Tunisie : Kaïs Saïed envisage une réforme de la Constitution
MESURES. Pour sortir de l’état d’exception instauré depuis le 25 juillet, le chef de l’État veut nommer un nouveau gouvernement et, plus périlleux, amender la Constitution de 2014.
Soutenu par une majorité de Tunisiens, le président Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs depuis le 25 juillet, entend bien garder la main jusqu’au bout et mettre fin à cet état d’exception à sa manière.
Un nouveau gouvernement sera « formé dans les plus brefs délais », mais après « sélection des personnalités les plus intègres », a indiqué Kaïs Saïed aux télévisions Wataniya et Sky News Arabia, après avoir déambulé, sous bonne garde, sur l’avenue Bourguiba qui traverse le cœur de la capitale à Tunis.
Feuille de route
Le 25 juillet dernier, Kaïs Saïed a limogé le Premier ministre, suspendu les activités du Parlement et s’est arrogé aussi le pouvoir judiciaire, pour un mois renouvelable, avant de prolonger ces mesures le 24 août, « jusqu’à nouvel ordre ». Samedi soir, il n’a pas donné de date précise pour la formation du gouvernement, ajoutant : « Nous continuons la recherche des personnalités qui vont assumer cette responsabilité. »
À la surprise générale, le dirigeant tunisien a également évoqué la Constitution de 2014, affirmant qu’il la « respecte mais que l’on peut introduire des amendements au texte ». Selon lui, « le peuple tunisien a rejeté la Constitution » et « les Constitutions ne sont pas éternelles ». Il faut donc, à ses yeux, « amender en respectant la Constitution », tout en gardant à l’esprit que « la souveraineté appartient au peuple ».
Craintes d’une « dérive autoritaire »
Ces derniers jours, de nombreux médias ont spéculé sur l’annonce prochaine d’un gouvernement provisoire suivie d’une révision de la Constitution, qui doit ensuite être soumise au suffrage universel via un référendum, avant de nouvelles élections législatives. Sur les images diffusées sur la page Facebook de la présidence, on voit le chef de l’État marcher sur l’avenue Bourguiba, acclamé par la foule qui entonne l’hymne national, avant de s’arrêter devant les micros des chaînes de télévision.
Théoricien du droit et enseignant, Kaïs Saïed se présente depuis son élection surprise à une ample majorité, fin 2019, comme l’interprète ultime de la Constitution. Il s’est appuyé sur son article 80, qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de « péril imminent » à la sécurité nationale, pour justifier les décisions prises il y a plus d’un mois et demi. Nombre de Tunisiens les ont accueillies avec enthousiasme car, exaspérés par leur classe politique, ils attendent des actes forts contre la corruption et l’impunité dans un pays faisant face à de graves difficultés sociales et économiques. Mais opposants, partis politiques, magistrats et avocats ont dit craindre une « dérive autoritaire ».
Plusieurs formations politiques de poids ont par avance exprimé samedi leur opposition aux projets du président. La puissante centrale syndicale UGTT a appelé à des élections législatives anticipées pour qu’un nouveau Parlement soit saisi d’une réforme de la Constitution. Le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, qui concentrait le plus de sièges dans le Parlement gelé par Kaïs Saïed, a exprimé son « rejet catégorique » de « toute suspension de l’application de la Constitution » ou de tout « changement du système politique, possiblement via un référendum ».
Le Point Afrique