Sahara occidental : un processus d’autodétermination au défi de la realpolitik
Sahara occidental : un processus d’autodétermination au défi de la realpolitik.
Le processus d’autodétermination pour le Sahara occidental, soutenu par les Nations unies et réclamé par le Front Polisario, continue de se heurter aux victoires diplomatiques du Maroc, désormais appuyé par un nombre croissant de puissances et acteurs internationaux. Victoires qui de surcroît, exacerbent les tensions avec l’Algérie, principal soutien du mouvement indépendantiste sahraoui.
Entre les aspirations d’indépendance du Front Polisario et les ambitions du Maroc d’affirmer sa souveraineté sur ce territoire, le conflit au Sahara occidental demeure après quatre décennies, toujours en attente d’un dénouement. Si sur le terrain Rabat est parvenue à asseoir sa domination sur la majeure partie du territoire, la question continue de préoccuper les institutions internationales et les diplomaties.
En raison du retour imminent de Donald Trump aux affaires, prévu le 20 janvier prochain, l’évolution à moyen terme de ce conflit, rouvert depuis la rupture du cessez-le-feu en novembre 2020, soulève des incertitudes.
Un droit international sans autorité
Le processus d’autodétermination pour le Sahara occidental demeure en suspens. La MINURSO créée en 1991 et dont le mandat est reconduit chaque année par le Conseil de sécurité de l’ONU, peine à accomplir sa mission. Le 31 octobre dernier, l’Algérie qui y siège comme membre non-permanent, a refusé de voter la résolution 2756 (2024), estimant celle-ci trop favorable au Maroc. Elle souhaitait y intégrer des amendements conférant à la MINURSO des compétences en matière d’observation des droits de l’Homme dans les territoires annexés, mais ces derniers ont été ignorés par le porte-plume américain. De plus, les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité ces dernières années, insistent davantage sur la tenue de négociations entre le Front Polisario, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, sans mentionner le référendum comme unique solution. Chose à laquelle se refuse Alger, qui estime vaines d’avance de telles négociations si le Maroc n’accepte pas au préalable l’éventualité d’une autodétermination des sahraouis. De son côté, le Maroc refuse de négocier directement avec le Front Polisario, qu’il considère complètement inféodé à l’Algérie et à qui il nie la nature de mouvement de libération – lui préférant l’appellation de « milice séparatiste ». Quant à l’envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara occidental, Staffan de Mistura, il se heurte au refus des deux parties de faire des concessions. Sa dernière proposition suggérant une partition du Sahara occidental en deux zones administrées distinctement, a été rejetée en bloc par le Front Polisario et la diplomatie marocaine. Pour les indépendantistes il n’est pas question de renoncer à un droit qui leur est reconnu applicable, et le Maroc refuse d’abandonner ce qu’il a acquis en plusieurs décennies, par la force et au prix de sacrifices militaires et financiers.
En octobre 2024, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a confirmé en deuxième instance, l’annulation de deux accords UE-Maroc en matière agricole et de pêche. La juridiction a également exigé que l’étiquetage des melons et tomates récoltés au Sahara occidental « doit mentionner ce territoire en tant que pays d’origine et non le Maroc ». Le principal argument avancé par la cour concerne l’autodétermination du peuple sahraoui et l’absence de consultation de ce dernier par le Maroc. En 2016, la CJUE avait déjà annulé en première instance des accords similaires pour les mêmes motifs. Après ce premier jugement, l’UE et le Maroc ont fait en sorte d’adapter les accords litigieux de sorte à contourner les restrictions imposées. En 2019, de nouveaux accords en la matière sont signés, toujours en violation du droit international. Ces derniers ont été annulés en première instance en 2021, puis en dernière instance l’automne passé. Les réactions aux décisions de la CJUE mettent en évidence une dualité entre les instances juridiques et les acteurs politiques européens, qui, eux, voient dans le Maroc un partenaire stratégique à soutenir. Certains partis et personnalités politiques sur le vieux continent, ont publiquement fustigé cet ultime jugement. La diplomatie française a quant à elle publié un communiqué dans lequel elle prend simplement note de celui-ci, et réaffirme sa volonté d’accompagner le Maroc dans le développement du Sahara occidental.
