Tevragh-Zeina : Un procès entre mysticisme et droit civil
Procès hors du commun de Cheikh Hamada, marabout professionnel, face à Ezza Cheikh Eyah. Une affaire mêlant croyances spirituelles et législation civile dans la capitale judiciaire de Tevragh-Zeina. Article de Mohamed Ould Echriv Echriv
À Tevragh-Zeina, capitale judiciaire singulière, le procès de Cheikh Hamada contre Ezza Cheikh Eyah soulève des enjeux fascinants. Entre hajjab, contrats invisibles et débats juridiques, cette affaire met en lumière la collision entre le droit positif et les croyances populaires, interrogeant la capacité de la justice à trancher sur des litiges ancrés dans le mysticisme.
Tevragh-Zeina, capitale judiciaire de l’étrange, théâtre d’un procès pas comme les autres, où le verbe judiciaire croise la prière incantatoire, où le droit positif flirte avec le paranormal. Dans le box, pas de dealer, pas de ministre déchu — non, aujourd’hui, c’est Cheikh Hamada, marabout professionnel, maître du hajjab certifié halal par ses soins, qui vient réclamer ses honoraires face à une cliente — présumée — Ezza Cheikh Eyah, accusée de prestation non réglée et de téléphone sur mode avion prolongé.
On est ici dans un conflit civil transgenre juridico-spirituel, à la croisée du droit coutumier non écrit, de la foi populaire, et du Code de procédure civile, le tout saupoudré de bazin riche, de billets d’avion en classe affaire, et de moutons d’avance. Ambiance.
Le juge ouvre la séance :
« Ce verdict n’a pas pour objet de rendre licite ce que Dieu a interdit, ni d’interdire ce qu’Il a rendu licite. C’est juste un arbitrage de ce bas monde, qui ne vous servira au Yawm el Qiyama que si vous êtes sincères. »
Déjà, le décor est posé : la balance de la justice tremble.
Cheikh Hamada se lance, verbe haut, œil humide, théologie fluide :
« J’ai été contacté en 2022 par un colonel. Il m’a dit qu’Ezza voulait que je règle un problème de femme malade dans un pays du Golfe. Je lui ai dit : OK, mais d’abord les conditions : des moutons, 400 000 MRO, du bazin getzner. Rien de haram, que du coranique pur, juré sur ma zawiya. »
Il précise : pas besoin de voyager, le hajjab a été fait « à distance », façon télétravail mystique, et la femme fut guérie, donc mission accomplie.
Mais voilà, Ezza aurait disparu. Téléphone en mode avion. Radio silence. Règlement toujours dans l’au-delà. Alors le Cheikh sort une vidéo pour « rafraîchir la mémoire de la cliente », démarche tous les cercles, et finit par porter plainte pour récupérer ses 200 millions MRO, ni plus ni moins. Car, dit-il, « moi, je suis professionnel, j’ai jamais eu de souci avec mes clients avant elle. » Une sorte de service après-vente mystique, version litige commercial.
La défense : c’est qui ce gars ?
En face, les avocats d’Ezza contestent tout.
Première ligne de défense : « Elle ne le connaît même pas. »
Réponse du Cheikh : « Ah bon ?! Moi j’ai même un morceau de sa melehfa pour travailler, vous croyez que je hajjab n’importe qui avec n’importe quoi ? »
Deuxième ligne de feu : un audio diffusé en pleine audience. L’avocat tend l’écouteur au Cheikh, lui demande : « C’est bien la voix d’Ezza ? » Le Cheikh, convaincu, acquiesce.
C’est alors que le redouté avocat Sidi El Moctar, surnommé le Jacques Vergès de Nouakchott, surgit des travées du tribunal, volontaire pour défendre gratuitement le Cheikh. Clame haut et fort :
« La justice doit traiter les deux parties à égalité. Si Ezza n’est pas venue et a son propre avocat, ça ne veut pas dire que Hamada doit être seul. Le litige est civil, et tout citoyen peut mandater un défenseur de son choix. »
Mais la défense d’Ezza proteste : « Il n’a pas d’avocat désigné, il improvise son comité de soutien en salle ! »
Le juge tranche provisoirement avec sagesse :
« On reporte. Hamada doit donner procuration officielle à un avocat. »
Ce procès pose une question fondamentale :
Le hajjab peut-il être considéré comme un contrat de service civil à obligation de résultat ?
Si oui, alors Cheikh Hamada est créancier d’un droit exécutoire, du moins sous réserve de preuve de prestation et d’accord.
Mais si non — si le hajjab appartient au domaine de l’invisible — alors le juge peut-il en évaluer la validité sans sortir de son champ de compétence matérielle ?
Ici, le tribunal se trouve dans une zone grise juridique, entre la foi populaire contractuelle et le droit positif désenchanté. On assiste à la collision entre le mystique marchandisé et la rationalité judiciaire.
Tribunal ou zawiya ?
La justice doit-elle trancher des litiges où l’objet même du conflit relève de l’invisible ? Peut-on réclamer 200 millions pour des abracadabra ? Et surtout, comment arbitrer un contrat dont la preuve principale est un morceau de tissu et un audio WhatsApp ?
Le tribunal de Tevragh-Zeina a mis le doigt dans un chaudron explosif, où les règles du Code civil croisent les lois non-écrites de la zawiya. En attendant le verdict, une chose est sûre : même les djinns retiennent leur souffle.
Mohamed Ould Echriv Echriv