées, sans vérité historique assumée, aucun projet national ne tiendra.
Ni la négation, ni l’exploitation mémorielle ne doivent guider l’avenir.
Conclusion : choisir la lucidité plutôt que la peur
La Mauritanie n’est ni un accident colonial, ni une juxtaposition artificielle de peuples incompatibles.
Elle est une construction fragile, née d’une histoire complexe, à la croisée de deux mondes.
Vouloir la réduire à une seule de ses dimensions, arabe ou négro-africaine, revient à lui retirer une partie de son souffle vital.
Mais vouloir la dissoudre dans un partage ethnique du pouvoir serait tout aussi fatal.
La cohésion nationale mauritanienne ne naîtra ni de l’uniformité forcée, ni du communautarisme revendicatif, mais d’un État juste, ferme dans son unité, généreux dans sa reconnaissance, et lucide sur son histoire.
C’est à ce prix seulement que la Mauritanie cessera de survivre dans la crispation pour enfin exister dans la concorde.
Ahmed Ould Bettar