Le Maroc mis en confiance
Renforcé par des soutiens internationaux croissants, le Maroc semble plus que jamais en confiance dans son positionnement. Cela se ressent notamment dans le changement de ton du roi et de la diplomatie marocaine à l’égard d’Alger. Lors du dernier discours royal pour le 49e anniversaire de la Marche verte, Mohammed VI n’a pas tendu de main à l’Algérie et l’a indirectement accusée d’instrumentaliser la question saharienne pour masquer des difficultés internes. Dans un discours devant le Parlement marocain, Nasser Bourita a pour la première fois, laissé planer le spectre d’une possible guerre avec l’Algérie qu’il accuse de « chercher l’escalade et la confrontation ». De plus, le Maroc ne s’est pas senti concerné par le jugement de la CJUE, et est allé jusqu’à demander à ses partenaires européens de respecter leurs engagements à son égard. Malgré les divers jugements rendus, les États européens sont de plus en plus nombreux à soutenir le plan d’autonomie marocain et à investir dans les territoires annexés du Sahara occidental. Le Maroc accorde des facilités d’investissement dans ses « provinces du sud », de sorte à encourager les opérateurs économiques à travers le monde, à y developper des infrastructures et activités. Pour l’ONG Western Sahara Ressource Watch (WSRW), le Maroc passe par le commerce et l’exploitation des ressources sahariennes, pour banaliser son occupation illégal d’un territoire. Le dernier État en date à avoir franchi le cap est la France. Bien qu’elle fut la première, en 2007, à reconnaitre la crédibilité du plan d’autonomie proposé par Rabat et qu’elle appuyait le Maroc au Conseil de sécurité de l’ONU, elle laissait transparaitre une certaine neutralité dans sa position officielle. Neutralité qui ne convenait plus aux autorités marocaines et qui a été à l’origine de tensions entre les deux alliés historiques ces dernières années. En juillet 2024, Emmanuel Macron clarifie la position française. Désormais, il considère que l’avenir du Sahara occidental s’inscrit exclusivement dans le cadre de la « souveraineté marocaine ». Les milieux d’affaires désireux de profiter de la dynamique économique en cours à Laâyoune et Dakhla, ainsi que des personnalités politiques de droite et « amies du Maroc », avaient encouragé le président à faire preuve de réalisme et à emprunter cette direction.
Avant Emmanuel Macron, Pedro Sanchez et Donald Trump s’étaient déjà engagés en faveur de la « marocanité » du Sahara occidental. Concernant les États-Unis, l’administration Biden est certes revenue à une position plus nuancée. Dans ses diverses allocutions, Anthony Blinken ne présente la solution d’autonomie marocaine que comme une « potentielle approche » pour la résolution du conflit. De plus, la représentation diplomatique que Washington s’était engagée à ouvrir dans la ville de Dakhla, n’a jamais été inaugurée. Un rapport de l’ONG International Crisis Group paru au début de ce mois de décembre, révèle même que l’administration Biden est intervenue à plusieurs reprises auprès de ses deux partenaires maghrébins, pour exiger apaisement et retenue de leur part. Toutefois, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2025 devrait marquer un tournant. La diplomatie transactionnelle et désintéressée des équilibres régionaux qui avait permis l’aboutissement des accords d’Abraham, pourrait renaître et ouvrir des perspectives favorables à Rabat.
Risque de polarisation et d’escalade
L’Algérie, principale alliée du Front Polisario, s’oppose fermement à toute reconnaissance internationale de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental, tant qu’aucun référendum d’autodétermination n’y a été organisé. Pour elle, il ne s’agit pas simplement d’un geste de solidarité à l’égard d’un peuple opprimé. L’Algérie est aussi, si ce n’est davantage, préoccupée par la violation du principe d’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, adopté par l’Union africaine au lendemain de la guerre des sables, déclenchée en 1963 par des revendications marocaines sur son propre territoire. Ainsi, la question du Sahara occidental demeure cruciale pour la diplomatie algérienne, et les soutiens apportés au Maroc sont perçus comme constituant de potentielles menaces pour sa propre sécurité. De ce fait, Alger ne manque pas de dénoncer la politique des États qui considèrent le plan d’autonomie marocain comme seule issue au conflit. En 2022, la lettre adressée par Pedro Sanchez au roi Mohammed VI, actant le soutien de l’Espagne au plan marocain, avait provoqué une vive réaction algérienne. En guise de protestation, Alger avait rappelé son ambassadeur à Madrid et suspendu ses relations commerciales avec l’Espagne, entraînant un gel de dix-neuf mois. Si cette rupture n’a pas permis de faire reculer le gouvernement Sanchez, elle a lourdement impacté certains milieux d’affaires espagnols. À présent, ce sont les acteurs opérant entre la France et l’Algérie qui s’inquiètent du climat délétère que traverse la relation franco-algérienne. En soutenant officiellement Rabat, Emmanuel Macron a mis fin à l’équilibre qu’il s’efforçait de tenir jusque-là avec ses deux partenaires du Maghreb.
Avec le retour de Donald Trump, la région pourrait connaître une nouvelle escalade des tensions. C’est sous sa présidence que Washington a reconnu la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental, en échange de l’officialisation des relations entre Rabat et Tel-Aviv. Si Trump venait à intensifier son soutien au Maroc, les relations algéro-américaines se refroidiraient incontestablement. Au delà du clivage entre Alger et Rabat qui risque de se creuser, une telle évolution marginaliserait également les indépendantistes sahraouis et pourrait les radicaliser dans la lutte armée qu’ils mènent depuis novembre 2020. L’attaque menée en novembre dernier par le Front Polisario contre la ville de Mahbès (Sahara occidental sous contrôle marocain), symbolise cette possible escalade de la violence. Si cet événement n’est pas inédit dans le cadre de la reprise des combats, il rappelle que la situation demeure extrêmement fragile et doit alerter la communauté internationale dans sa globalité.
Ishak Benhizia (blog)
Sources infos: Le blog de Ishak Benhizia Mediapart