SOMELEC : le monopole de l’ombre et les grimpeurs de la lumière
En Mauritanie, l’électricité relève du parcours du combattant : entre coupures planifiées, recours impossibles et interventions clandestines, la SOMELEC électrise plus les esprits que les foyers.
En Mauritanie, l’électricité est un luxe… livré avec surcharge, suspense et souvent sans suivi. Et dans cette jungle réglementaire illuminée à l’ampoule basse tension, un acteur brille de mille coupures : la SOMELEC, vénérable monopole public au service de l’ombre.
Officiellement, elle éclaire les foyers. Officieusement, elle plonge les quartiers dans la pénombre, surtout en fin de semaine – spécialité maison. Coupures tactiques à la tombée du jour, juste après la fermeture des bureaux, quand il n’y a ni hotline, ni recours, ni âme qui veille. À ce moment précis, surgit un personnage mythique : le grimpeur.
Pour 3.000 ouguiyas (négociables selon l’altitude du poteau et le nombre d’enfants en pleurs dans la maison), il grimpe, torse nu, chaussettes dans les sandales, et restaure l’électricité depuis les cieux. Branchement direct, zéro papier, 100 % illégal mais 120 % vital. En attendant le lundi, ce docteur de l’ombre est la médecine douce du système énergétique mauritanien.
En 2022, sous la direction du très sérieux Mohamed Aly Ould Sidi Mohamed, la SOMELEC avait tenté une révolution : interdiction des coupures le week-end, port obligatoire de l’uniforme siglé, numéro vert fonctionnel même les jours fériés. Bref, un plan Marshall pour réconcilier le citoyen avec sa prise murale.
Mais comme souvent au pays des rapports non lus, la réforme a été rangée dans la boîte à souvenirs. Les agents – ni saints ni câblés – sont revenus à leurs vieilles habitudes : couper, facturer, disparaître. Et parfois, couper… la nuit.
C’est ainsi qu’un docteur expert judiciaire, sinologue diplômé et maoïste revendiqué, a décidé de traîner la SOMELEC devant le tribunal de Tevragh-Zeina, le même jour que l’affaire du Cheikh Hamada contre Ezza (un grand jour pour le droit parallèle).
Le plaignant raconte :
« Ils m’ont coupé l’électricité en pleine nuit, devant mes enfants. Même les moustiques ont crié à l’injustice ! Et mes cuisses de poulet ? Toutes périmées dans le congélo ! Ils ont même amené la police pour m’empêcher d’appeler un grimpeur ! Et moi ? Docteur ! Je parle mandarin ! J’ai lu le livre rouge ! Et j’ai fini dans le noir ! »
Il réclame dommages, préjudices et reconnaissance posthume de ses cuisses de poulet.
L’avocat de la SOMELEC, sobre costard et accent d’État, riposte :
« Monsieur applique l’adage : il m’a frappé, il a pleuré, il est venu se plaindre en premier ! Depuis 2023, il n’a pas payé un sou ! Quand on coupe, il fait appel à son grimpeur – version Robin des Bois sous tension – en disant que l’électricité est un droit universel ! Et quand on débarque pour contrôle, on trouve clim, télé, ambiance : on dirait une salle de fête ! »
Il conclut :
« 1,7 million MRO d’arriérés. Vol d’électricité. Délit manifeste. »
Le docteur rétorque qu’il s’est rendu au centre de la SOMELEC, a vu son compteur jeté comme un sac de riz périmé, et qu’on lui a simplement dit : « Tu paies ou tu vis dans le noir. »
Le juge, pris entre le Code civil et la bobine fondue, décide de reporter l’audience pour étude approfondie. Mais dans les couloirs du tribunal, un murmure circule :
« La lumière sera-t-elle rendue par la justice ou par le grimpeur ? »
En attendant le verdict, les moustiques s’affûtent, les climatisations soupirent et la SOMELEC, elle, continue de distribuer l’obscurité… à la carte.
Mohamed Ould Echriv Echriv