Tewassoul face à la tempête : défendre l’éthique parlementaire contre les cris de la foule
Le vote de Tewassoul sur les débordements verbaux soulève un débat essentiel sur la maturité de l'opposition et la dignité du débat parlementaire.
Dans la géométrie variable de l’éthique politique mauritanienne, il est désormais une constante : celui qui refuse de hurler avec les loups est accusé d’avoir vendu la meute. Le parti Tewassoul, formation majeure de l’opposition démocratique, en fait aujourd’hui l’expérience tragique. Son crime ? Avoir voté, en toute cohérence, des amendements réglementaires interdisant les débordements langagiers dans l’hémicycle. Son châtiment ? Être cloué au pilori numérique par une infime fraction d’opposants autoproclamés, habitués des diatribes vindicatives et des envolées scatologiques érigées en vertu cardinale.
Or, il convient ici de replacer le débat dans sa technicité et sa rigueur. Ces amendements controversés ne sont ni un musellement, ni un renoncement. Ils constituent un acte normatif élémentaire dans tout Parlement fonctionnel, visant à encadrer les excès de langage, non à bâillonner la critique. Aucun parlement au monde, pas même les plus radicalement pluralistes, ne tolère que l’insulte remplace l’argument, que la menace supplante la dialectique. Il ne s’agit pas d’un texte liberticide, mais d’une tentative — timide peut-être — de civiliser la parole publique dans un espace où le verbe devrait construire, et non détruire.
Tewassoul n’a pas trahi l’opposition. Il a trahi l’hystérie. Et c’est tout à son honneur.
Car que voit-on aujourd’hui ? Une poignée de députés, souvent plus à l’aise dans l’invective que dans la proposition, s’érigent en gardiens autoproclamés d’un parlementarisme qu’ils réduisent à une scène de théâtre mal éclairée, où l’on se fait applaudir en vociférant plus fort que le voisin. Ces quelques voix, certes bruyantes, ont fini par convaincre une partie de l’opinion que la vérité parlementaire ne peut s’exprimer que dans la virulence, et que le courage politique se mesure au degré de colère affichée.
Mais cette vision est à la fois simpliste et dangereuse. Elle confond le bruit avec le sens, la posture avec la consistance. Elle postule que seul le cri est sincère, que seule l’agitation est légitime. Elle nie la possibilité d’une opposition structurée, posée, juridiquement informée et stratégiquement fine.
Or Tewassoul, dans cette séquence, n’a pas choisi la facilité du vacarme. Il a choisi la verticalité de l’institution. Il a assumé le coût symbolique d’un vote rationnel dans un contexte émotionnellement piégé. Il a refusé de se joindre à la cacophonie pour préserver la crédibilité de la parole parlementaire, en la ramenant à sa vocation première : contrôler sans insulter, questionner sans salir.
Le paradoxe est vertigineux : ceux qui dénoncent aujourd’hui une « parlementarisation de la censure » se gardent bien de questionner l’exécutif sur l’essentiel. Parmi tous ces députés, rares sont ceux qui ont offert une lecture technique digne d’une loi de finances rectificative ; la majorité s’est contentée de dériver dans une rhétorique populiste et électoraliste, transformant l’hémicycle en tribune de campagne prématurée plutôt qu’en espace de délibération budgétaire.
Ce n’est pas une réforme du règlement intérieur qui empêche les députés d’agir.
Ces députés préfèrent frapper plus accessible : le parti qui n’a pas crié assez fort. C’est l’éternelle logique du bouc émissaire : on ne juge plus les positions, mais leur tonalité. Tewassoul aurait dû « hurler », « rejeter », « se radicaliser », faute de quoi il est considéré comme complice du système. Un syllogisme paresseux, qui confond loyauté à la cause avec conformisme à la colère.
En réalité, ce procès fait à Tewassoul révèle un malaise plus profond : une opposition en crise de maturité, où la déclamation remplace la stratégie, où l’anathème tient lieu de pensée. Et une opinion publique saturée de simplification, avide de héros cathartiques, réfractaire à la nuance.
Non, tous les députés qui parlent ne sont pas des résistants. Non, tous ceux qui votent ne sont pas des traîtres. Il y a dans l’acte d’encadrer l’insulte une volonté de rehausser le débat, non de le supprimer. Il y a dans le vote de Tewassoul une fidélité plus grande à la démocratie que dans tous les slogans criés à gorge déployée.
À ceux qui crient à la trahison, il faut rappeler ceci : l’opposition n’est pas une performance vocale, mais une conscience politique.
Le véritable scandale n’est pas dans le vote de Tewassoul, mais dans l’idée même qu’on puisse penser l’opposition comme une secte où la nuance est hérésie. Si notre démocratie veut survivre, elle devra réapprendre à respecter le débat, même quand il ne hurle pas. Et reconnaître que parfois, le vrai courage consiste à voter seul, mais juste.
Mohamed Ould Echriv Echriv