Tromperie liquide : quand l’eau ne coule qu’à l’inauguration
“L’illusion est souvent plus confortable que la vérité, surtout lorsqu’elle est bien filmée.”
Par Cheikh Sidati Hamadi
Expert Senior en Droits des CDWD, Chercheur associé, Analyste, Essayiste
Le lundi 28 juillet 2025, à Nouadhibou, une scène soigneusement orchestrée s’est déroulée sous les projecteurs
Drapeaux flottants, caméras braquées, discours calibrés… Le président Mohamed Cheikh El Ghazouani inaugurait un ambitieux projet d’adduction d’eau, censé répondre à un besoin vital longtemps ignoré. Pendant quelques heures, l’eau a coulé, symbolisant l’espoir d’un accès durable inscrit dans l’Objectif de Développement Durable (ODD) 6, qui vise à garantir l’eau potable pour tous.
Cette promesse est également inscrite dans le cadre légal mauritanien, notamment par la Loi n° 2000-045 portant Code de l’eau, qui établit le droit universel d’accès à l’eau potable, définissant les responsabilités de l’État et des acteurs publics pour garantir ce service essentiel. Or, ce droit fondamental reste trop souvent lettre morte sur le terrain.
Mais une fois les caméras parties, les robinets se sont tus. Cette mise en scène parfaite masque une vérité brutale : « L’eau, c’est la vie, mais ici, elle reste un luxe inaccessible. » Ce simulacre bafoue aussi les principes de transparence et de bonne gouvernance prônés par l’ODD 16, tandis que le manque de partenariats inclusifs dénie l’esprit de l’ODD 17. Comme le rappelle l’adage : « La vérité finit toujours par couler, mais parfois trop tard pour ceux qui ont soif. »
Nouadhibou reste aujourd’hui le symbole d’une soif inextinguible et d’une humiliation quotidienne qui perdurent.
Cette situation illustre un échec structurel
L’ODD 6, garantir l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement, reste lettre morte à Nouadhibou. L’ODD 16, relatif à la transparence, la responsabilité et la bonne gouvernance, est lui aussi bafoué par ces mises en scène où la communication supplante la vérité des faits. Quant à l’ODD 17, qui encourage le renforcement des partenariats pour atteindre ces objectifs, il semble inexistant tant les habitants sont laissés seuls face à la crise.
À Nouadhibou, comme ailleurs en Mauritanie, le droit fondamental à l’eau n’est toujours pas une réalité. L’inauguration de ce 28 juillet, plutôt que d’apporter un soulagement durable, a ravivé le sentiment d’abandon et d’injustice. Chaque mandat, chaque gouvernement promet de mettre fin à cette humiliation collective ; chaque fois, le peuple découvre que la soif reste son seul héritage.
1. Une ville qui meurt de soif : statistiques, réalités et objectifs mondiaux bafoués
Nouadhibou, capitale économique de la Mauritanie, traverse une crise aiguë d’accès à l’eau potable qui dépasse largement une simple défaillance technique. Plusieurs quartiers subissent des coupures d’eau dépassant dix jours consécutifs, et les familles les plus vulnérables sont contraintes d’acheter de l’eau à des prix exorbitants, bien au-delà de leurs moyens.
Les chiffres sont alarmants : en 2022, seulement 58,2 % des Mauritaniens avaient accès à une source d’eau potable sûre (Banque mondiale). À Nouadhibou, près de 40 % des habitants vivent dans une incertitude quotidienne quant à leur approvisionnement.
Cette double peine, privation d’un besoin fondamental et appauvrissement économique,creuse davantage les inégalités sociales. Les familles démunies paient jusqu’à dix fois plus cher le litre d’eau que celles raccordées au réseau officiel. Les conséquences sanitaires sont graves, avec une recrudescence des maladies hydriques,diarrhées, typhoïde, touchant particulièrement les enfants.
Par ailleurs, près de la moitié de la population rurale et périurbaine dépend encore de points d’eau traditionnels dont la qualité est souvent compromise. Ce retard structurel, conjugué aux effets du changement climatique et à la pression démographique, menace la santé publique, la stabilité sociale et le développement durable.
Cette situation traduit un manquement non seulement aux engagements internationaux de la Mauritanie en matière d’eau, d’assainissement et de lutte contre la pauvreté (ODD 6, 1 et 11), mais révèle aussi un défi majeur de gouvernance nécessitant une mobilisation urgente, transparente et inclusive.
2. Projets d’envergure, résultats invisibles : où va l’argent de l’eau ?
« On ne résout pas une crise structurelle avec des solutions événementielles. »
Le grand chantier hydraulique de Nouadhibou, censé mettre un terme à la soif chronique de la ville, a mobilisé plus de 12 milliards MRO (≈ 30 millions USD) provenant de la Banque Africaine de Développement (BAD), de l’Union européenne et de l’État mauritanien(BAD, 2025). Pourtant, les populations continuent de subir des coupures prolongées et un approvisionnement irrégulier.
Un audit technique de l’Autorité de l’Eau (2024) révèle que 32 % de l’eau produite est perdue sur le réseau, soit plus du double de la norme internationale de 15 %(UN-Water). La transparence sur l’utilisation des fonds est également problématique : la Société Nationale de l’Eau (SNDE) n’a publié aucun détail sur les marchés publics, les fournisseurs ou les délais, alimentant un profond doute sur la gouvernance des ressources, alors que près de 40 % de la population de Nouadhibou vit sous le seuil de pauvreté(ONS, 2023).
