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Tribune | Face à la crise migratoire, la Mauritanie à l’épreuve de sa conscience

Tribune | Face à la crise migratoire, la Mauritanie à l’épreuve de sa conscience

Par Ahmed Ould Bettar

Depuis quelques semaines, notre pays est confronté à une vague d’expulsions de migrants en situation irrégulière. L’État mauritanien, dans un souci de contrôle de ses frontières et de préservation de l’ordre public, mène une campagne d’arrestations et de reconduites vers les pays d’origine ou vers les frontières voisines. Mais derrière ces opérations, une question fondamentale s’impose à nous, Mauritaniens : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour faire respecter notre souveraineté ? Et à quel prix humain ?

Les témoignages recueillis ces derniers jours, notamment dans une vidéo relayée par *Radio France Internationale*, sont difficilement soutenables. Des migrants, principalement venus du Mali, de la Guinée, et de la Guinée-Bissau, dénoncent des violences policières, des détentions dans des conditions indignes, des expulsions brutales. Certains affirment avoir été laissés à Rosso, à la frontière sénégalaise, sans aucune assistance, sans même de quoi se nourrir ou téléphoner à leur famille.

« Si tu n’as pas d’argent pour acheter à manger, tu vas mourir dans la salle », confie l’un d’eux.

Nous ne pouvons pas fermer les yeux. En tant que journaliste, mais surtout en tant que citoyen, je m’interroge. Sommes-nous encore fidèles à nos principes, à nos valeurs d’hospitalité et de justice ?

Entre impératifs sécuritaires et pressions extérieures

Il ne faut pas être naïf. Nous savons que la Mauritanie est aujourd’hui un pays de transit stratégique vers l’Europe. La coopération avec l’Union européenne sur les questions migratoires s’est intensifiée, et notre pays reçoit des fonds pour mieux surveiller ses frontières. Cette coopération est, dans une certaine mesure, nécessaire. Elle l’est d’autant plus dans un contexte régional marqué par l’instabilité, les trafics et les réseaux clandestins.

Mais elle ne peut, elle ne doit, nous pousser à des excès. Le maintien de l’ordre n’est pas une licence pour l’humiliation. La lutte contre l’immigration irrégulière ne doit pas devenir un terrain d’impunité. Aucun partenariat international ne saurait justifier que des personnes, quelles que soient leur origine ou leur situation administrative, soient traitées sans dignité.

Une responsabilité qui nous incombe

Notre pays n’est pas exempt de difficultés. Le chômage frappe notre jeunesse, les ressources sont limitées, et les tensions sociales existent. Il serait facile, trop facile, de faire des migrants les boucs émissaires de nos propres fragilités.

Mais la Mauritanie a aussi une histoire, une tradition. Elle a longtemps été terre d’accueil. Elle a connu l’exil, elle aussi. Nos familles, nos voisins, nos frères, savent ce que cela signifie que de quitter sa terre, par nécessité, et non par choix.

Pour une gestion humaine et juste

Il est temps de replacer l’humain au cœur de notre politique migratoire. Il est temps d’ouvrir un dialogue plus transparent avec les pays d’origine, notamment la République de Guinée, dont de nombreux ressortissants vivent aujourd’hui dans la peur et dans l’incertitude à Nouakchott. Il est temps, aussi, que la société civile, les journalistes, les avocats, s’impliquent davantage pour suivre ces expulsions, documenter les abus, proposer des alternatives.

La loi doit être respectée, certes. Mais le respect de la loi n’exclut pas la compassion. Notre sécurité ne peut être garantie au détriment de notre conscience collective.

La Mauritanie, aujourd’hui, est à un tournant. Elle peut choisir d’être un État fort et juste. Ou bien céder à la logique du mépris et de l’oubli. L’Histoire, tôt ou tard, nous demandera des comptes.

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