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Tribune | Justice, santé et politique : faut-il sauver l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz ?

Une tribune d’analyse sur les options juridiques, humanitaires et politiques envisageables pour alléger la peine de l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. Entre justice, santé et stabilité politique.

Tribune Par Ahmed Ould Bettar
En Mauritanie, le verdict du procès de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné à une lourde peine de prison dans le cadre d’une retentissante affaire de corruption, a marqué un tournant historique. Pour la première fois, un ancien chef d’État est jugé et reconnu coupable de détournement de biens publics dans un pays longtemps régi par l’impunité du pouvoir. Mais à l’heure où se croisent considérations juridiques, impératifs de santé et calculs politiques, une question émerge : faut-il – et peut-on – sauver Mohamed Ould Abdel Aziz d’une longue incarcération ?

L’équation est complexe. Elle convoque des registres à la fois juridiques, humanitaires et politiques. Et elle interroge la solidité de l’État de droit dans une démocratie encore jeune, mais confrontée aux dilemmes de sa propre maturité.

Des recours juridiques toujours possibles

Sur le plan du droit, plusieurs leviers demeurent accessibles à la défense de l’ancien président. Le premier est procédural : un recours en appel ou en cassation peut être déposé. La justice mauritanienne, si elle veut consolider sa légitimité, devra démontrer que le procès s’est déroulé dans le strict respect des règles, sans entorse aux droits de la défense. Une cour supérieure pourrait alors revoir la peine, voire annuler une décision entachée de vices.

Autre possibilité : la liberté conditionnelle. À 68 ans, Mohamed Ould Abdel Aziz souffre, selon ses proches, de problèmes de santé chroniques. La législation nationale permet, comme ailleurs, des aménagements de peine fondés sur des considérations médicales, surtout après un certain temps d’incarcération et si le comportement du détenu est jugé favorable. Cela pourrait se traduire par une assignation à résidence ou un port de bracelet électronique.

L’option humanitaire : entre compassion et droit

Au-delà des règles strictes du droit pénal, la voie humanitaire pourrait aussi être empruntée. Dans de nombreux États, la suspension de peine pour raison médicale est un dispositif légal prévu dans le respect de la dignité humaine. Si les conditions de détention sont jugées incompatibles avec l’état de santé d’un détenu, des experts médicaux indépendants peuvent en recommander la libération.

Une telle décision peut aussi être motivée par une volonté d’apaisement. Une démocratie ne se juge pas seulement à sa capacité à punir, mais aussi à traiter avec équité, même ses anciens dirigeants. Libérer un homme malade et vieillissant ne signifie pas absoudre les crimes reprochés, mais inscrire la justice dans le cadre plus large des droits humains fondamentaux.

Quand la politique entre en jeu

Mais en Mauritanie, aucune décision d’importance ne se prend sans peser le rapport de forces politique. À ce titre, la grâce présidentielle reste un instrument disponible pour le chef de l’État en exercice. Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, son successeur et ancien compagnon d’armes, dispose de cette prérogative constitutionnelle. Une grâce discrète, motivée par des raisons humanitaires, pourrait intervenir à un moment stratégique : en période préélectorale, lors d’un appel au dialogue national, ou encore dans une dynamique de réconciliation.

Derrière les rideaux du pouvoir, des négociations sont aussi envisageables. Une promesse de retrait définitif de la vie publique, un engagement à ne plus contester les institutions, pourraient servir de monnaie d’échange. Dans les régimes hybrides, où la séparation des pouvoirs est encore fragile, la pression d’acteurs influents – tribus, partis, armée – peut infléchir le cours de la justice, ou du moins en moduler l’application.

Les recours internationaux : ultime échappatoire

Enfin, sur le plan international, l’ancien président peut saisir des instances comme le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ou la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. S’il estime que son procès a manqué d’impartialité ou que ses conditions de détention sont inhumaines, ces organes peuvent intervenir, au moins symboliquement, pour influencer la position de l’État mauritanien.

Un équilibre délicat entre justice et stabilité

La Mauritanie est aujourd’hui face à un choix crucial. Elle peut consolider l’État de droit en affirmant que nul n’est au-dessus des lois – y compris les anciens présidents. Mais elle peut aussi démontrer qu’elle est capable de justice sans vengeance, d’équilibre entre sanction et compassion. La solution la plus réaliste pourrait alors passer par une combinaison subtile : une libération conditionnelle pour raisons médicales, un aménagement de peine sous surveillance, ou une grâce présidentielle discrète, mûrement réfléchie.

Il ne s’agirait pas de réhabiliter Mohamed Ould Abdel Aziz, ni de relativiser les fautes commises. Il s’agirait de penser l’avenir d’un pays qui cherche encore sa voie entre mémoire, justice et stabilité. La vraie grandeur d’une démocratie se mesure aussi à la manière dont elle traite ses figures déchues.

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