Ainsi, malgré ces milliards mobilisés, l’accès effectif à l’eau potable reste inférieur à 57 % en milieu urbain et à peine 47 % au niveau national(UNICEF, 2024). Les ODD 6 et 16 sont clairement bafoués.
« Il y a des tuyaux pour transporter l’eau, mais aucun canal pour la vérité. »
3. Un désert liquide : entre inégalités, opacité et illusions politiques
« L’injustice n’est jamais aussi profonde que lorsqu’elle est invisible aux puissants. »
À Nouadhibou, 38 % des ménages n’ont pas d’accès régulier à l’eau potable (UNICEF, 2024). Les quartiers des Communautés discriminées sur la base du travail et de l’ascendance (CDWD) sont les plus touchés : 60 % d’entre eux doivent parcourir plus de 2 km pour s’approvisionner, contre 18 % dans les zones centrales.
Pourtant, le Code de l’eau (loi 2000‑045) garantit ce droit pour tous. Mais « la gouvernance commence là où s’arrête la propagande ». Les inaugurations se multiplient tandis que les robinets restent à sec. Moins de 45 litres par habitant et par jour sont distribués, loin de la norme OMS de 100 litres.
« L’eau, c’est la vie. Leur politique, c’est le mensonge, » déplore un habitant. Organiser une inauguration pour une structure non fonctionnelle n’est plus une maladresse, mais une provocation publique. Ces mises en scène entretiennent la défiance : à Nouadhibou, on ne distribue pas de l’eau mais des illusions.
L’accès à l’eau conditionne directement la santé, l’éducation et l’économie locale. Chaque jour de rupture prive les ménages vulnérables de deux heures de travail ou de scolarité. Laisser cette situation perdurer, c’est accepter un désert liquide au cœur de la capitale économique.
4. L’eau des discours, la soif des populations : pour en finir avec l’illusion hydraulique
« Celui qui oublie est condamné à revivre les mêmes humiliations. »Nouadhibou n’est pas un cas isolé, mais le symbole d’un modèle où la communication supplante l’action concrète. Les quartiers défavorisés vivent un déficit chronique d’approvisionnement, souvent supérieur à 30 % de la demande réelle. Plus largement, plus de 40 % des Mauritaniens n’ont toujours pas accès à une source d’eau potable améliorée.
Derrière ces chiffres, un quotidien marqué par la précarité, les bidons jaunes et l’attente interminable aux camions-citernes.
« L’eau ne doit pas être un privilège, mais un droit codifié et appliqué. »
Face à ce constat, la société civile formule des revendications claires :
un audit public indépendant de la SNDE pour établir les responsabilités ;
la publication des données budgétaires et techniques des projets ;
un alignement effectif avec les ODD 6, 1 et 11 ;
la participation citoyenne dans la planification et le suivi des projets ;
un traitement prioritaire des quartiers les plus oubliés.
Trop souvent, le peuple croit parce qu’il espère, et il espère parce qu’il a soif. Ce cycle d’espoirs déçus et de promesses sans lendemain entretient une crédulité collective dont l’État profite. Mais l’eau ne peut plus être instrumentalisée comme un levier politique.
Conclusion : pour une rupture historique
Il est temps de mettre fin à cette illusion hydraulique. L’eau n’est pas un outil de communication, mais le socle même de la dignité humaine. Le gouvernement doit rompre avec la politique des inaugurations spectaculaires pour engager des réformes structurelles, garantir une gestion rigoureuse et transparente des ressources et renforcer la participation citoyenne.
Nouadhibou, capitale économique, doit devenir le laboratoire d’une gouvernance exemplaire en matière d’eau, et non le symbole de la défiance. Car un État se juge à sa capacité à servir ses oubliés. Comme le rappelle la maxime :
« La dignité des peuples se mesure à la manière dont ils boivent. »
Si rien ne change, la soif continuera d’éroder la confiance, l’espoir et la paix sociale. Mais si les décideurs osent la rupture, alors l’eau cessera d’être un luxe pour redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un droit inaliénable pour chaque citoyen mauritanien.
Références
1. Objectifs de Développement Durable (ODD)
● ODD 6 : Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement
● Indicateurs ODD en Mauritanie – ONU Stats
● ODD 1, 6 et 11 : Eau, pauvreté et villes durables – UNDP
2. Données spécifiques à l’eau en Mauritanie
● Banque Mondiale – Accès à l’eau potable en Mauritanie (statistiques)
● Mauritania – UNICEF – Eau, hygiène et assainissement (WASH)
● PNUD Mauritanie – Défis hydrauliques et développement
● SNDE – Société Nationale de l’Eau (site officiel)
● Atlas de l’eau en Mauritanie – FAO Aquastat
3. Articles et rapports d’actualité
● Sahara Médias – Crise de l’eau à Nouadhibou
● ANI Mauritanie – Inaugurations hydrauliques contestées
● Human Rights Watch – L’eau et les droits fondamentaux en Afrique de l’Ouest
4. Rapports techniques ou d’évaluation
● Rapport JMP (OMS/UNICEF) sur l’eau potable – Mauritanie
● Rapport des Nations Unies sur le développement de l’eau dans le monde